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Mémoire
Université de Toulouse 1 Capitole
Trading à Haute Fréquence et
Manipulation de Cours
M2 Droit économie et gestion Mention Droit de l'entreprise
Spécialité : droit des affaires - Parcours Juriste d'entreprise
2013-2014
Vincent Jeannin
Enseignant Correcteur : Sophie Sabathier
1/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
AVERTISSEMENT AU LECTEUR : L’université n’entend ni approuver ni désapprouver les
opinions émises dans ce document. Elles doivent être considérées propres à leur
auteur.
2/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Sommaire
Introduction 4
TITRE 1 – Cadre général des marchés financiers 5
I – Les grandes étapes des bourses du IXème
siècle au XVIIIème
siècle 5
II – Le début du XIXème
siècle 7
III – La panique de 1907 11
IV – Les bienfaits de la spéculation 12
V – Les organes de contrôle actuels 14
A – Aux USA 14
B – En France 17
C – Au Royaume-Uni 22
D – Les organes supranationaux 24
TITRE 2 – Les définitions légales des abus de marchés 26
I – Les différents abus de marchés 26
II – La Directive 2003/6/CE 32
III – Situation aux USA et au UK 34
A – USA 34
B – UK 35
TITRE 3 – Le cas spécifique du HFT et de la manipulation de cours 37
I – Définition du HFT et problématiques 37
A – Définition du HFT 37
B – Problématiques juridiques 41
II – Spécificités de la manipulation à haute fréquence 43
III – La répression : Kraay , Swift Trade et Trillium, Panther Energy 44
A – Kraay 44
B – Trillium Brokerage Services 47
3/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
C – Swift Trade 49
D – Panther Energy Trading 50
IV – Le futur du HFT dans le cadre réglementaire 51
Conclusion 56
Annexe 57
4/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Introduction
Les activités de trading sur les marchés financiers se sont complexifiées et intensifiées
ces dernières années. L’avènement de l’informatique a permis de passer au stade
supérieure de la recherche quantitative puis l’avènement des outils de
télécommunication ultra-rapides ont permis à des nouvelles stratégies de trading de se
développer : le Trading Algorithmique puis le Trading à Haute Fréquence, par exemple.
La finance a alors connu de nombreux bouleversements et est devenu un domaine très
régulé au rythme des scandales et crises. Les autorités veulent lutter contre les abus
de marchés qui sont une source déstabilisation des marchés financiers et plus
généralement de l’économie.
Les abus de marchés ont évolué avec les évolutions techniques et les régulateurs se
retrouvent dorénavant face à des nouvelles méthodes. En effet, le Trading à Haute
Fréquence a apporté son lot de nouveaux abus et les régulateurs, avec un temps de
retard, se mettent à réprimer plus ou moins lourdement ces nouvelles techniques de
manipulation de marché.
Notre étude présentera le cadre actuel des marchés financiers, des régulations et des
évènements qui ont mené à l’état actuel du secteur. Nous nous pencherons ensuite
sur les abus de marchés et de leur cadre règlementaire et légal. Enfin, nous étudierons
le cas spécifique du Trading à Haute Fréquence dans le cadre de la manipulation de
cours.
5/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
TITRE 1 – Cadre général des marchés financiers
I – Les grandes étapes des bourses du IXème
siècle au XVIIIème
siècle
Le commerce et les marchés existent depuis l’antiquité. Si des structures formelles
existaient à cette époque, il est difficile de les qualifier de bourse mais plus de marchés
locaux comme il en existe encore de nos jours. Aussi, les premières formes de
spéculation existent depuis la même époque et le philosophe mathématicien Thalès
est peut-être l’inventeur de la spéculation et de la manipulation de marché : suite à un
climat favorable, il aurait anticipé une bonne récolte d’olives. Il aurait alors réservé à
l’avance tous les moulins à huile d’olive de la région. Ainsi, sa prédiction se réalisant, il
put se placer comme un point de passage obligatoire pour la filière et imposer ses prix
pour la presse des olives. Il serait, en somme, l’inventeur du travail à façon et des
« tolling agreement » ! Les anecdotes sont rapportées par Aristote1
et Montaigne2
.
Il est difficile de dire quand la première bourse fut créée. En effet, l’émergence du
commerce et des grandes voies maritimes a de fait crée des marchés où se réunissait
acheteurs, vendeurs et négociants pour faire des affaires. Ainsi, en extrême orient, on
trouve des traces des groupements s’apparentant à des coopératives en relation avec
le commerce du thé ou des épices dès le IXème
siècle.
Une première ébauche de bourse fut peut être crée à Venise à la fin du XIIIème
siècle.
Pour pouvoir entreprendre des explorations maritimes à grande échelle, il a été
développé le système des carats. Ce système était une forme d’actionnariat
évènementiel et présente de nombreuses similitudes avec le crowdfunding. En effet,
des expéditions maritimes étaient mises aux enchères et des actionnaires partageaient
le coût d’un voyage en particulier d’un navire en particulier. Au retour du navire,
chaque actionnaire avait droit à une part de la cargaison ramenée, au proata de sa
participation aux frais du voyage. L’investissement serait qualifié de hautement risqué
car on ne compte pas le nombre de navires qui ne sont jamais revenus de leur
périples… L’ouvrage « Le Système de l'Incanto des galées du marché à Venise » (1995)
de Doris Stöckly détaille le système de façon approfondie et très documentée.
Quant à la ville de Brugge, elle bénéficiait d’un positionnement tout à fait intéressant.
Port d’étape entre l’Europe du Nord et la Méditerranée, la ville s’est vite développée
sous l’impulsion des marchands. Alors, étant devenu une ville étape où les marchands
se côtoyaient, la ville est tout naturellement devenu une place ou des liens et des
affaires se nouaient entre les commerçants. Les bateaux qui remontaient avaient des
cargaisons d’épice, de laine, de coton ou de thé à vendre, mais aussi des devises
étrangères. Les bateaux en partance avaient besoin de financement et de devises
étrangères,… Sont venus se greffer des banquiers et des négociants et la ville est alors
1
Aristote - La Politique - Traduction de Jules Tricot (1962)
2
Michel Eyquem de Montaigne - Les Essais - Livre I - Chapitre XXV - Du pédantisme
6/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
devenu le théâtre non seulement d’échanges de matières premières mais aussi un
véritable marché des changes et de financement. Ainsi, en 1309, la bourse fut ouverte.
Le port de Bruges, Zeebrugge, est encore, aujourd’hui, un port important et est utilisé
comme point de livraison d’un marché financier de gaz. Ceci dit, le déclin relatif de
Bruges est dû à sa position : l’estuaire est relativement petit et les gros navires y
accédaient difficilement, d’autant plus qu’il était sujet à de l’ensablement de façon
fréquente. C’est ainsi que les ports dénommés par l’acronyme ARA (Amsterdam,
Rotterdam, Anvers) sont devenus le complexe portuaire leader de la région.
Au XVIème
siècle, en France, des bourses de commerce à caractère régionaux se sont
développées. Lyon, qui bénéficiait d’une situation géographique toute particulière, sur
le Rhône, a commencé à développer un marché financier où les effets de commerce et
les escomptent pouvaient s’échanger. Alors, le premier emprunt public est lancé à
Lyon en 1555 pour qu’Henri II puisse financer les guerres contre Philippe II d’Espagne.
L’emprunt, premier de la sorte fut souscris avec frénésie : la qualité de la signature de
la monarchie a attiré les investisseurs… Mais, ironie de l’histoire, la monarchie n’eut
pas de scrupule à faire défaut sur cette dette et à la réaménager comme bon lui
semblait. Le régime politique français de l’époque empêchait d’espérer toute
régulation mais l’on voit d’ores et déjà que les premiers problèmes sont apparus très
tôt.
Thomas Gresham, marchand anglais, a, à son retour d’Anvers, créé, sur ordre
d’Elisabeth 1ère
le Royal Exchange en 1565 notamment pour émettre de la dette
nationale et répliquer le fonctionnement de la bourse d’Anvers. D’une atmosphère
très conservatrice (dans la plus pure tradition britannique), elle sera, une centaine
d’année plus tard, concurrencée par la London Stock Exchange. En effet, le Royal
Exchange se dota d’une première régulation où des licences étaient accordées aux
marchands ayant le droit d’y opérer. Les courtiers ne bénéficiant pas de licence furent
évincés et se sont retrouvés dans des cafés à proximité (dont le légendaire Jonathan’s
Coffee House) ou dans la rue (Lombard Street notamment). On assiste donc aux
prémices des régulations mais pas nécessairement pour réguler les échanges et leur
transparence mais plus pour conserver une atmosphère de club où les membres se
connaissent entre eux, dans le fidèle esprit britannique : le but principal était plus
d’écarter les Italiens et autres immigrés plus que de protéger les intérêts généraux !
La première bulle spéculative donnée en exemple est la fameuse bulle des tulipes, à
Amsterdam. Les marchés des actions, les marché à terme et les marchés optionnels s’y
sont développés à la fin du XVIIème
siècle et au début du XVIIIème
siècle. Du côté des
matières premières, la Hollande était un gros exportateur de hareng, de fromage, de
gin et de tulipes. Les tulipes étaient considérées comme un article de luxe et se
négociaient sur un marché de changes (échange de tulipes contre d’autres matières
notamment). Entre novembre 1636 et février 1637, le prix du bulbe de tulipe a été
7/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
multiplié par 20 ! La bulle s’est dégonflée aussi rapidement qu’elle avait gonflé et de
nombreuses ruines en découlèrent. Ainsi, au plus haut de la bulle, les bulbes de tulipes
de meilleure qualités représentaient l’équivalent monétaire de 20m3
de blé, soit
environ 150 tonnes de blé ! En 1637, un bulbe de tulipe est alors la chose la plus chère
au monde.
L’économiste Ecossais Charles MacKay explique dans son ouvrage « Extraordinary
Popular Delusions and the Madness of Crowds » (1841) son analyse des phénomènes
de bulle économique et d’instinct grégaire des foules conduisant à la création des
bulles et leur explosion. Les théories plus modernes ne nient pas l’existence de cette
tulipe-mania mais tendent à relativiser son ampleur. Quoi qu’il en soit, les dangers de
la spéculation commençaient à se faire connaître et des voix s’élèvent à l’époque, pour
la création de régulation pouvant encadrer les phénomènes pour d’une part protéger
les opérateurs mais d’autre part, pour empêcher que des opérateurs profitent de ces
phénomènes pour s’enrichir de façon immorale ou illégitime.
La France était pionnière en matière de régulations… Mais aussi de délits ! Louis XIII et
Louis IV étaient des monarques qui dépensaient sans compter : ouvrages
d’architecture, guerres, exploration,… Parfois le bilan de leurs finances n’était pas
franchement équilibré. Ils n’ont pas hésité à dévaluer subrepticement la monnaie en
diminuant la pureté de l’or dans les pièces de monnaie. Quand le stratagème fut
découvert, la création d’un poste de contrôleur des Monnaies de France s’imposait et
c’est alors que Jean Varin fut consacré à ce poste. De nos jours, un état aurait
énormément de mal à dévaluer la monnaie au nez et à la barbe de ces citoyens !
Ainsi, très tôt, les dangers potentiels de la finance ont été mis en évidence. Les
comportements immoraux sont aussi en train de se dessiner et des lois vont, à partir
du XIXème
siècle, émerger, pour que ces comportements deviennent officiellement
illégaux.
II – Le début du XIXème
siècle
La France fut avant-gardiste en matière de lois. Le Code Civil de 1804 en est
l’expression première et, dans le domaine financier, la création de la Compagnie des
Agents de Change fut officiellement créée en 1802. Les agents de change étaient des
officiers ministériels habilités à intervenir sur les marchés, étaient dûment contrôlés et
ont même évolué en acquérant le statut de percepteur d’impôts (impôt de bourse
notamment). Le contrôleur général des finances de Louis XVI (Charles Alexandre de
Calonne) avait voulu tirer utiliser la spéculation au profit des emprunts royaux. Loin
d’avoir un effet bénéfique, l’arme se retourna contre lui et la maîtrise de la situation
lui échappa : les actions et les dettes devinrent volatiles à outrance. L’aide de Honoré-
Gabriel Riqueti de Mirabeau fut vain et ses pamphlets contre la spéculation ont plus
marqué la littérature qu’eu l’efficacité recherchée : il accusait la spéculation, en 1787,
8/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
d’être « la plus abominable des industries » dans sa « Dénonciation de l'agiotage au
Roi et à l'assemblée des notables ». C’est alors que Calonne créa le monopole des
agents de change pour limiter la spéculation qu’il avait voulu utiliser mais qui s’était
retournée contre lui. Le Code Pénal de 1810 en son Article 419 cherchait déjà à
réprimer les activités illicites entravant la libre formation des prix par « la concurrence
naturelle et libre du commerce ». Il est intéressant de voir que l’Article 420 apportait
déjà des circonstances aggravantes au précédent article si les activités illicites sont
effectuées sur les marchés de « grains, grenailles, farines, substances farineuses, pain,
vin, ou toute autre boisson ». En effet, si l’on se projette dans l’avenir, les
préoccupations ne semblent pas avoir changées ! La loi sur la séparation et la
régulation des activités bancaires du 18 juillet 2013 comporte 6 mesures (mesures 27 à
323
) pour « lutter contre la spéculation sur les marchés de produits dérivés sur
matières premières agricoles ». Belle avancée en deux siècles pourrait-on dire de façon
ironique !
Les historiens s'accordent à dire que le premier « délit d'initié » de l'histoire remonte
au début du XIXème
siècle (plus précisément en 1815) avec le coup financier d'un
certain Nathan Mayer Rothschild. La famille Rothschild était déjà une famille aisée de
banquiers reconnus (son père, Mayer Amschel Rothschild, avait transformé une petite
affaire familiale de prêt sur gage en banque et société de gestion de fortune) mais
l'opération réalisée a définitivement assuré la fortune de la famille pour les
générations futures ainsi que sa suprématie dans les milieux financiers. Cet événement
est intéressant à plus d'un titre car, notamment, la qualification de délit d'initié serait
sujette à débat dans le contexte légal d'aujourd’hui. En effet, la répression est
particulièrement compliquée en matière boursière car elle est difficile à qualifier, à
prouver et à l’imputer à son auteur.
Les versions divergent. Deux grandes thèses s'affrontent, la thèse populaire (à laquelle
Victor Hugo fait notamment mention dans « Les Contemplations », recueil publié en
1856, dans le poème « Mélancholia ») et celle de chercheurs contemporains
(notamment Niall Ferguson d’Harvard University et Oxford University).
Le jeune Nathan Mayer Rothschild est envoyé à Londres par son père où il développa,
avec succès, une entreprise de textile. Puis, lors des guerres napoléoniennes, il joua un
rôle important grâce à l’assise financière de sa famille. Il finança les armées
britanniques et noua des liens privilégiés avec la couronne d’Angleterre. Lors de la
bataille de Waterloo, grâce à son réseau d'informateurs voire même à l'utilisation de
pigeons voyageurs, Nathan Mayer Rothschild aurait connu le résultat de la bataille de
Waterloo (18 juin 1815) un jour avant que l'information n'arrive en Angleterre : en
effet, il aurait eu connaissance de l’issue de la bataille de 20 juin au matin alors que le
3
http://www.economie.gouv.fr/files/reforme-bancaire-100-mesures.pdf - Les 100 mesures de la loi de
séparation et de régulation des activités bancaires
9/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
rapport du Duc de Wellington n’est arrivé à Londres que le 21 juin au soir. Il serait
difficile, aujourd'hui, de qualifier ceci de délit d'initié. En effet, l'information était-elle
librement à disposition du public? Si oui, il a en fait, grâce à une avancée
technologique, exploité l'inefficience du marché au regard de la circulation de
l'information. En faisant une analogie et en se projetant XXème
siècle et plus
précisément dans les années 1980, il aurait fait voyager l'information par ADSL à 8
mégabits par secondes là où tout le monde la faisait encore voyager par les lignes
téléphoniques limitées à 28 kilobits par seconde. La recherche et développement,
l'investissement, donne des avantages concurrentiels et il semblerait compliqué de
parler de délit d'initié. L’analogie est d’ailleurs intéressante dans la perspective où
nous parlerons de trading à haute fréquence où la technologie tient une place
prépondérante. Ou bien, l'information n'était pas encore publique. Ainsi, on peut très
bien imaginer qu'il aurait obtenu l'information avant la fin de la bataille : ses contacts
ont très bien pu lui faire parvenir des informations privilégiées obtenues auprès des
généraux de Napoléon 1er
ou ceux du Duc de Wellington faisant état d'une situation
désespérée pour les troupes de l’Empire et d'une défaite toute proche de ces
dernières. Nous serions là bien plus en adéquation avec le qualificatif contemporain de
délit d'initié.
Et de nos jours, en France, le Code Monétaire et Financier punit sévèrement le délit
d’initié. En son Article L465-1, il dispose qu’il est punissable de « deux ans
d'emprisonnement et d'une amende de 1,500,000 euros dont le montant peut être
porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement
réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les
dirigeants d'une société mentionnée […] et pour les personnes disposant, à l'occasion
de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur
les perspectives ou la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations
sur un marché réglementé […], de réaliser, de tenter de réaliser ou de permettre de
réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations
avant que le public ait connaissance de ces informations ».
Quoi qu'il en soit, après avoir reçu l'information, Nathan Mayer Rothschild aurait
propagé une fausse information: il aurait fait circuler une rumeur faisant état de la
victoire des troupes emmenées par Napoléon 1er
. Ainsi, la bourse de Londres s’écroula
et il en profita pour racheter à vil prix les actions, notamment, d’entreprises
industrielles anglaises. Quand la nouvelle de la victoire des troupes alliées arriva, le
marché se reprit évidemment puis flamba faisant la fortune de Nathan Mayer
Rothschild.
Si la qualification de délit d’initié est, on l’a dit, sujet à débat, la propagation de fausse
information serait aujourd’hui clairement condamnable. En France, le Code Monétaire
et Financer, en son Article L465-2, dispose qu’est punissable « le fait, pour toute
10/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et
moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou
la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché
réglementé ». Il s’agit d’un délit qui est « puni de deux ans d'emprisonnement et d'une
amende de 1,500,000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre,
jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende
puisse être inférieure à ce même profit » selon les dispositions de l’Article L465-1 du
Code Monétaire et Financer.
Niall Fergusson, quant à lui, propose une version moins empreinte de caractère
mythologique. Historien écossais spécialisé en économie et finance, il est souvent
controversé pour ses prises de positions idéologiques et son approche contrefactuelle.
Il a ceci dit publié un ouvrage largement reconnu, en deux tomes : « The House of
Rothschild » (en 1999 et 2000). Selon lui, Nathan Mayer Rothschild, qui finançait les
armées britanniques, apprend par son réseau d’informateurs l’issue de la bataille
avant l’arrivée officielle de la nouvelle. Il aurait été surpris par la victoire rapide des
troupes alliées à Waterloo et estimait que la bonne nouvelle pourrait pâtir sur les
cours de l’or et de l’argent. Or, son stock d’or et d’argent, utilisés à des fins de
financement, se serait alors fortement déprécié. Il achète alors des emprunts
publiques Britanniques en masse (une victoire britannique ferait baisser les taux
d’intérêts des emprunts publics et donc, mécaniquement, augmenter la valeur des
emprunts publics, c’est l’effet balançoire des produits de taux). Deux ans plus tard, la
valeur de ces emprunts britanniques s’étant appréciée, il aurait gagné plusieurs
millions de livres.
D’autres versions font état, outre le « délit d’initié » et la « propagation de fausse
rumeur » de « manipulation de marché » proprement dite. Après avoir reçu les
informations sur l’issue de la bataille, il aurait ostensiblement vendu des titres pour
crée une vague de panique et la rumeur circulait « Rothschild sait », « Waterloo est
perdu »… Les titres s’écroulèrent et Nathan Mayer Rothschild racheta en masse juste
avant que la bonne nouvelle n’atteigne Londres. Quoi qu’il en soit, le mythe est établi
et alimentent toutes les spéculations possibles et imaginables !
On voit donc que les comportements du passés n’avaient rien d’illégales mais
largement définies comme immorales et étant le fait d’opportunistes. Victor Hugo
manifestait son indignation et sa honte dans « Mélancholia » et pointait les inégalités
de la société du XIXème
siècle en préludes évident des « Misérables » : « Ce passant /
Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang; / Il jouait à la baisse, et montait à
mesure / Que notre chute était plus profonde et plus sûre; / Il fallait un vautour à nos
morts; il le fut; / [...] / Un million joyeux sortit de Waterloo; / Si bien que du désastre il
a fait sa victoire, / Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire, / Ce Shaylock, avec
le sabre de Blucher, / A coupé sur la France une livre de chair. / Or, de vous deux, c'est
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toi qu'on hait, lui qu'on vénère; / Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire, /
C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas! ».
III – La panique de 1907
C’est véritablement le début du XXème
siècle et la panique de 1907 qui donna le coup
d’envoi des régulations, tant par la création de lois que de structures de contrôle. A
l’origine de la panique de 1907, il y a deux stratégies : le « corner » et le « squeeze ».
Ces pratiques sont dorénavant considérées comme un abus de marché, un délit.
L’entreprise United Copper a été ciblée par les frères Heinze. Ils voulaient effectuer
une opération consistant à acheter un grand nombre d’actions de la société (la
majorité d’entre-elles) pour faire monter les cours, faire paniquer les vendeurs à
découvert et les forcer à se racheter. Or, possédant le stock principal de titres, les
frères Heinze deviendraient la contrepartie incontournable et ils pourraient imposer
leur prix et rendre leurs actions à la hausse. Les traductions de « corner » et
« squeeze » prennent alors tous leur sens imagé : l’on met les vendeurs à découvert
dans un coin, et, par un abus de position dominante et on les écrase. C’est en somme
un simple processus de raréfaction de l’offre et de manipulation de la demande.
Le principe est donc assez simple mais peut s’avérer compliqué en pratique. La
puissance capitalistique nécessaire est non-négligeable : il faut pouvoir financer les
achats d’actions. Malheureusement pour eux, les frères Heinze ont sous-estimé le
capital nécessaire pour mener à bien leur opération. Ils auraient dû acheter un nombre
bien plus important d’actions pour avoir une position majoritaire, ils n’en avaient ceci
dit pas la capacité financière. Alors, les vendeurs à découvert ont pu clôturer leurs
positions avec, certes, des moins-values parfois mais ceci dit sans aucune panique, les
frères Heinze n’étant pas la seule contrepartie à pouvoir vendre des actions United
Copper. L’arme s’est retournée contre eux. Ainsi, face à ce mouvement massif de
ventes, le prix ont commencé à descendre et les frères Heinze se sont retrouvés
porteurs d’actions dont le cours étaient en train de s’écrouler et ils paniquèrent et
durent eux-mêmes vendre leur titres dans des conditions catastrophiques. L’issue était
inexorable et ce fut leur faillite.
La faillite des frères Heinze fit des dommages collatéraux. En effet, ils furent incapables
de rembourser l’argent emprunté pour financer leur opération compte tenu de leurs
moins-values. Leur première banque, le State Savings Bank of Butte Montana, fit alors
faillite également. L’effet domino était déclenché, rien ne pourrait l’arrêter.
La panique se propagea, une crise de confiance émergea : la faillite d’une banque de
renom crée un « bank run », les épargnants voulant retirer leurs avoirs des banques.
Les actions des banques s’écroulèrent, puis par contagion le secteur financier et
finalement la globalité des marchés actions cédèrent à la panique et le 15 novembre
1907, les marchés actions avaient perdu 50% de leur valeur par rapport à leur plus
12/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
haut de l’année précédente. On ne compte pas le nombre d’épargnants ruinés, le
nombre d’entreprises ayant fait faillite et les conséquences économiques ont été
sévères : la production industrielle s’est écroulée de 11%, les imports ont reculé de
26% et le chômage a augmenté de 3% à 8%. C’est alors durant cette période qu’a été
mise en évidence l’existence de la délinquance en col blanc, les conséquences furent si
graves que le mouvement de régulation et de législation n’avait d’autre choix que de
s’amorcer, non seulement pour protéger les petits épargnants mais aussi pour garantir
la stabilité économique. Il était inacceptable que deux hommes puissent mettre en
péril l’économie d’un pays par des opérations sur les marchés financiers.
Quelques années plus tard, la Cour Suprême des USA s’est prononcée4
: l’opération
des frères Heinze fut officiellement qualifiée de fraude, la délinquance financière était
officiellement née (ils ne furent ceci dit pas condamnés pour d’uniques raisons de
procédure). Le terme « fraude » fut le qualificatif générique que la Cour Suprême
utilisa pour regrouper toute sorte de délit financier. Ainsi, les manipulations de
marchés et délits d’initiés sont alors définis comme inacceptable et devant déboucher
sur des condamnations.
C’est alors qu’en 1934 fut publiée le Securities and Exchange Act (dans le cadre
d’ailleurs du « new deal »), créant notamment la SEC (Securities and Exchange
Commission), organe de contrôle toujours existant. C’est la première loi du genre, elle
sera la base de toutes les régulations qui vont intervenir par la suite. C’est alors au
travers d’une crise que les USA ont été avant-gardistes au sujet de la législation
régissant les marchés financiers.
Le « corner » n’était pas une pratique nouvelle mais les conséquences furent les pires.
Un « corner » eut lieu en 1838 sur le coton américain et un autre eut lieu sur l’or à
New-York en 1869 mais n’ont eu que des conséquences mineures et à petite échelle.
La France quant à elle a connu un corner sur le cuivre dont les conséquences, en 1887,
furent mineures (la faillite de l’entreprise et le suicide de son dirigeant). C’est donc
véritablement le corner de 1907 qui eut les pires conséquences et créa la nécessité
d’un encadrement stricte des pratiques financières.
IV – Les bienfaits de la spéculation
La spéculation n’est pas nécessairement mauvaise, même si dans l’opinion publique
elle a souvent une connotation négative. Celui qui s’est enrichi par la spéculation est
mal vu, toujours soupçonné d’avoir utilisé de moyens malhonnêtes pour acquérir sa
fortune. Une étude sociologique serait possible sur le sujet mais les racines
chrétiennes de la France y sont peut-être pour quelque chose car plus que la
spéculation, c’est le riche qui est blâmé. Saint-Marc nous raconte d’ailleurs : « Il est
4
U.S. Supreme Court - United States v. Heinze, 218 U.S. 532 (1910) - No. 380 - Argued November 3,
1910, Decided December 5, 1910
13/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans
le royaume de Dieu »5
. La spéculation ne serait que le moyen d’une fin peu honorable.
Quoi qu’il en soit, y aurait-il une bonne et une mauvaise spéculation ? Non. Il y a d’un
côté la spéculation et de l’autre les abus de marchés : la spéculation, tant qu’elle n’a
pas recours à des méthodes illicites peut difficilement être remise en cause. Ce qui
sépare la spéculation des abus de marchés ce sont les lois et les divers règlements mais
dans aucun cas la morale. Difficile ceci dit que l’opinion publique puisse faire de réelle
différence lorsque les leaders politiques n’hésitent pas à surfer sur cette vague. Une
phrase de François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, est restée
célèbre : « mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne
présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet
adversaire, c'est le monde de la finance »6
. On peut, ceci dit, se heurter à un problème.
Que penser de la spéculation quand elle utilise des méthodes nouvelles qui, par la
suite, seront définies comme étant des abus de marchés ? Les spéculateurs cherchent
constamment de nouvelles méthodes d’arbitrage ou d’exploitation d’inefficience de
marché et il se peut qu’elles soient définies, à posteriori, comme abus de marché par
les régulateurs. C’est une des raisons pour lesquelles les textes sont larges et les
définitions des abus de marchés sont très sujettes à l’appréciation des régulateurs
mais, par conséquent, rend difficile l’apport de preuve irréfutable que certains
comportement inconnus jusqu’alors constituent des abus de marchés. Justin Fox,
directeur éditorial de l’Harvard Business Review reprenait à son compte7
un propos de
John Schwall (cadre dirigeant chez Royal Bank of Canada à l’époque) rapporté par
Micheal Lewis dans son ouvrage « flash boys » : « les marchés financiers ont toujours
été corrompus ou sur le point de l’être ». La frontière entre nouvelles méthodes de
trading et abus de marché semble mince et de toute façon difficile à définir.
Pierre Giraudeau l’Ainé définissait assez bien la spéculation en 17418
, sa définition
était très avant-gardiste et est toujours très actuelle : « spéculation, c'est acheter soi-
même ou faire acheter par quelques correspondants, soit pour son propre compte,
soit en participation, certaines marchandises, dans le temps qu'elles sont au-dessous
de leur prix ordinaire, pour les revendre ensuite, soit dans le même endroit où l'achat
est fait, soit en les faisant passer en d'autres endroits ». L’Académie Française a quant
à elle pour la première fois définie la spéculation en 17989
: « il se dit aussi des projets,
des raisonnements, des calculs que l'on fait en matière de banque, de finance, de
commerce, etc. Ses spéculations lui out réussi, lui ont mal tourné ». Le Petit Larousse
de 1905 donnait aussi une définition assez neutre de la spéculation : « combinaisons,
5
La Bible - Nouveau Testament - Evangile selon Saint-Marc - Chapitre 10 - Verset 25
6
Discours de François Hollande - Le Bourget - 22 janvier 2012
7
High Frequency Trading: Threat or Menace? - Justin Fox - 3 avril 214 -
http://blogs.hbr.org/2014/04/high-frequency-trading-threat-or-menace/
8
La banque rendue facile aux principales nations de l’Europe - Pierre Giraudeau l’Ainé - 1741
9
Dictionnaire de l’Académie Française - 5
ème
Edition - 1798
14/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
opérations en matière de banque, de commerce, etc ». L’exemple donné était ceci dit
négatif, pouvant communiquer le message subliminal que la spéculation n’était pas
une bonne chose : « se ruiner en spéculations hasardeuses ».
Les acheteurs ont un biais : ils veulent acheter un actif moins cher que son cours
actuel. Les vendeurs ont aussi un biais : ils veulent vendre un actif plus cher que son
cours actuel. Pour qu’une transaction soit réalisée, il faut, et c’est une évidence, que
l’acheteur et le vendeur soient d’accord sur le prix. C’est parfois difficile compte tenu
de leur biais respectif ! C’est particulièrement vrai sur les marchés de matières
premières qui étaient à l’origine avant tout des marchés de couverture : l’agriculteur
veut vendre plus cher son blé que le meunier ne veut l’acheter. C’est là qu’intervient le
spéculateur, il apporte la liquidité au marché. En effet, les acheteurs et vendeurs, pour
réaliser leurs transactions sont souvent tributaires d’un spéculateur qui va leur
apporter de la liquidité en acceptant de prendre un risque sur les marchés financiers.
La spéculation est donc bonne pour les marchés financiers, elle fluidifie la formation
des prix.
La spéculation est partout. Un petit épargnant qui a un PEA et qui achète des actions
est un spéculateur, il anticipe une hausse des cours. Un particulier qui emprunte à taux
variable pour l’achat de sa maison est un spéculateur, il anticipe une baisse des taux
d’intérêt. Une municipalité des Hauts-de-Seine de 30,000 habitants (Châtenay-
Malabry) qui emprunte €11 millions avec une formule d’indexation du taux d’intérêt
sur la parité de l’euro avec le franc suisse est une spéculatrice, selon la formule, elle
anticipait une hausse de la parité, le contraire s’étant produit, elle s’est retrouvé avec
un taux d’intérêt de 32.51%10
. Un acheteur de blé, chez un meunier, qui indexe ses prix
de vente de farine sur les cours du blé et qui achète son blé avant d’avoir conclu une
vente de farine est un spéculateur, il anticipe une hausse du prix du blé. Si la
spéculation est bonne, elle n’est pas néanmoins sans risque. Nul doute que l’opinion
publique n’aurait jamais entendu parler des emprunts toxiques mentionnés ci-avant si
les scenarii de marchés avaient été favorables aux contractants ! L’aspect péjoratif de
la spéculation pourrait alors tout simplement venir du fait que, pour simplifier, c’est un
jeu à somme nul. Les gagnants font leurs gains au détriment des perdants… Est-ce
juste et moral ? C’est une question philosophique voire théologique ! C’est en tous cas,
si les règles sont respectées, légal.
V – Les organes de contrôle actuels
A – Aux USA
Le premier organisme crée fut la SEC, dépendant du gouvernement fédéral. La SEC
comporte aujourd’hui 5 divisions aux prérogatives différentes : la surveillance des
10
http://emprunttoxique.info/change/
15/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
entreprises, la surveillance des marchés financiers, la surveillance des fonds de
pension, la cellule d’enquête et la division innovations.
C’est la cellule d’enquête qui est en charge de veiller à faire respecter les lois et
règlements. Elle a un pouvoir civil et administratif mais en aucun cas pénal. Si elle a
autorité en matière civile et administrative, des poursuites pénales ne peuvent être
entreprises que par le procureur saisi par la SEC. Ainsi, très souvent, les sanctions
administratives (suspension des licences de trading) et civiles (amendes) ne donnent
pas lieu à des poursuites pénales, les parties signant très souvent des transactions
financières et les dossiers ne sont pas transmis au procureur. Mais c’est aussi du fait
que la constitution de l’infraction pénale est souvent difficile à démontrer.
L’organisme a fortement été critiqué lors de l’affaire Bernard Madoff (condamné
pénalement le 12 mars 2009). Son incapacité à détecter la fraude la plus grande de
l’histoire des Etats-Unis a été pointée du doigt. En effet, l’ampleur ($65 milliards) et la
simplicité de stratagème (un système de Ponzi) ont nourri les spéculations les plus
vives quant à l’existence de complicité internes, de lobbying ou de conflits d’intérêts.
Elle n’a réagi que le 19 décembre 200811
que lorsque l’affaire a été révélée au grand
jour (ses enfants l’ont dénoncé le 10 décembre 2008), prenant connaissance de la
fraude en même temps que tout le monde. Bernard Madoff a été condamné au pénal
à 150 ans de prison12
.
Son pouvoir est ceci dit très conséquent, les exemples récents l’ont montré. En
novembre 2012, la SEC a condamné British Petroleum13
suite à l’explosion de sa
plateforme pétrolière Deepwater Horizon (en avril 2010) dans le Golfe du Mexique où
du pétrole s’est rependu dans l’océan. Alors BP a essayé de minimiser l’ampleur du
problème pour des évidentes raisons de relations publiques et d’image de marque
mais la SEC a estimé qu’il s’agissait aussi de propagation de fausse information
pouvant tromper les marchés financiers et les actionnaires. Ainsi, la sanction financière
fut incommensurable : $525 millions. En 2010, la banque Goldman Sachs a signé une
transaction avec la SEC14
mettant fin, pour $550 millions, à l’enquête de la SEC sur les
tromperies présumées de Goldman Sachs pendant la crise des « subprimes » où elle
aurait misé contre les produits qu’elle commercialisait à ses clients. Malgré l’ampleur
11
Litigation Release No. 20834 / December 19, 2008 - SEC v. Bernard L. Madoff and Bernard L. Madoff
Investment Securities LLC (S.D.N.Y. Civ. 08 CV 10791 (LLS)) - SEC Obtains Preliminary Injunction, Asset
Freeze, and Other Relief Against Defendants
12
United States v. Bernard L. Madoff, 09 Cr. 213 (DC)
13
Litigation Release No. 22531 / November 15, 2012 - SEC v. BP p.l.c., Case No. 2:12-cv-02774 (E.D. La.
Nov. 15, 2012) - BP to pay $525 million penalty to settle SEC charges of securities fraud during
Deepwater Horizon oil spill
14
Litigation Release No. 21592 / July 15, 2010 - SEC v. Goldman, Sachs & Co. and Fabrice Tourre, Civil
Action No. 10 Civ. 3229 (S.D.N.Y. filed April 16, 2010) - Goldman Sachs to pay record $550 million to
settle SEC charges related to subprime mortgage CDO
16/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
de la sanction financière, elle fut considéré comme une gentille tape sur le poignet au
regard de l’ampleur des conséquences.
Le second organisme fédéral revêtant une grande importance est la Commodity
Futures Trading Commission. La commission est en charge du contrôle des opérations
des marchés dérivés (futures, options, swaps,…). Elle remplace, en 1974, la Commodity
Exchange Authority (crée en 1936). Si à l’origine, comme son nom l’indique, elle était
spécifiquement dédiée aux marchés dérivés de matières premières (« commodity »)
dont les marchés étaient destinés à être des marchés dérivés de couverture des
risques de prix, la financiarisation des autres classes d’actifs et la généralisation des
produits dérivés ont fait qu’elle englobe dorénavant tous les marchés dérivés. La CFTC
contrôle les intermédiaires (courtiers), teneurs de compte (compensateurs), les
activités sur les marchés et se charge de faire respecter les règles. Au même titre que
la SEC, les sanctions sont civiles et administratives, en aucun cas elles ne sont pénales.
A sa discrétion, la CFTC peut transmettre des dossiers aux cours fédérales pour que le
volet pénal des affaires soit éventuellement traité. Ainsi, les bourses de Chicago (le
Board of Option Exchange, le Board of Trade, le Mercantile Exchange), du Kansas (le
Board of Trade), de Minneapolis (le Grain Exchange) et de New-York (le Mercantile
Exchange) sont toutes régulées par la CFTC.
Son pouvoir est très significatif. Ainsi, en janvier 2008, le courtier MF Global ne s’est
pas rendu compte que l’un de ses employés prenait des positions massives et non
autorisées sur les marchés dérivés de blé. Les opérations malheureuses ont enregistré
une perte de $141 millions. La CFTC a alors pointé qu’il était inacceptable que de telles
opérations soient restées indétectables par le service des risques. Alors, l’amende
infligée fut de $10 millions15
. L’employé, Evan Brent Dooley, fut quant à lui condamné
au pénal à 5 ans de prison et $141 millions de dommages et intérêts16
. A titre de
comparaison, la France a connu un cas similaire, l’affaire Kerviel et les conséquences
pénales pour l’intéressé furent similaires en première instance : 5 ans de prison (dont 2
avec sursis) et le montant total de la perte (dans le cas d’espèce €4.9 milliards) en
dommages et intérêts17
. La Société Générale, quant à elle, a reçu un blâme et une
sanction de €4 millions par la Commission Bancaire18
. Il est intéressant de constater
que le montant de la sanction financière infligée à MF Global représente 7% de la
perte alors que le montant de la sanction financière infligée à la Société Générale ne
représente que 0.08% de la perte. La culture de sanction financière aux USA et la
répression drastique des crimes et délits financiers prend alors tout son sens !
Ironiquement, le courtier MF Global fit finalement faillite le 8 novembre 2011 et reste
à ce jour la 8ème
plus grosse faillite de l’histoire des Etats-Unis.
15
Release: 5763-09 - CFTC Sanctions MF Global Inc. $10 Million for Significant Supervision Violations
between 2003 and 2008
16
United States of America vs. Evan Brent Dooley - No 10 CR 335 - Judge Robert M. Dow, Jr
17
Jugement du 5 octobre 2010, 11
ème
chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris
18
Bulletin officiel du CECEI et de la Commission Bancaire - n°5 - Juillet 2008
17/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Enfin, la CFTC plaide pour la transparence et reste le seul régulateur de marchés
dérivés à publier des statistiques fiables sur les marchés des matières premières au
travers, notamment, du Commitment of Traders (COT). Toutes les semaines, la CFTC
publie des rapports séparant les prises des positions entre spéculateurs (fonds de
pension, banques,…) et les commerciaux (opérateurs utilisant les marchés comme
marchés de couverture où allant à la livraison physique : producteurs, industriels,
négociants,…).
Le système financier américain cherche à s’autoréguler au maximum. Ainsi, la FINRA
(Financial Industry Regulatory Authority) est une agence privée ne dépendant pas du
gouvernement fédéral contrairement aux deux précédentes. Elle est en charge de
mettre en place des règles pour les intermédiaires financiers et les opérateurs de
marchés. Elle est financée exclusivement par ses membres. Ainsi, en Mars 2014, la
FINRA comptait 4,142 membres soit 633,155 opérateurs de marchés19
. En termes de
taille (nombre d’employés), cette agence est aussi grosse que la SEC et 10 fois plus
grosse que la CFTC ! Les règles sont prises très au sérieux et les sanctions
administratives, civiles et pénales sont si lourdes que le secteur financier veut
s’autoréguler et tout faire pour que certains conflits restent des conflits d’ordre privé.
Ainsi, dans les faits, la FINRA est devenu le plus gros tribunal arbitral des USA. Il y a
entre 3,000 et 8,000 demandes d’arbitrages par an20
.
Outre les litiges contractuels entre sociétés, la FINRA cherche aussi à protéger les
investisseurs individuels. Ainsi, un type fréquent de litiges à attrait à la vente de
produits financiers aux personnes âgées. La FINRA a par exemple tranché le fait que
vendre un produit financier à une personne de 77 ans avec une clause de pénalités de
rachat sur 10 ans n’était pas approprié. Ainsi, le 14 mai 2010, la société Ameriprise
Financial Services a été condamnée à payer $266,000 dollar pour manquement au
devoir d’information21
.
Le secteur financier aux USA est donc fortement régulé et les sanctions civiles,
administratives et pénales sont souvent très lourdes. La culture de la transaction y est
assez développée et soulève de temps en temps la critique d’une justice à deux
vitesses où l’argent peut éviter les sanctions pénales.
B – En France
Le principe de la double répression (pénale et administrative) est aussi en place. Les
arbitrages, transactions ou compromissions avec les agences d’Etat sont ceci dit
sujettes à débat et pour l’instant très encadrées. L’Article 2060 du Code Civil dispose
que « On ne peut compromettre [...] sur les contestations intéressant les collectivités
19
www.finra.org/Newsroom/Statistics/
20
www.finra.org/ArbitrationAndMediation/FINRADisputeResolution/AdditionalResources/Statistics/
21
FINRA Dispute Resolution 08-04425 - Guenther Roth vs. Ameriprise Financial Services and David Tysk
18/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières
qui intéressent l'ordre public. Toutefois, des catégories d'établissements publics à
caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à
compromettre ». Le Conseil d’Etat disait ceci dit en 198622
que « les personnes morales
de droit public ne peuvent pas ses soustraire aux règles qui déterminent la
compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la
solution des litiges auxquels elles sont parties ». L’arbitrage est donc, dans ces
circonstances très rare, et quand il a tout de même lieu, cela ouvre la porte à la
controverse. Ainsi, le 3 septembre 2008, le député Charles de Courson a rappelé, en
commission des finances à l’Assemblée Nationale23
, au sujet de du contentieux entre
le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie qu’il était « légitime de s'interroger plus avant sur
les possibilités d'un recours à l'arbitrage pour une structure, le CDR, qui est certes
constituée sous la forme d'une société anonyme, mais dont la surveillance et la gestion
financière relèvent directement d'un établissement public administratif – l'EPFR. Or, le
recours à l'arbitrage a toujours été exclu par principe pour les personnes publiques,
ainsi que le précise très nettement, et en des termes particulièrement larges, l'Article
2060 du code civil, qui dispose qu'on ne peut compromettre sur les contestations
intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus
généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public. Le Conseil d'État
a érigé cette interdiction en principe général du droit dans son avis du 6 mars 1986. Les
seules dérogations qui ont été apportées à cette règle concernent à ce jour les
différends des personnes publiques relatifs à la liquidation de leurs dépenses de
travaux publics et de fournitures, les litiges nés autour des contrats conclus pour la
réalisation d'opérations d'intérêt national entre plusieurs personnes publiques et une
entreprise étrangère ou l'obtention par l'Etat du retour d'un bien culturel ».
La loi de sécurité financière du 1er
août 200324
a créé l’Autorité des Marchés Financiers
(AMF). Jusqu’alors, il existait 3 organismes prudentiels : la Commission des Opération
des de Bourse (COB), le Conseil des Marchés Financiers (CMF) et le Conseil de
Discipline de la Gestion Financière (CDGF). Leur regroupement a permis une
simplification, des synergies et la suppression des redondances. La COB, organisme le
plus proche de l’AMF actuelle, fut créée en 1967, bien plus tard, donc, que la SEC
américaine.
L’Article L621-1 du Code Monétaire et Financier précise son statut : l’AMF, « autorité
publique indépendante dotée de la personnalité morale, veille à la protection de
l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant
22
Conseil d’Etat - Avis n°339710 du 6 mars 1986
23
Rapport d'information déposé en application de l'Article 145 du Règlement par la commission des
finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire relatif au contentieux entre le Consortium
de réalisation (CDR) et le groupe Bernard Tapie et présenté par M. Jérôme Cahuzac, Député:
http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3296.asp#P243_63939
24
Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière
19/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon
fonctionnement des marchés d'instruments financiers. Elle apporte son concours à la
régulation de ces marchés aux échelons européen et international ».
L’AMF a un pouvoir réglementaire somme toute relativement identique à ses
homologues étrangers : elle édicte des règles régissant les entreprises faisant appel
publique à l’épargne où émettant des instruments financiers, elle édicte les règles
relatives aux offres publiques et elle régule les professions financières (en des termes
de conditions d’accès ou de déontologie notamment). Toutes ces règles sont reprises
dans son Règlement Général25
. Son Livre VI, « Abus de marché : opération d’initiés et
manipulation de marché » nous intéresse tout particulièrement. Plus que de définir
clairement quels sont les abus de marchés, le cadre général fixe quelles
comportements sont jugés acceptables, ainsi, il est parfois difficile d’identifier si un
comportement doit être considéré comme un abus de marché ou non. L’Article 612-2
fixe le cadre de l’acceptabilité des comportements : ainsi, les opérations doivent être
« transparentes », ne pas enfreindre la libre interaction entre « l’offre et la demande »,
ne pas impacter la « liquidité et l’efficience du marché », respecter les « mécanismes
de négociation », ne pas impacter « l’intégrité » des marchés, se conformer aux
recommandations émises par tout « contrôle » ou « enquête » et respecter les
« caractéristiques structurelles du marché concerné ». Autant dire que le pouvoir
d’appréciation discrétionnaire de l’AMF est important et, conséquence, rend difficile
l’identification des abus de marchés, notamment les nouveaux, la créativité étant
malheureusement sans limite dans le domaine.
La manipulation de marché fait l’objet du Titre III de ce même livre et ne semble pas
rendre véritablement plus clair les techniques de manipulation de cours et se borne à
encadre le concept. Ainsi, l’Article 631-1 définit comme manipulation le fait de
« donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours
d'instruments financiers » ou de fixer « le cours d'un ou plusieurs instruments
financiers à un niveau anormal ou artificiel ». Aussi, est considéré comme de la
manipulation le fait d’avoir recours à des « procédés donnant une image fictive de
l'état du marché » en usant de « tromperie ou d'artifice » tels que la création de
« conditions de transaction inéquitables » par la création d’une « position dominante
sur le marché » ou « d’entraver l’établissement » des prix.
Les définitions sont donc plutôt larges ce qui, peut-on penser, pourrait donner un
avantage à l’AMF pour lui permettre de définir comme manipulation ou abus une large
gamme de comportement. Cependant, le corolaire est que le manque de précision
ouvre la voie à autant de contestations.
25
Règlement Général de l’AMF en vigueur : http://www.amf-france.org/Reglementation/Reglement-
general-et-instructions/Reglement-general-en-vigueur/
20/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Ainsi, une méthode de manipulation connue sous le nom de « spoofing » semble
clairement prohibée selon les dispositions du Règlement Général de l’AMF. Nous y
reviendrons en détail mais cette stratégie a comme fondement l’utilisation d’ordres, à
grande échelle, destinées à être annulés, en vue de polluer le carnet d’ordre et
d’influencer les autres opérateurs. L’annulation d’ordre étant tout à fait autorisée, l’on
va se heurter à au moins deux difficultés majeures : comment prouver l’intention
qu’un ordre n’avait jamais vocation à être exécuté ? Comment déterminer le nombre
d’ordres à partir duquel il s’agirait d’un procédé « donnant une image fictive de l'état
du marché » ? On commence donc à cerner les difficultés que les régulateurs des
différents pays auront à parfaitement encadrer le trading à haute fréquence. La
répression s’annonce donc particulièrement compliquée et de nombreuses pistes de
luttes contre la manipulation de marché passent par l’instauration de mesures
préventives (pénalités financières par exemple) mais ouvrirait la voix à la création d’un
marché à deux vitesses : ceux qui peuvent payer, et ce qui ne peuvent pas…
Sur les volets administratifs et disciplinaires, l’AMF est dotée d’un pouvoir de sanction.
Le Président de l’AMF saisira, sur le volet pénal, la juridiction adéquate si nécessaire.
L’AMF a sanctionné, le 20 décembre 2007, Antoine Nodet à une sanction pécuniaire26
de €250,000. Il me plait de citer cet exemple non seulement parce que dans le cadre
du « spoofing » et du « wash trade » (méthodes largement utilisées en trading à haute
fréquence) elle est particulièrement intéressante, mais aussi d’un point de vue
personnel car Antoine Nodet, ancien administrateur de la Société Française des
Analystes Financiers (SFAF) a été mon professeur à l’Ecole Libre de Sciences
Commerciales Appliquées (ESLSCA)27
. En l’espèce, en 3 mois, la liquidité (représentée
ici par les nombre de transactions réalisées) d’une action cotée sur l’Eurolist
Compartiment C d’Euronext (actions, non cotées en continue, de PME dont la
capitalisation boursière est inférieure à €150 millions, autrement dit les plus petites
sociétés cotées en bourse et les moins liquides) a été multipliée par plus de 12 et le
cours a été multiplié par 9… Il n’en fallait pas plus pour éveiller les soupçons de l’AMF.
L’AMF, après enquête, a reproché à Antoine Nodet d’avoir réalisé de « façon
récurrente des opérations en face à face » et d’avoir procédé à « des annulations
d’ordres récurrentes ». Ainsi, les profits indûment réalisés ont été évalués à €80,000,
alors, la sanction représente plus de 3 fois les profits réalisés. Il sera intéressant de voir
le ratio des sanctions lorsqu’un cas de profit énorme se présentera au travers de
manipulation de marché identique effectuée par une société de trading à haute
fréquence.
26
AMF - Décision de la Commission des Sanctions à l’égard de M. Antoine Nodet - 1
ère
section de la
commission des sanctions de l’AMF - 20 décembre 2007
27
http://www.eslsca.fr/contacts-3e-cycle-specialise-analyse-finaciere.html
21/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
Le zèle de l’AMF est parfois bien moindre et l’affaire EADS a défrayé la chronique. Au
deuxième trimestre 2006, Airbus a de sérieux problèmes. Les dirigeants et gros
actionnaires discutent de la dégradation inéluctable de rentabilité d’Airbus, des
problèmes industriels que subit l’A380 et de la révision du programme de livraison de
l’A350. Ces informations ne sont alors pas publiques et l’AMF va alors enquêter sur des
ventes de titres EADS suspects des gros actionnaires (notamment Daimler et
Lagardère) et de membres du comité exécutif. Ont-ils agi sur la base de ces
informations ? Etait-ce de l’information privilégiée ? Le calendrier est troublant. Le
rapport de l’AMF28
note : « le 4 avril 2006, après la clôture du marché, les groupes
Lagardère et Daimler ont annoncé leur décision de céder, chacun et de concert, 7,5 %
du capital d’EADS. […] Au cours du mois de mars 2006, le service de la surveillance des
marchés de l’Autorité des marchés financiers a identifié de nombreuses cessions
d’actions EADS, consécutives à la levée d’options par certains des dirigeants d’EADS.
[…] Le 13 juin 2006, après la clôture, Airbus a annoncé un décalage du calendrier de
livraison de l’A380, en raison de difficultés industrielles de gestion de montée en
cadence de la production. EADS a publié le même jour un avertissement sur
résultats ». L’AMF a ceci dit conclu, entre autre, que les informations dont
bénéficiaient les personnes visées ne constituaient pas une « information privilégiée
au sens des dispositions […] de l’Article 621-1 du règlement général de l’AMF ». Ainsi,
l’AMF décida de « mettre hors de cause » la totalité des protagonistes. Les plus
mauvaises langues, dans la presse, ont largement cité cette morale « Selon que vous
serez puissant ou misérable, / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »29
.
Ainsi, Colette Neuville, présidente de l’Association de Défense des Actionnaires
Minoritaires (ADAM), disait30
: « circulez, il n'y a rien à voir, c'est ce qu'on nous dit.
C'est un véritable scandale, cela va au-delà de tout ce que l'on pouvait imaginer ». De
leur côté, il est vrai que même les proches du dossier ont été surpris. Ainsi, la même
dépêche rapporte les propos d’une source anonyme : « on ne s'attendait pas du tout à
cela »…
Enfin, si les compromissions et les transactions, on l’a vu, sont très encadrées, il existe
une méthode de transaction homologuée qui s’appelle un accord de composition
administrative. En effet, la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire
et financière a modernisé les procédures des sanctions de l’AMF. L’Article 7 de la loi
crée le concept de « composition administrative » pour des procédures relatives à des
manquements commis par des intermédiaires financiers vis à vis de leurs obligations
professionnelles. Autrement dit, il est impossible de recourir à cette voie en ce qui
28
AMF - Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers réunie en séance plénière -
Décision de la commission des sanctions à l’égard de MM. Olivier Andries, François Auque, Fabrice
Bregier, Charles Champion, Henri Courpron, Ralph Crosby Jr, Thomas Enders, Alain Flourens, Noël
Forgeard, Jean-Paul Gut, Gustav Humbert, Jussi Itävuori, John Leahy, Erik Pillet, Andreas Sperl, Thomas
Williams, Stefan Zoller et des sociétés EADS NV, Lagardère SCA, et Daimler AG - 27 novembre 2009
29
Jean de la Fontaine - Les Animaux malades de la Peste - Fables de la Fontaine - Livre VII - Fable 1
30
Reuters - 18/12/2009
22/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
concerne les abus de marchés. Cela permet ainsi d’éviter que la commission des
sanctions de l’AMF ne soit saisie dans des cas mineurs et très spécifiques et les
sanctions sont la plupart du temps d’un faible montant (le bénéficiaire étant le Trésor
Public) et la société à laquelle les griefs ont été exposés s’engage à prendre des
mesures correctives. Ainsi, 12 accord de composition administratives ont été signées
depuis que la possibilité est offerte et, par exemple, le 14 mars 2012 avec la société
Alis Capital Management31
. La thématique nous intéresse particulièrement puisque
elle implique un FCIMT (Fonds Commun d’Intervention sur mes Marchés à Terme, les
Hedge Funds à la française) dont une partie est gérée de façon quantitative et
systématique (on parle de trading algorithmique, cela nous intéresse dans le cadre du
trading haute fréquence). Le « défaut de permanence de moyens humains » ayant
conduit à « une absence partielle ou totale de gestion effective » ayant engendré des
pertes. Il est aussi reproché à la société de ne pas avoir communiqué sur cette
situation auprès des porteurs. L’accord comprend une sanction de €20,000 et
l’engagement par la société de documenter ses modèles quantitatifs pour, qu’en cas
d’absence du gérant, son remplaçant puisse gérer les positions de façon effectives. Il
s’agit donc de manquements mineurs mais soulève ceci dit un point important : les
modèles doivent être documentés et, on le verra par la suite, les trading haut
fréquence surfe sur la vague de l’opacité en premier lieu pour ne pas ébruiter les
secrets de leurs modèles mais aussi pour, malheureusement, essayer d’éviter les
contrôles et sanctions.
C – Au Royaume-Uni
Si la France c’est dotée relativement tard d’un organisme de contrôle, c’est encore plus
tard qu’est apparu un tel organe : en 1985, sous le nom de The Securities and
Investments Board. Son inefficacité a été pointée du doigt dans la faillite de la banque
Barings (banque menée à la faillite en 1995 par un seul et unique trader, Nick Leeson)
et l’organisation s’est restructurée, a augmenté ses pouvoirs et est devenu, en 1997, la
FSA, Financial Services Authority. Elle régulait alors les banques, les assurances, les
sociétés d’investissements, les conseillers en investissement financiers, les organismes
de crédit spécialisé,… La crise des subrpimes, la faillite de Lehman Brothers et la crise
économique ont déstabilisé les banques du Royaume-Uni, Si bien, qu’à deux reprises,
en 2008 et 2009, l’Etat a du renflouer les banques (la première fois pour £500
milliards, la seconde pour £50 milliards). Le symbole du vacillement du système
bancaire britannique fut représenté par The Royal Bank of Scotland (RBS), qui fut
pendant un (très court) laps de temps la plus grande banque mondiale avant de se
trouver au bord de la faillite et d’être, dans les faits, nationalisé en quasi-totalité
31
AMF - Accord de Composition Administrative conclu le 14 mars 2012 avec la Société Alis Capital
Management
23/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
puisque l’Etat, au fur et à mesure des plans de recapitalisation, se retrouve actionnaire
à hauteur de 84%32
.
Attisé par des protestations de l’opinion publique, des émeutes en marge du G20 de
Londres en 2009, la prise de pouvoir des conservateurs en 2010, l’Etat s’est lancé dans
des reformes financières structurelles se traduisant par le Financial Services Act en
2012.
La Financial Services Authority fut alors séparée en trois, le Financial Policy Comitee, la
Prudential Regulation Authority et la Financial Conduct Authority33
. Le premier est un
comité dépendant de la Bank of England et est chargé d’identifier les risques macro-
économiques et les risques menaçant la stabilité du système financier. Il a un pouvoir
consultatif et fournit des recommandations aux deux autres autorités. La Prudential
Regulation Authority, dépendant également de la Bank of England, se charge d’établir
les règles prudentielles des banques, établissements de crédit, assurances et société
d’investissement. Elle veille notamment au respect des ratios de liquidité établis par le
Comité de Bâle. Ces deux établissements nous intéressent moins dans le cadre de
notre étude. C’est en effet la Financial Conduct Authority qui a récupéré les principales
prérogatives en matière de marchés financiers.
La Financial Conduct Authority contrôle toute les entreprises financière, elle s’assure
que les lois et les règles sont respectées et que les comportements des opérateurs
n’entravent pas le bon fonctionnement des marchés ou leur intégrité. Aussi, l’autorité
veille à ce que les clients soient traités avec équité en toute transparence et que les
informations de marché nécessaires leurs soient bien transmises.
La FCA vient d’aboutir à la conclusion d’une enquête ayant défrayé les chroniques
financières outre-manche et a abouti à la condamnation de Barclays à £26 millions
d’amende34
. Un trader de la banque avait découvert une faille dans le mécanisme de
fixation des cours de l’or. Ainsi, en manipulant le fixing de l’or, la banque a évité de
payer des livraisons d’options digitales (le trader, Daniel James Plunkett, manipulait le
fixing pour que le cours de compensation de l’or finisse au-dessus ou au-dessous de la
barrière qui l’intéressait pour ses options). Le trader a été banni de la profession.
Ce genre des manipulations semble malheureusement courant quand des fixings de
taux sont concernés et ce cas fait écho au précédents cas où Barclays était déjà
impliqué : le scandale des fixings du LIBOR et de l’EURIBOR. Les banques RBS, Barclays,
HSBC, Deutsche Bank, JP Morgan et Citibank se seraient livrées à des ententes pour
32
RBS axes 3,700 jobs as taxpayer stake hits 84% - The Guardian - Jill Treanor -
http://www.theguardian.com/business/2009/nov/02/rbs-slash-costs-cuts-jobs
33
HM Treasury - Press release - Financial Services Bill receives Royal Assent - 19 décembre 2012 -
https://www.gov.uk/government/news/financial-services-bill-receives-royal-assent
34
FCA - Barclays fined £26m for failings surrounding the London Gold Fixing and former Barclays trader
banned and fined for inappropriate conduct - 23/05/2014
24/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
manipuler le fixing des taux LIBOR et EURIBOR… Depuis 199135
! Barclays s’est vu
infliger une amende de $200 millions36
par la CFTC, $160 millions par la justice
américaine37
. L’UBS, quant à elle a récolté un total de $1.5 milliard de pénalités
financières38
. Le courtier ICAP s’en sort mieux puisqu’il n’a récolté qu’un total de $87
millions de pénalités39
. Enfin, la Commission Européenne40
, au travers de son autorité
de la concurrence a notamment condamné RBS, Deutsche Bank et JP Morgan à un
total, à eux trois, de €599 millions. Citigroup a reçu une immunité partielle (se faisant
tout de même condamner à €70 millions) et UBS une immunité totale ayant été les
premiers à dénoncer les infractions. Les manipulations de ce type sont alors prises très
au sérieux.
D – Les organes supranationaux
Deux organes supranationaux méritent d’être cités : l’International Organization of
Securities Commission (IOSCO) et l’European Securities and Market Authority (ESMA).
La première organisation a exposition mondiale, la seconde a une exposition
européenne.
L’IOSCO compte plus de 100 membres et couvre ainsi plus de 90% des marchés
financiers. Son but est d’émettre des recommandations et des principes communs, un
code de conduite commun, de réfléchir en commun à des améliorations et
harmonisation des règles et de leurs applications.
L’ESMA a quant à elle l’objectif de créer, à terme, un organe de contrôle européen
unique qui aurait un réel pouvoir de contrôle et de sanction. En somme, l’objectif
serait d’harmoniser réellement les règles à l’échelle européenne en vue de garantir la
stabilité des marchés financiers et la protection des investisseurs. Nous en sommes
encore loin et l’institution se cantonne à émettre des recommandations pour les pays
membre et de produire des rapports.
Ainsi, ces deux institutions sont pour le moment plus consultatives et spéculatives que
réellement opérative. Elles sont ceci dit très utiles en ce qui concerne le partage
d’information et les retours d’expérience. On imagine mal l’IOSCO sortir de ce modèle
compte tenu du nombre de ses membres mais l’ESMA a clairement plus d’espoir
35
Financial Times – 27 juillet 2012 - My thwarted attempt to tell of Libor shenanigans - Douglas Keenan
36
CFTC Press Release PR6289-12 - CFTC Orders Barclays to pay $200 Million Penalty for Attempted
Manipulation of and False Reporting concerning LIBOR and Euribor Benchmark Interest Rates - 27 juin
2012
37
Department of Justice - 27 juin 2012 - Barclays Bank PLC Admits Misconduct Related to Submissions
for the London Interbank Offered Rate and the Euro Interbank Offered Rate and Agrees to Pay $160
Million Penalty
38
BBC News - UBS fined $1.5bn for Libor rigging - 19 décembre 2012
39
NY Times Dealbook - U.S. and British Officials Fine ICAP in Libor Case - 25 septembre 2013
40
Commission Européenne - IP/13/1208 - Antitrust: Commission fines banks € 1.71 billion for
participating in cartels in the interest rate derivatives industry - 4 décembre 2013
25/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
d’évolution si le modèle actuel de la construction européenne perdure, ce qui semble
le cas puisque l’Union Européenne, on le verra, semble vouloir compléter par un volet
pénal la directive de référence des abus de marchés.
26/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
TITRE 2 – Les définitions légales des abus de marchés
I – Les différents abus de marchés
Le but est ici de présenter succinctement les différents types d’abus de marché dans
des termes vulgarisés. En effet, les abus de marchés, au niveau juridique ou
réglementaire, on le verra, sont décrits de façon assez large en vue de ne pas être trop
spécifique pour permettre d’inclure, à posteriori, des stratégies inconnues mais
considérées finalement comme des abus. Etre trop précis ouvrirait la voie à des
argumentations consistant à dire que si l’abus n’est pas décrit comme tel, ce n’en n’est
pas un. Le corollaire est que le manque de précision ouvre la porte, aussi, à de
nombreux débats sur ce qui est considérée, au point de vue légal, comme un abus de
marché ou non. Aussi, cela nous permettra de façon plus aisée de voir quelles
stratégies sont spécifiquement amenées à être utilisées par le trading à haute
fréquence.
Le délit d’initié est l’abus de marché que le grand public connaît le plus tant il est mis
en scène dans de nombreux films (« Wall Street » notamment). Il s’agit du fait d’utiliser
de l’information non publique pour opérer sur un titre. Le statut d’initié est, en
quelque sorte, transmissible. Si l’initié est d’abord celui qui, par sa position, par
exemple, dans une entreprise a accès à de l’information (notamment financière) non
publique, il transmettra ce statut à toute personne, même extérieure, à qui il
communiquerait cette information que ça soit de façon justifiée ou non d’ailleurs (la
communication de l’information peut être tout à fait justifiée, à un consultant par
exemple, ou non, par exemple à un membre de la famille ou à un ami pour que celui-ci
puisse bénéficier de l’information). Il va sans dire que celui qui obtient de l’information
privilégiée de manière illégale (vol, espionnage,…) sera bien évidemment considéré
comme initié s’il l’utilisait. La façon dont est obtenue l’information est primordiale
mais aussi difficile à appréhender. En effet, si un riverain d’une centrale EDF était
témoin de son explosion et décidait de vendre l’action en bourse, l’information ne
serait pas considérée comme privilégiée, elle est à disposition de tout un chacun. Par
contre, si un serveur de restaurant surprenait une conversation entre deux PDG au
restaurant, le cas est plus compliqué. Cela dépendrait du type d’information : les
discussions sur les profits sont moins sensibles que les discussions sur les fusions, par
exemple. Le cas est spécifiquement prévu aux Etats-Unis dans le « Code of Federal
Regulations »41
. En effet si « quiconque » dispose de manière « directe ou indirecte »
de l’information « qu’il sait privilégiée ou à raison de croire qu’elle l’est », il pourra être
considéré comme initié. En comparaison, l’Article L465-1 du Code Monétaire et
Financier réprime l’utilisation de l’information privilégiée par des personnes
extérieures si elles le font en « connaissance de cause ». C’est en 1995 que ce concept
41
CFR Title 17 Chapter II - Part 240 - Section 240.14-e3 - Paragaph (d) (2) (iv)
27/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
est apparu en France. En effet, jusqu’alors, l’ordonnance du 28 septembre 196742
réprimait en son Article 10-1 le délit d’initié sans l’élargir aux personnes extérieures
n’ayant pas de lien, à priori, professionnel. La Cour de Cassation a inauguré le principe
le 26 octobre 199543
. La Cour écrit dans son arrêt : « si le recel ne peut résulter de la
simple détention d'informations privilégiées, il est caractérisé à l'égard de celui qui,
réalisant, en connaissance de cause, des opérations sur le marché avant que ces
informations soient connues du public, bénéficie du produit du délit d'initié ainsi
consommé ». Cela ouvrit ainsi la porte à la rédaction actuelle de l’Article L465-1 du
Code Monétaire et Financier (l’ordonnance du 28 septembre 1967 fut modifiée par la
loi 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières puis par la loi
2003-706 du 1 août 2003 de sécurité financière pour formaliser les dispositions
actuelles du Code Monétaire et Financier).
Ainsi, l’une des clefs des défenses est de démontrer que la personne suspectée de délit
d’initié n’avait pas connaissance du caractère privilégié de l’information. Pour des
personnes extérieures, la tâche est plus simple que pour des personnes internes (par
exemple des dirigeants) et dans ce cas, l’avocat devra démontrer, et c’est difficile, que,
par exemple, la connaissance approfondie des marchés financiers lui permet de faire
des opérations sans détenir des informations privilégies et en faisant même
abstraction des informations privilégiées dont il aurait connaissance.
Le « front-running » est un abus de marché utilisé par les courtiers. Il pourrait presque
être assimilé à du délit d’initié, mais dans ce cas-là, la seule information formelle dont
dispose le courtier est l’ordre du client. Il ne dispose pas d’information privilégiée en
tant que telle. Si un courtier reçoit un ordre d’un client, il lui est interdit de passer un
ordre sur la même valeur avant son client. Autrement dit, il tirerait bénéfice de la
connaissance de ses ordres clients pour exécuter, avant ses clients, des ordres pour
son compte propre. Ceci dit, cet abus devient de plus en plus rare. La majorité des
sociétés de courtage introduisent des règles interdisant à leurs employés d’opérer
pour leur compte propre sur les marchés sur lesquelles ils interviennent pour limiter
les conflits d’intérêts et délits d’initiés évitant aussi, de fait, toute possibilité de « front
running ». Le « front running » a surtout lieu dans les marchés qui se traitent encore à
la criée (c’est la raison pour laquelle il devient donc rare en France du fait de l’absence
de criée). En effet, sur un marché à la criée, le statut des courtiers est différent et
ambigu. Pour apporter de la liquidité au marché, ils sont autorisés à passer des
opérations pour compte propre et pas seulement n’exécuter que des ordres pour le
compte de clients. La porte est alors grande ouverte au « front running ». Il faut noter
que l’inverse « le back-running » ou le « tailgaiting » (les termes n’existent pas à
42
Ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse et
relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de
bourse
43
Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 octobre 1995, 94-83780 - Affaire dite Pechiney-Triangle
28/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
proprement parler) est absolument licite : le courtier peut passer le même ordre après
son client. Etant donné qu’il a exécuté l’ordre de son client, tout le marché a
l’information et il peut très bien agir par mimétisme (comme tous les autres courtiers
en présence), son client ayant eu la priorité.
On pourrait penser qu’il suffît d’ouvrir un compte à son conjoint pour détourner de
façon aisé les règles internes prohibant les négociations pour compte propre en vue de
pouvoir opérer, notamment, à du « front-running » en toute discrétion. Déjà fait, déjà
pris… Un cas somme toute relativement classique ! Ainsi, récemment, une plainte
pénale a été déposée par la SEC le 23 mai 201344
contre un courtier, Daniel Bergin, qui
aurait utilisé le compte de sa femme, Jacqueline Zaun, pour opérer à du « front-
running » et sécuriser $1.7 million de plus-values illicites. L’instruction est toujours en
cours et le cas semble tellement évident et individuel que, cette fois, la SEC n’a pas
proposé de transaction.
Le « wash trade » et le « spoofing » sont deux stratégies servant la même cause : créer
de l’activité trompeuse sur un titre. Le « wash trade » est le fait d’acheter et vendre au
même prix pour créer un volume artificiel, pour créer une activité sur un titre qui n’en
n’a pas pour éveiller les intérêts. Le « spoofing » est le fait de mettre en carnet des
ordres destinés à être annulés en vue de déclencher, également, des intérêts. On a
présenté auparavant le cas d’Antoine Nodet. Les supercheries sont relativement faciles
à détecter sur les titres peu liquides (où un nombre limité d’ordres permet de
manipuler le marché) que sur des titres liquides où les ordres seront noyés dans la
masse. Sur les titres liquides, on comprend mieux que l’infrastructure financière et
technique nécessaire pour mener à bien ce genre de stratégie soit imposante et plus
difficile à détecter. C’est malheureusement une constante, il est plus facile de détecter
les petits fraudeurs que les gros fraudeurs. Sur les titres liquides, il est relativement
aisé d’opérer à des « wash trade », il suffit d’avoir deux comptes différents, l’achat est
fait d’un compte, la vente d’un autre. Mais cela ne signifie pas pour autant que le
procédé est facile à mettre en place et même les plus gros se font attraper : la banque
JP Morgan en est l’exemple et en a fait les frais sur les marchés dérivés de pétrole et
d’essence. L’objectif n’était pas de créer une activité trompeuse mais de fausser le
calcul des ratios d’emprise autorisés par les entreprises de marché, c’est donc plus une
entrave au règlement de l’entreprise de marché (en l’occurrence le NYMEX, New-York
Mercantile Exchange) plus qu’une entrave à la loi, ce qui explique que la CFTC n’a pas
pénalisé JP Morgan mais c’est en effet le NYMEX qui a donné une amende de $30,000
dollars pour avoir, par 10 fois (seulement) en 6 mois, faussé les calculs d’emprise des
contrats à terme45
. C’est évidemment le genre de stratégie qui nous intéresse au plus
haut point pour le trading à haute fréquence. En effet, « wash trade » et « spoofing »
44
SEC vs. Bergin & Zaun - US Distric Court - Northern District of Texas - Dallas Division - Case 3:13-cv-
01940-M
45
NYMEX - Notice of Disciplinary Action - NYMEX-11-08428-BC - 1
er
juin 2012
29/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
sont réalisés à grande échelle. Ceci dit, le « wash trade » est employé avec parcimonie
puisqu’il est plus facile de démontrer qu’un « wash trade » a été exécuté que de
démontrer qu’un ordre a été placé sans que l’intention de son exécution soit réelle
(c’est à dire du « spoofing »). Le trading haute fréquence est en effet le royaume du
« spoofing ». On verra mêmes plus loin que le « spoofing » est poussé à son paroxysme
par une méthode dite « quote stuffing » (gavage d’ordre).
Le « corner » ou « squeeze » pourrait être défini comme un abus de position
dominante. On l’a vu, c’est ce qui a déclenché la crise de 1907 aux Etats-Unis. L’AMF
consacre une partie de son règlement à ce sujet46
. Il est fait référence à l’Article L233-7
du Code de Commerce qui rend obligatoire la déclaration des franchissement des
seuils de participation de 5%, 10%, 15% , 20%, 25%, 30%, 331/3
%, 50%, 662/3
%, 90% et
95%. Globalement, ces seuils ne prenaient en compte que les actions et depuis l’affaire
Porsche-Volkswagen cela a évolué dans globalement toutes les législations et
règlements en Europe. En effet, Porsche possédait, tout à fait régulièrement, 35.14%
des actions Volkswagen en septembre 2008 et ne cachait pas ses intentions
d’absorber, sur le long terme, la totalité de Volkswagen. La crise financière battant son
plein, le secteur automobile fut frappé de plein fouet, les fonds de pensions et hedge-
funds se sont mis à vendre les actions du secteur. Le 26 octobre 2008, Porsche fit
trembler les marchés en annonçant avoir augmenté sa participation dans Volkswagen
à 42.6% et détenir des options exerçables sur 31.5% du capital, portant
potentiellement sa participation totale à 74.1%. Ce fut suffisants pour créer un
« corner » et les fonds qui avaient vendus l’action à découvert étaient en position
désespérée et durent se racheter en panique. Ainsi, alors que l’action Volkswagen
avait clôturé à €210.85 le vendredi 24 octobre, elle ouvrit à €350 le lundi (soit +66%),
termina à €520 (+147%) et est venu culminer à €950 le mardi devenant ainsi la plus
grosse capitalisation boursière du monde ! Porsche clamait avoir agi dans la légalité
puisque les régulations n’imposaient pas, il est vrai, à l’époque, d’inclure les calculs la
part du capital détenue au travers de produits dérivés, en l’occurrence d’options
d’achats. Les hedge-funds victime du « squeeze » ne l’entendaient pas de la même
façon et ont exploré toutes les voies légales et 23 d’entre eux réclamaient €1.4 milliard
de compensation pour les pertes subies. La Cour Régionale de Stuttgart s’est
finalement prononcée en dernier ressort, récemment, le 17 mars 201447 48
. Il se sont
vus déboutés de leur demande. En l’état actuel des règlementations, Porsche n’avaient
pas obligation de déclarer le capital potentiellement détenu par l’exercice de ses
options. Les règlementations ont bien évidemment évoluées à après ce gigantesque
« corner » légal et l’Article L233-7 du Code de Commerce dispose alors dorénavant que
46
Règlement Général de l’AMF : Livre II (Émetteurs et information financière) - Titre II (Information
périodique et permanente) - Chapitre II (Information périodique) - Section 2 (Franchissements de seuils,
déclarations d'intention et changements d'intention)
47
Rechtsprechung - LG Stuttgart - 17.03.2014 - 28 O 183/13
48
Bloomberg - Porsche Scores Victory in Hedge Fund Suits Over VW Bid - 17 mars 2014
30/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
doivent être inclus dans les déclarations de seuil « les actions déjà émises que cette
personne peut acquérir en vertu d'un accord ou d'un instrument financier mentionné à
l'Article L211-1 du Code Monétaire et Financier ». L’Article L211-1 du Code Monétaire
et Financier inclus alors les « instruments financiers à terme » dont les options
d’achats font partie. L’intention est excellente mais techniquement cela peut s’avérer
parfois compliqué. En effet, les prix d’exercice des options peuvent être tels que les
options sont exerçable un jour et non exerçable le lendemain.
La dernière manipulation de marché courante est la manipulation du cours de clôture.
Du même type que les manipulations du LIBOR et de l’EURIBOR dont nous avons parlé
précédemment, un intermédiaire peut avoir intérêt (pour lui-même directement ou
contre les intérêts de l’un de ses clients) à faire clôturer un titre au-dessous ou au-
dessus d’un certain niveau. Il lui est alors interdit d’exercer volontairement une
pression acheteuse ou vendeuse à la clôture pour influencer le cours de clôture. Ainsi,
La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a confirmé, le 7 avril 200949
, un arrêt
de la Cour d’Appel de Paris du 29 janvier 2008 qui avait confirmé la sanction pécuniaire
de €500,000 infligée par la Commissions des Sanctions de l’AMF à la société Foch
Investissements50
. En effet, la société Foch Investissements avait manipulé le cours de
clôture de l’action Eurotunnel les 26 août et 24 septembre 2002. Ces dates
correspondait au jour de liquidation du Service de Règlement Différé (SRD, successeur
du Règlement Mensuel – RM). Ainsi, en manipulant à la hausse le cours de l’action, la
société Foch Investissement a pu diminuer les appels de fonds nécessaires pour
maintenir sa position. Les cours étant inscrits dans une tendance baissière, la société
n’avait pas, à priori, la capacité d’honorer la totalité des appels de marge requis pour
continuer à porter sa position sur le mois suivant.
Le dernier abus de marché dont il faut parler, n’est pas une manipulation de marché à
proprement parler car elle est indirecte. Il s’agit de propager de la fausse information.
Qu’elle ait ou non une influence sur les cours n’a pas d’importance, qu’il en ait été tiré
profit ou non n’influe pas sur le caractère illicite de l’abus. L’Article 632-1 du
Règlement Général de l’AMF (qui reprend les dispositions de l’Article L465-2du Code
Monétaire et Financier) ne fait en effet pas de différence compte tenu des
conséquences : « toute personne doit s’abstenir de communiquer, ou de diffuser
sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont
susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des
instruments financiers, y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des
informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû
savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses ». Ainsi, l’AMF a
condamné, cas extrême alors que l’information n’avait pas eu de conséquence sur les
cours et que les protagonistes n’en avait pas tiré profit, deux bloggeurs à un total de
49
Cour de Cassation - Chambre Commerciale - Mardi 7 avril 2009 - Pourvoi 08-13077
50
AMF - Décision de la Commission des Sanctions - 7 décembre 2006
31/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
€18,000 euros d’amende51
deux bloggeurs ayant publié des informations erronées sur
la Société Générale. Le cas est intéressant puisque l’AMF dans sa décision motive le
fait que l’un des protagonistes aurait dû savoir (selon les termes de l’Article de
Règlement Général mentionné) que l’information était erronée grâce à sa « qualité
d’ancien professeur des universités enseignant l’analyse financière ». Ceci dit, les cas
les plus courants de propagation de fausse information sont fait pour en profiter par
des techniques dites « pump and dump » ou « trash and cash ». La première consiste à
propager de l’information positive pour pouvoir vendre des titres à un cours plus
élevée, la seconde consiste à propager de l’information négative pour acheter les
cours à un niveau plus faible. La technique du « pump and dump » est largement
représentée dans les films « Boiler Room » ou « The Wolf of Wall Street » qui sont
inspirés des agissements de la société Stratton Oakmont qui était une grande
spécialiste en la matière ! Les courtiers recommandent une valeur à l’achat en leur
communiquant des informations optimistes (mais fausses) à leurs clients (souvent sur
des titres de petites sociétés sur des marchés peu liquides où les cours sont
relativement faciles à manipuler) et se portent indirectement contrepartie pour leur
vendre les titres recommandés en vue de s’en débarrasser (bien évidemment au
meilleur prix et au détriment de leurs clients).
Ainsi, par exemple, la SEC a condamné, le 25 janvier 200852
, la société Spear & Jackson
à un total de $6.8 millions de dollars de pénalités financière et dommages et intérêts
pour avoir réalisé une manœuvre de « pump and dump » sur son titre. Plus
anecdotique, un garçon de 15 ans a été condamné le 20 septembre 200 par la SEC53
à
payer à $285,000 pour avoir propagé de fausses informations surs des fora internet
tels que Yahoo! Finance de fausses informations sur des actions illiquides en vue de
faire monter les cours pour réaliser des profits. La commission a été particulièrement
clémente, le garçon ayant admis qu’il s’agissait d’une expérience censée démontrer
qu’aux balbutiements de la bulle internet, il était facile de manipuler les cours par la
propagation de fausses informations. Le fait qu’il ait gardé tous ses gains et était en
capacité de les rembourser immédiatement a certainement influencé la SEC dans sa
clémence. Aussi, on se doute que le cas a défrayé la chronique aux Etats-Unis et la SEC
souhaitait se débarrasser de la meilleure façon (et rapidement) de l’affaire qui a en
effet soulevé la controverse : il s’agissait en effet de la première fois où la Commission
poursuivait un mineur. La rumeur cours que la SEC, voulant se débarrasser au plus vite
du dossier, n’a pas terminé ses investigations et aurait laissé à l’adolescent environ
51
Décision de la Commission des sanctions du 7 novembre 2013 à l'égard de MM. Jean-Pierre Chevallier
et Mike Shedlock
52
SEC - SEC Announces 100 Percent Return of Funds to Defrauded Spear & Jackson Investors - Release
2008-121
53
SEC - Administrative Proceeding - File No. 3-10291
32/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
$500,000 de gains litigieux54
. La Commission se défend qu’elle n’ait pas pu établir avec
certitude le caractère délictueux des opérations concernées…
II – La Directive 2003/6/CE
La première directive dite « abus de marché » date de 2003 : la Directive 2003/6/CE55
.
Elle repose sur 3 piliers : l’information de l’initiée, le mécanisme de formation des prix,
les informations fausses ou trompeuses. Des régulations, à l’échelle européenne, sont
en effet nécessaires pour harmoniser le souhait de voir les marchés financiers et les
investisseurs protégés.
Ainsi, sera qualifié d’abus de marché le fait d’utiliser de l’information privilégiée (que
cela soit à des fins personnels ou au profit de tiers), d’entraver le mécanisme de
formation des prix par de la manipulation de marché ou de propager de l’information
fausse ou trompeuse.
La directive, dans son Article Premier fixe des définitions importantes. Ainsi, une
« information privilégiée » est « une information à caractère précis qui n'a pas été
rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs
émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui,
si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours
des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui
leur sont liés ». Il est aussi précisé que « pour les personnes chargées de l'exécution
d'ordres concernant des instruments financiers, on entend également par "information
privilégiée" toute information transmise par un client et ayant trait aux ordres en
attente du client, qui est d'une nature précise, qui se rapporte, directement ou
indirectement, à un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers ou à un ou
plusieurs instruments financiers et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible
d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le
cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés ». Autrement dit, la première
définition a attrait au délit d’initié tandis que la seconde a plus attrait à la
confidentialité et la déontologie que tout intermédiaire financier doit envers ses
clients. La distinction est intéressante puisqu’elle proscrit de fait le « front running ».
Un intermédiaire financier ne peut alors pas utiliser la connaissance de l’ordre de son
client pour placer une opération, auparavant, pour son compte propre. Il utiliserait
ainsi une information privilégié et se livrerait, de fait, à un délit d’initié.
La « manipulation de marché », qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de
cette étude, est définie, en premier lieu, comme le fait d’émettre des ordres
« susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne
54
New-York Times - Jonathan Lebed: Stock Manipulator, S.E.C. Nemesis -- and 15 -
http://www.nytimes.com/2001/02/25/magazine/25STOCK-TRADER.html?pagewanted=all
55
Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations
d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché)
33/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours
l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers » ou « qui fixent, par l'action
d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou de
plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel ». En second lieu, « le
fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui recourent à des procédés
fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice » est aussi considéré comme
une manipulation de marché. Aussi, la propagation de fausse rumeur est considérée
comme une manipulation de marché potentielle : « le fait de diffuser des informations,
que ce soit par l'intermédiaire des médias (dont Internet) ou par tout autre moyen, qui
donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur des
instruments financiers, y compris le fait de répandre des rumeurs et de diffuser des
informations fausses ou trompeuses, alors que la personne ayant procédé à une telle
diffusion savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou
trompeuses ».
Ces définitions restent très larges, la directive précise des cas pratiques : établir une
« position dominante », « acheter ou de vendre des instruments financiers au moment
de la clôture du marché, avec pour effet d'induire en erreur les investisseurs agissant
sur la base des cours de clôture » ou émettre un « avis sur un instrument financier (ou
indirectement, sur l'émetteur de celui-ci) après avoir pris des positions sur cet
instrument financier et de profiter par la suite de l'impact dudit avis sur le cours de cet
instrument sans avoir simultanément rendu public, de manière appropriée et efficace,
ce conflit d'intérêts » sont de la manipulation de marché.
La liste n’est malheureusement pas exhaustive et la directive en a bien conscience :
elle conclue en effet sa description des « manipulations de marché » par : « les
définitions de la manipulation de marché sont adaptées de manière à pouvoir couvrir
les nouveaux comportements qui constituent de fait des manipulations de marché ».
L’Article 2 cadre très bien qui sera concerné comme initié et prévoit les situations où
ce statut essayerai d’être détourné en agissant pour le « compte d’autrui ». Ainsi, un
possesseur d’information privilégiée sera initié s’il l’a obtenu en tant que « membre
des organes d'administration, de gestion ou de surveillance », en tant qu’actionnaire
actionnaires, du fait de ses « fonctions » professionnelles ou grâce à des « activités
criminelles ». L’Article 3 leur interdit de communiquer les informations qu’ils
détiennent « si ce n'est dans le cadre normal de l'exercice de son travail », ou de
donner des recommandations d’investissement « sur la base d'une information
privilégiée » qu’ils détiennent. L’Article 4 élargit interdit à quiconque d’utiliser une
information s’il sait ou aurait dû savoir (ce qui est difficile à prouver) qu’elle était
privilégiée.
L’Article 5 est clair, il prohibe de « procéder à des manipulations de marché ». Clair
mais vague car on l’a vu, difficile d’anticiper des comportements pas encore
catégorisés comme tels.
High Frequency Trading and Market Manipulation (French)
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High Frequency Trading and Market Manipulation (French)

  • 1. Mémoire Université de Toulouse 1 Capitole Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours M2 Droit économie et gestion Mention Droit de l'entreprise Spécialité : droit des affaires - Parcours Juriste d'entreprise 2013-2014 Vincent Jeannin Enseignant Correcteur : Sophie Sabathier
  • 2. 1/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours AVERTISSEMENT AU LECTEUR : L’université n’entend ni approuver ni désapprouver les opinions émises dans ce document. Elles doivent être considérées propres à leur auteur.
  • 3. 2/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours Sommaire Introduction 4 TITRE 1 – Cadre général des marchés financiers 5 I – Les grandes étapes des bourses du IXème siècle au XVIIIème siècle 5 II – Le début du XIXème siècle 7 III – La panique de 1907 11 IV – Les bienfaits de la spéculation 12 V – Les organes de contrôle actuels 14 A – Aux USA 14 B – En France 17 C – Au Royaume-Uni 22 D – Les organes supranationaux 24 TITRE 2 – Les définitions légales des abus de marchés 26 I – Les différents abus de marchés 26 II – La Directive 2003/6/CE 32 III – Situation aux USA et au UK 34 A – USA 34 B – UK 35 TITRE 3 – Le cas spécifique du HFT et de la manipulation de cours 37 I – Définition du HFT et problématiques 37 A – Définition du HFT 37 B – Problématiques juridiques 41 II – Spécificités de la manipulation à haute fréquence 43 III – La répression : Kraay , Swift Trade et Trillium, Panther Energy 44 A – Kraay 44 B – Trillium Brokerage Services 47
  • 4. 3/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours C – Swift Trade 49 D – Panther Energy Trading 50 IV – Le futur du HFT dans le cadre réglementaire 51 Conclusion 56 Annexe 57
  • 5. 4/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours Introduction Les activités de trading sur les marchés financiers se sont complexifiées et intensifiées ces dernières années. L’avènement de l’informatique a permis de passer au stade supérieure de la recherche quantitative puis l’avènement des outils de télécommunication ultra-rapides ont permis à des nouvelles stratégies de trading de se développer : le Trading Algorithmique puis le Trading à Haute Fréquence, par exemple. La finance a alors connu de nombreux bouleversements et est devenu un domaine très régulé au rythme des scandales et crises. Les autorités veulent lutter contre les abus de marchés qui sont une source déstabilisation des marchés financiers et plus généralement de l’économie. Les abus de marchés ont évolué avec les évolutions techniques et les régulateurs se retrouvent dorénavant face à des nouvelles méthodes. En effet, le Trading à Haute Fréquence a apporté son lot de nouveaux abus et les régulateurs, avec un temps de retard, se mettent à réprimer plus ou moins lourdement ces nouvelles techniques de manipulation de marché. Notre étude présentera le cadre actuel des marchés financiers, des régulations et des évènements qui ont mené à l’état actuel du secteur. Nous nous pencherons ensuite sur les abus de marchés et de leur cadre règlementaire et légal. Enfin, nous étudierons le cas spécifique du Trading à Haute Fréquence dans le cadre de la manipulation de cours.
  • 6. 5/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours TITRE 1 – Cadre général des marchés financiers I – Les grandes étapes des bourses du IXème siècle au XVIIIème siècle Le commerce et les marchés existent depuis l’antiquité. Si des structures formelles existaient à cette époque, il est difficile de les qualifier de bourse mais plus de marchés locaux comme il en existe encore de nos jours. Aussi, les premières formes de spéculation existent depuis la même époque et le philosophe mathématicien Thalès est peut-être l’inventeur de la spéculation et de la manipulation de marché : suite à un climat favorable, il aurait anticipé une bonne récolte d’olives. Il aurait alors réservé à l’avance tous les moulins à huile d’olive de la région. Ainsi, sa prédiction se réalisant, il put se placer comme un point de passage obligatoire pour la filière et imposer ses prix pour la presse des olives. Il serait, en somme, l’inventeur du travail à façon et des « tolling agreement » ! Les anecdotes sont rapportées par Aristote1 et Montaigne2 . Il est difficile de dire quand la première bourse fut créée. En effet, l’émergence du commerce et des grandes voies maritimes a de fait crée des marchés où se réunissait acheteurs, vendeurs et négociants pour faire des affaires. Ainsi, en extrême orient, on trouve des traces des groupements s’apparentant à des coopératives en relation avec le commerce du thé ou des épices dès le IXème siècle. Une première ébauche de bourse fut peut être crée à Venise à la fin du XIIIème siècle. Pour pouvoir entreprendre des explorations maritimes à grande échelle, il a été développé le système des carats. Ce système était une forme d’actionnariat évènementiel et présente de nombreuses similitudes avec le crowdfunding. En effet, des expéditions maritimes étaient mises aux enchères et des actionnaires partageaient le coût d’un voyage en particulier d’un navire en particulier. Au retour du navire, chaque actionnaire avait droit à une part de la cargaison ramenée, au proata de sa participation aux frais du voyage. L’investissement serait qualifié de hautement risqué car on ne compte pas le nombre de navires qui ne sont jamais revenus de leur périples… L’ouvrage « Le Système de l'Incanto des galées du marché à Venise » (1995) de Doris Stöckly détaille le système de façon approfondie et très documentée. Quant à la ville de Brugge, elle bénéficiait d’un positionnement tout à fait intéressant. Port d’étape entre l’Europe du Nord et la Méditerranée, la ville s’est vite développée sous l’impulsion des marchands. Alors, étant devenu une ville étape où les marchands se côtoyaient, la ville est tout naturellement devenu une place ou des liens et des affaires se nouaient entre les commerçants. Les bateaux qui remontaient avaient des cargaisons d’épice, de laine, de coton ou de thé à vendre, mais aussi des devises étrangères. Les bateaux en partance avaient besoin de financement et de devises étrangères,… Sont venus se greffer des banquiers et des négociants et la ville est alors 1 Aristote - La Politique - Traduction de Jules Tricot (1962) 2 Michel Eyquem de Montaigne - Les Essais - Livre I - Chapitre XXV - Du pédantisme
  • 7. 6/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours devenu le théâtre non seulement d’échanges de matières premières mais aussi un véritable marché des changes et de financement. Ainsi, en 1309, la bourse fut ouverte. Le port de Bruges, Zeebrugge, est encore, aujourd’hui, un port important et est utilisé comme point de livraison d’un marché financier de gaz. Ceci dit, le déclin relatif de Bruges est dû à sa position : l’estuaire est relativement petit et les gros navires y accédaient difficilement, d’autant plus qu’il était sujet à de l’ensablement de façon fréquente. C’est ainsi que les ports dénommés par l’acronyme ARA (Amsterdam, Rotterdam, Anvers) sont devenus le complexe portuaire leader de la région. Au XVIème siècle, en France, des bourses de commerce à caractère régionaux se sont développées. Lyon, qui bénéficiait d’une situation géographique toute particulière, sur le Rhône, a commencé à développer un marché financier où les effets de commerce et les escomptent pouvaient s’échanger. Alors, le premier emprunt public est lancé à Lyon en 1555 pour qu’Henri II puisse financer les guerres contre Philippe II d’Espagne. L’emprunt, premier de la sorte fut souscris avec frénésie : la qualité de la signature de la monarchie a attiré les investisseurs… Mais, ironie de l’histoire, la monarchie n’eut pas de scrupule à faire défaut sur cette dette et à la réaménager comme bon lui semblait. Le régime politique français de l’époque empêchait d’espérer toute régulation mais l’on voit d’ores et déjà que les premiers problèmes sont apparus très tôt. Thomas Gresham, marchand anglais, a, à son retour d’Anvers, créé, sur ordre d’Elisabeth 1ère le Royal Exchange en 1565 notamment pour émettre de la dette nationale et répliquer le fonctionnement de la bourse d’Anvers. D’une atmosphère très conservatrice (dans la plus pure tradition britannique), elle sera, une centaine d’année plus tard, concurrencée par la London Stock Exchange. En effet, le Royal Exchange se dota d’une première régulation où des licences étaient accordées aux marchands ayant le droit d’y opérer. Les courtiers ne bénéficiant pas de licence furent évincés et se sont retrouvés dans des cafés à proximité (dont le légendaire Jonathan’s Coffee House) ou dans la rue (Lombard Street notamment). On assiste donc aux prémices des régulations mais pas nécessairement pour réguler les échanges et leur transparence mais plus pour conserver une atmosphère de club où les membres se connaissent entre eux, dans le fidèle esprit britannique : le but principal était plus d’écarter les Italiens et autres immigrés plus que de protéger les intérêts généraux ! La première bulle spéculative donnée en exemple est la fameuse bulle des tulipes, à Amsterdam. Les marchés des actions, les marché à terme et les marchés optionnels s’y sont développés à la fin du XVIIème siècle et au début du XVIIIème siècle. Du côté des matières premières, la Hollande était un gros exportateur de hareng, de fromage, de gin et de tulipes. Les tulipes étaient considérées comme un article de luxe et se négociaient sur un marché de changes (échange de tulipes contre d’autres matières notamment). Entre novembre 1636 et février 1637, le prix du bulbe de tulipe a été
  • 8. 7/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours multiplié par 20 ! La bulle s’est dégonflée aussi rapidement qu’elle avait gonflé et de nombreuses ruines en découlèrent. Ainsi, au plus haut de la bulle, les bulbes de tulipes de meilleure qualités représentaient l’équivalent monétaire de 20m3 de blé, soit environ 150 tonnes de blé ! En 1637, un bulbe de tulipe est alors la chose la plus chère au monde. L’économiste Ecossais Charles MacKay explique dans son ouvrage « Extraordinary Popular Delusions and the Madness of Crowds » (1841) son analyse des phénomènes de bulle économique et d’instinct grégaire des foules conduisant à la création des bulles et leur explosion. Les théories plus modernes ne nient pas l’existence de cette tulipe-mania mais tendent à relativiser son ampleur. Quoi qu’il en soit, les dangers de la spéculation commençaient à se faire connaître et des voix s’élèvent à l’époque, pour la création de régulation pouvant encadrer les phénomènes pour d’une part protéger les opérateurs mais d’autre part, pour empêcher que des opérateurs profitent de ces phénomènes pour s’enrichir de façon immorale ou illégitime. La France était pionnière en matière de régulations… Mais aussi de délits ! Louis XIII et Louis IV étaient des monarques qui dépensaient sans compter : ouvrages d’architecture, guerres, exploration,… Parfois le bilan de leurs finances n’était pas franchement équilibré. Ils n’ont pas hésité à dévaluer subrepticement la monnaie en diminuant la pureté de l’or dans les pièces de monnaie. Quand le stratagème fut découvert, la création d’un poste de contrôleur des Monnaies de France s’imposait et c’est alors que Jean Varin fut consacré à ce poste. De nos jours, un état aurait énormément de mal à dévaluer la monnaie au nez et à la barbe de ces citoyens ! Ainsi, très tôt, les dangers potentiels de la finance ont été mis en évidence. Les comportements immoraux sont aussi en train de se dessiner et des lois vont, à partir du XIXème siècle, émerger, pour que ces comportements deviennent officiellement illégaux. II – Le début du XIXème siècle La France fut avant-gardiste en matière de lois. Le Code Civil de 1804 en est l’expression première et, dans le domaine financier, la création de la Compagnie des Agents de Change fut officiellement créée en 1802. Les agents de change étaient des officiers ministériels habilités à intervenir sur les marchés, étaient dûment contrôlés et ont même évolué en acquérant le statut de percepteur d’impôts (impôt de bourse notamment). Le contrôleur général des finances de Louis XVI (Charles Alexandre de Calonne) avait voulu tirer utiliser la spéculation au profit des emprunts royaux. Loin d’avoir un effet bénéfique, l’arme se retourna contre lui et la maîtrise de la situation lui échappa : les actions et les dettes devinrent volatiles à outrance. L’aide de Honoré- Gabriel Riqueti de Mirabeau fut vain et ses pamphlets contre la spéculation ont plus marqué la littérature qu’eu l’efficacité recherchée : il accusait la spéculation, en 1787,
  • 9. 8/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours d’être « la plus abominable des industries » dans sa « Dénonciation de l'agiotage au Roi et à l'assemblée des notables ». C’est alors que Calonne créa le monopole des agents de change pour limiter la spéculation qu’il avait voulu utiliser mais qui s’était retournée contre lui. Le Code Pénal de 1810 en son Article 419 cherchait déjà à réprimer les activités illicites entravant la libre formation des prix par « la concurrence naturelle et libre du commerce ». Il est intéressant de voir que l’Article 420 apportait déjà des circonstances aggravantes au précédent article si les activités illicites sont effectuées sur les marchés de « grains, grenailles, farines, substances farineuses, pain, vin, ou toute autre boisson ». En effet, si l’on se projette dans l’avenir, les préoccupations ne semblent pas avoir changées ! La loi sur la séparation et la régulation des activités bancaires du 18 juillet 2013 comporte 6 mesures (mesures 27 à 323 ) pour « lutter contre la spéculation sur les marchés de produits dérivés sur matières premières agricoles ». Belle avancée en deux siècles pourrait-on dire de façon ironique ! Les historiens s'accordent à dire que le premier « délit d'initié » de l'histoire remonte au début du XIXème siècle (plus précisément en 1815) avec le coup financier d'un certain Nathan Mayer Rothschild. La famille Rothschild était déjà une famille aisée de banquiers reconnus (son père, Mayer Amschel Rothschild, avait transformé une petite affaire familiale de prêt sur gage en banque et société de gestion de fortune) mais l'opération réalisée a définitivement assuré la fortune de la famille pour les générations futures ainsi que sa suprématie dans les milieux financiers. Cet événement est intéressant à plus d'un titre car, notamment, la qualification de délit d'initié serait sujette à débat dans le contexte légal d'aujourd’hui. En effet, la répression est particulièrement compliquée en matière boursière car elle est difficile à qualifier, à prouver et à l’imputer à son auteur. Les versions divergent. Deux grandes thèses s'affrontent, la thèse populaire (à laquelle Victor Hugo fait notamment mention dans « Les Contemplations », recueil publié en 1856, dans le poème « Mélancholia ») et celle de chercheurs contemporains (notamment Niall Ferguson d’Harvard University et Oxford University). Le jeune Nathan Mayer Rothschild est envoyé à Londres par son père où il développa, avec succès, une entreprise de textile. Puis, lors des guerres napoléoniennes, il joua un rôle important grâce à l’assise financière de sa famille. Il finança les armées britanniques et noua des liens privilégiés avec la couronne d’Angleterre. Lors de la bataille de Waterloo, grâce à son réseau d'informateurs voire même à l'utilisation de pigeons voyageurs, Nathan Mayer Rothschild aurait connu le résultat de la bataille de Waterloo (18 juin 1815) un jour avant que l'information n'arrive en Angleterre : en effet, il aurait eu connaissance de l’issue de la bataille de 20 juin au matin alors que le 3 http://www.economie.gouv.fr/files/reforme-bancaire-100-mesures.pdf - Les 100 mesures de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires
  • 10. 9/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours rapport du Duc de Wellington n’est arrivé à Londres que le 21 juin au soir. Il serait difficile, aujourd'hui, de qualifier ceci de délit d'initié. En effet, l'information était-elle librement à disposition du public? Si oui, il a en fait, grâce à une avancée technologique, exploité l'inefficience du marché au regard de la circulation de l'information. En faisant une analogie et en se projetant XXème siècle et plus précisément dans les années 1980, il aurait fait voyager l'information par ADSL à 8 mégabits par secondes là où tout le monde la faisait encore voyager par les lignes téléphoniques limitées à 28 kilobits par seconde. La recherche et développement, l'investissement, donne des avantages concurrentiels et il semblerait compliqué de parler de délit d'initié. L’analogie est d’ailleurs intéressante dans la perspective où nous parlerons de trading à haute fréquence où la technologie tient une place prépondérante. Ou bien, l'information n'était pas encore publique. Ainsi, on peut très bien imaginer qu'il aurait obtenu l'information avant la fin de la bataille : ses contacts ont très bien pu lui faire parvenir des informations privilégiées obtenues auprès des généraux de Napoléon 1er ou ceux du Duc de Wellington faisant état d'une situation désespérée pour les troupes de l’Empire et d'une défaite toute proche de ces dernières. Nous serions là bien plus en adéquation avec le qualificatif contemporain de délit d'initié. Et de nos jours, en France, le Code Monétaire et Financier punit sévèrement le délit d’initié. En son Article L465-1, il dispose qu’il est punissable de « deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1,500,000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les dirigeants d'une société mentionnée […] et pour les personnes disposant, à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché réglementé […], de réaliser, de tenter de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations ». Quoi qu'il en soit, après avoir reçu l'information, Nathan Mayer Rothschild aurait propagé une fausse information: il aurait fait circuler une rumeur faisant état de la victoire des troupes emmenées par Napoléon 1er . Ainsi, la bourse de Londres s’écroula et il en profita pour racheter à vil prix les actions, notamment, d’entreprises industrielles anglaises. Quand la nouvelle de la victoire des troupes alliées arriva, le marché se reprit évidemment puis flamba faisant la fortune de Nathan Mayer Rothschild. Si la qualification de délit d’initié est, on l’a dit, sujet à débat, la propagation de fausse information serait aujourd’hui clairement condamnable. En France, le Code Monétaire et Financer, en son Article L465-2, dispose qu’est punissable « le fait, pour toute
  • 11. 10/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours personne, de répandre ou de tenter de répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur les perspectives ou la situation d'un émetteur ou de ses titres admis aux négociations sur un marché réglementé ». Il s’agit d’un délit qui est « puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1,500,000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit » selon les dispositions de l’Article L465-1 du Code Monétaire et Financer. Niall Fergusson, quant à lui, propose une version moins empreinte de caractère mythologique. Historien écossais spécialisé en économie et finance, il est souvent controversé pour ses prises de positions idéologiques et son approche contrefactuelle. Il a ceci dit publié un ouvrage largement reconnu, en deux tomes : « The House of Rothschild » (en 1999 et 2000). Selon lui, Nathan Mayer Rothschild, qui finançait les armées britanniques, apprend par son réseau d’informateurs l’issue de la bataille avant l’arrivée officielle de la nouvelle. Il aurait été surpris par la victoire rapide des troupes alliées à Waterloo et estimait que la bonne nouvelle pourrait pâtir sur les cours de l’or et de l’argent. Or, son stock d’or et d’argent, utilisés à des fins de financement, se serait alors fortement déprécié. Il achète alors des emprunts publiques Britanniques en masse (une victoire britannique ferait baisser les taux d’intérêts des emprunts publics et donc, mécaniquement, augmenter la valeur des emprunts publics, c’est l’effet balançoire des produits de taux). Deux ans plus tard, la valeur de ces emprunts britanniques s’étant appréciée, il aurait gagné plusieurs millions de livres. D’autres versions font état, outre le « délit d’initié » et la « propagation de fausse rumeur » de « manipulation de marché » proprement dite. Après avoir reçu les informations sur l’issue de la bataille, il aurait ostensiblement vendu des titres pour crée une vague de panique et la rumeur circulait « Rothschild sait », « Waterloo est perdu »… Les titres s’écroulèrent et Nathan Mayer Rothschild racheta en masse juste avant que la bonne nouvelle n’atteigne Londres. Quoi qu’il en soit, le mythe est établi et alimentent toutes les spéculations possibles et imaginables ! On voit donc que les comportements du passés n’avaient rien d’illégales mais largement définies comme immorales et étant le fait d’opportunistes. Victor Hugo manifestait son indignation et sa honte dans « Mélancholia » et pointait les inégalités de la société du XIXème siècle en préludes évident des « Misérables » : « Ce passant / Fit sa fortune à l'heure où tu versais ton sang; / Il jouait à la baisse, et montait à mesure / Que notre chute était plus profonde et plus sûre; / Il fallait un vautour à nos morts; il le fut; / [...] / Un million joyeux sortit de Waterloo; / Si bien que du désastre il a fait sa victoire, / Et que, pour la manger, et la tordre, et la boire, / Ce Shaylock, avec le sabre de Blucher, / A coupé sur la France une livre de chair. / Or, de vous deux, c'est
  • 12. 11/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours toi qu'on hait, lui qu'on vénère; / Vieillard, tu n'es qu'un gueux, et ce millionnaire, / C'est l'honnête homme. Allons, debout, et chapeau bas! ». III – La panique de 1907 C’est véritablement le début du XXème siècle et la panique de 1907 qui donna le coup d’envoi des régulations, tant par la création de lois que de structures de contrôle. A l’origine de la panique de 1907, il y a deux stratégies : le « corner » et le « squeeze ». Ces pratiques sont dorénavant considérées comme un abus de marché, un délit. L’entreprise United Copper a été ciblée par les frères Heinze. Ils voulaient effectuer une opération consistant à acheter un grand nombre d’actions de la société (la majorité d’entre-elles) pour faire monter les cours, faire paniquer les vendeurs à découvert et les forcer à se racheter. Or, possédant le stock principal de titres, les frères Heinze deviendraient la contrepartie incontournable et ils pourraient imposer leur prix et rendre leurs actions à la hausse. Les traductions de « corner » et « squeeze » prennent alors tous leur sens imagé : l’on met les vendeurs à découvert dans un coin, et, par un abus de position dominante et on les écrase. C’est en somme un simple processus de raréfaction de l’offre et de manipulation de la demande. Le principe est donc assez simple mais peut s’avérer compliqué en pratique. La puissance capitalistique nécessaire est non-négligeable : il faut pouvoir financer les achats d’actions. Malheureusement pour eux, les frères Heinze ont sous-estimé le capital nécessaire pour mener à bien leur opération. Ils auraient dû acheter un nombre bien plus important d’actions pour avoir une position majoritaire, ils n’en avaient ceci dit pas la capacité financière. Alors, les vendeurs à découvert ont pu clôturer leurs positions avec, certes, des moins-values parfois mais ceci dit sans aucune panique, les frères Heinze n’étant pas la seule contrepartie à pouvoir vendre des actions United Copper. L’arme s’est retournée contre eux. Ainsi, face à ce mouvement massif de ventes, le prix ont commencé à descendre et les frères Heinze se sont retrouvés porteurs d’actions dont le cours étaient en train de s’écrouler et ils paniquèrent et durent eux-mêmes vendre leur titres dans des conditions catastrophiques. L’issue était inexorable et ce fut leur faillite. La faillite des frères Heinze fit des dommages collatéraux. En effet, ils furent incapables de rembourser l’argent emprunté pour financer leur opération compte tenu de leurs moins-values. Leur première banque, le State Savings Bank of Butte Montana, fit alors faillite également. L’effet domino était déclenché, rien ne pourrait l’arrêter. La panique se propagea, une crise de confiance émergea : la faillite d’une banque de renom crée un « bank run », les épargnants voulant retirer leurs avoirs des banques. Les actions des banques s’écroulèrent, puis par contagion le secteur financier et finalement la globalité des marchés actions cédèrent à la panique et le 15 novembre 1907, les marchés actions avaient perdu 50% de leur valeur par rapport à leur plus
  • 13. 12/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours haut de l’année précédente. On ne compte pas le nombre d’épargnants ruinés, le nombre d’entreprises ayant fait faillite et les conséquences économiques ont été sévères : la production industrielle s’est écroulée de 11%, les imports ont reculé de 26% et le chômage a augmenté de 3% à 8%. C’est alors durant cette période qu’a été mise en évidence l’existence de la délinquance en col blanc, les conséquences furent si graves que le mouvement de régulation et de législation n’avait d’autre choix que de s’amorcer, non seulement pour protéger les petits épargnants mais aussi pour garantir la stabilité économique. Il était inacceptable que deux hommes puissent mettre en péril l’économie d’un pays par des opérations sur les marchés financiers. Quelques années plus tard, la Cour Suprême des USA s’est prononcée4 : l’opération des frères Heinze fut officiellement qualifiée de fraude, la délinquance financière était officiellement née (ils ne furent ceci dit pas condamnés pour d’uniques raisons de procédure). Le terme « fraude » fut le qualificatif générique que la Cour Suprême utilisa pour regrouper toute sorte de délit financier. Ainsi, les manipulations de marchés et délits d’initiés sont alors définis comme inacceptable et devant déboucher sur des condamnations. C’est alors qu’en 1934 fut publiée le Securities and Exchange Act (dans le cadre d’ailleurs du « new deal »), créant notamment la SEC (Securities and Exchange Commission), organe de contrôle toujours existant. C’est la première loi du genre, elle sera la base de toutes les régulations qui vont intervenir par la suite. C’est alors au travers d’une crise que les USA ont été avant-gardistes au sujet de la législation régissant les marchés financiers. Le « corner » n’était pas une pratique nouvelle mais les conséquences furent les pires. Un « corner » eut lieu en 1838 sur le coton américain et un autre eut lieu sur l’or à New-York en 1869 mais n’ont eu que des conséquences mineures et à petite échelle. La France quant à elle a connu un corner sur le cuivre dont les conséquences, en 1887, furent mineures (la faillite de l’entreprise et le suicide de son dirigeant). C’est donc véritablement le corner de 1907 qui eut les pires conséquences et créa la nécessité d’un encadrement stricte des pratiques financières. IV – Les bienfaits de la spéculation La spéculation n’est pas nécessairement mauvaise, même si dans l’opinion publique elle a souvent une connotation négative. Celui qui s’est enrichi par la spéculation est mal vu, toujours soupçonné d’avoir utilisé de moyens malhonnêtes pour acquérir sa fortune. Une étude sociologique serait possible sur le sujet mais les racines chrétiennes de la France y sont peut-être pour quelque chose car plus que la spéculation, c’est le riche qui est blâmé. Saint-Marc nous raconte d’ailleurs : « Il est 4 U.S. Supreme Court - United States v. Heinze, 218 U.S. 532 (1910) - No. 380 - Argued November 3, 1910, Decided December 5, 1910
  • 14. 13/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu »5 . La spéculation ne serait que le moyen d’une fin peu honorable. Quoi qu’il en soit, y aurait-il une bonne et une mauvaise spéculation ? Non. Il y a d’un côté la spéculation et de l’autre les abus de marchés : la spéculation, tant qu’elle n’a pas recours à des méthodes illicites peut difficilement être remise en cause. Ce qui sépare la spéculation des abus de marchés ce sont les lois et les divers règlements mais dans aucun cas la morale. Difficile ceci dit que l’opinion publique puisse faire de réelle différence lorsque les leaders politiques n’hésitent pas à surfer sur cette vague. Une phrase de François Hollande, alors candidat à l’élection présidentielle, est restée célèbre : « mon véritable adversaire, il n'a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera jamais élu et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c'est le monde de la finance »6 . On peut, ceci dit, se heurter à un problème. Que penser de la spéculation quand elle utilise des méthodes nouvelles qui, par la suite, seront définies comme étant des abus de marchés ? Les spéculateurs cherchent constamment de nouvelles méthodes d’arbitrage ou d’exploitation d’inefficience de marché et il se peut qu’elles soient définies, à posteriori, comme abus de marché par les régulateurs. C’est une des raisons pour lesquelles les textes sont larges et les définitions des abus de marchés sont très sujettes à l’appréciation des régulateurs mais, par conséquent, rend difficile l’apport de preuve irréfutable que certains comportement inconnus jusqu’alors constituent des abus de marchés. Justin Fox, directeur éditorial de l’Harvard Business Review reprenait à son compte7 un propos de John Schwall (cadre dirigeant chez Royal Bank of Canada à l’époque) rapporté par Micheal Lewis dans son ouvrage « flash boys » : « les marchés financiers ont toujours été corrompus ou sur le point de l’être ». La frontière entre nouvelles méthodes de trading et abus de marché semble mince et de toute façon difficile à définir. Pierre Giraudeau l’Ainé définissait assez bien la spéculation en 17418 , sa définition était très avant-gardiste et est toujours très actuelle : « spéculation, c'est acheter soi- même ou faire acheter par quelques correspondants, soit pour son propre compte, soit en participation, certaines marchandises, dans le temps qu'elles sont au-dessous de leur prix ordinaire, pour les revendre ensuite, soit dans le même endroit où l'achat est fait, soit en les faisant passer en d'autres endroits ». L’Académie Française a quant à elle pour la première fois définie la spéculation en 17989 : « il se dit aussi des projets, des raisonnements, des calculs que l'on fait en matière de banque, de finance, de commerce, etc. Ses spéculations lui out réussi, lui ont mal tourné ». Le Petit Larousse de 1905 donnait aussi une définition assez neutre de la spéculation : « combinaisons, 5 La Bible - Nouveau Testament - Evangile selon Saint-Marc - Chapitre 10 - Verset 25 6 Discours de François Hollande - Le Bourget - 22 janvier 2012 7 High Frequency Trading: Threat or Menace? - Justin Fox - 3 avril 214 - http://blogs.hbr.org/2014/04/high-frequency-trading-threat-or-menace/ 8 La banque rendue facile aux principales nations de l’Europe - Pierre Giraudeau l’Ainé - 1741 9 Dictionnaire de l’Académie Française - 5 ème Edition - 1798
  • 15. 14/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours opérations en matière de banque, de commerce, etc ». L’exemple donné était ceci dit négatif, pouvant communiquer le message subliminal que la spéculation n’était pas une bonne chose : « se ruiner en spéculations hasardeuses ». Les acheteurs ont un biais : ils veulent acheter un actif moins cher que son cours actuel. Les vendeurs ont aussi un biais : ils veulent vendre un actif plus cher que son cours actuel. Pour qu’une transaction soit réalisée, il faut, et c’est une évidence, que l’acheteur et le vendeur soient d’accord sur le prix. C’est parfois difficile compte tenu de leur biais respectif ! C’est particulièrement vrai sur les marchés de matières premières qui étaient à l’origine avant tout des marchés de couverture : l’agriculteur veut vendre plus cher son blé que le meunier ne veut l’acheter. C’est là qu’intervient le spéculateur, il apporte la liquidité au marché. En effet, les acheteurs et vendeurs, pour réaliser leurs transactions sont souvent tributaires d’un spéculateur qui va leur apporter de la liquidité en acceptant de prendre un risque sur les marchés financiers. La spéculation est donc bonne pour les marchés financiers, elle fluidifie la formation des prix. La spéculation est partout. Un petit épargnant qui a un PEA et qui achète des actions est un spéculateur, il anticipe une hausse des cours. Un particulier qui emprunte à taux variable pour l’achat de sa maison est un spéculateur, il anticipe une baisse des taux d’intérêt. Une municipalité des Hauts-de-Seine de 30,000 habitants (Châtenay- Malabry) qui emprunte €11 millions avec une formule d’indexation du taux d’intérêt sur la parité de l’euro avec le franc suisse est une spéculatrice, selon la formule, elle anticipait une hausse de la parité, le contraire s’étant produit, elle s’est retrouvé avec un taux d’intérêt de 32.51%10 . Un acheteur de blé, chez un meunier, qui indexe ses prix de vente de farine sur les cours du blé et qui achète son blé avant d’avoir conclu une vente de farine est un spéculateur, il anticipe une hausse du prix du blé. Si la spéculation est bonne, elle n’est pas néanmoins sans risque. Nul doute que l’opinion publique n’aurait jamais entendu parler des emprunts toxiques mentionnés ci-avant si les scenarii de marchés avaient été favorables aux contractants ! L’aspect péjoratif de la spéculation pourrait alors tout simplement venir du fait que, pour simplifier, c’est un jeu à somme nul. Les gagnants font leurs gains au détriment des perdants… Est-ce juste et moral ? C’est une question philosophique voire théologique ! C’est en tous cas, si les règles sont respectées, légal. V – Les organes de contrôle actuels A – Aux USA Le premier organisme crée fut la SEC, dépendant du gouvernement fédéral. La SEC comporte aujourd’hui 5 divisions aux prérogatives différentes : la surveillance des 10 http://emprunttoxique.info/change/
  • 16. 15/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours entreprises, la surveillance des marchés financiers, la surveillance des fonds de pension, la cellule d’enquête et la division innovations. C’est la cellule d’enquête qui est en charge de veiller à faire respecter les lois et règlements. Elle a un pouvoir civil et administratif mais en aucun cas pénal. Si elle a autorité en matière civile et administrative, des poursuites pénales ne peuvent être entreprises que par le procureur saisi par la SEC. Ainsi, très souvent, les sanctions administratives (suspension des licences de trading) et civiles (amendes) ne donnent pas lieu à des poursuites pénales, les parties signant très souvent des transactions financières et les dossiers ne sont pas transmis au procureur. Mais c’est aussi du fait que la constitution de l’infraction pénale est souvent difficile à démontrer. L’organisme a fortement été critiqué lors de l’affaire Bernard Madoff (condamné pénalement le 12 mars 2009). Son incapacité à détecter la fraude la plus grande de l’histoire des Etats-Unis a été pointée du doigt. En effet, l’ampleur ($65 milliards) et la simplicité de stratagème (un système de Ponzi) ont nourri les spéculations les plus vives quant à l’existence de complicité internes, de lobbying ou de conflits d’intérêts. Elle n’a réagi que le 19 décembre 200811 que lorsque l’affaire a été révélée au grand jour (ses enfants l’ont dénoncé le 10 décembre 2008), prenant connaissance de la fraude en même temps que tout le monde. Bernard Madoff a été condamné au pénal à 150 ans de prison12 . Son pouvoir est ceci dit très conséquent, les exemples récents l’ont montré. En novembre 2012, la SEC a condamné British Petroleum13 suite à l’explosion de sa plateforme pétrolière Deepwater Horizon (en avril 2010) dans le Golfe du Mexique où du pétrole s’est rependu dans l’océan. Alors BP a essayé de minimiser l’ampleur du problème pour des évidentes raisons de relations publiques et d’image de marque mais la SEC a estimé qu’il s’agissait aussi de propagation de fausse information pouvant tromper les marchés financiers et les actionnaires. Ainsi, la sanction financière fut incommensurable : $525 millions. En 2010, la banque Goldman Sachs a signé une transaction avec la SEC14 mettant fin, pour $550 millions, à l’enquête de la SEC sur les tromperies présumées de Goldman Sachs pendant la crise des « subprimes » où elle aurait misé contre les produits qu’elle commercialisait à ses clients. Malgré l’ampleur 11 Litigation Release No. 20834 / December 19, 2008 - SEC v. Bernard L. Madoff and Bernard L. Madoff Investment Securities LLC (S.D.N.Y. Civ. 08 CV 10791 (LLS)) - SEC Obtains Preliminary Injunction, Asset Freeze, and Other Relief Against Defendants 12 United States v. Bernard L. Madoff, 09 Cr. 213 (DC) 13 Litigation Release No. 22531 / November 15, 2012 - SEC v. BP p.l.c., Case No. 2:12-cv-02774 (E.D. La. Nov. 15, 2012) - BP to pay $525 million penalty to settle SEC charges of securities fraud during Deepwater Horizon oil spill 14 Litigation Release No. 21592 / July 15, 2010 - SEC v. Goldman, Sachs & Co. and Fabrice Tourre, Civil Action No. 10 Civ. 3229 (S.D.N.Y. filed April 16, 2010) - Goldman Sachs to pay record $550 million to settle SEC charges related to subprime mortgage CDO
  • 17. 16/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours de la sanction financière, elle fut considéré comme une gentille tape sur le poignet au regard de l’ampleur des conséquences. Le second organisme fédéral revêtant une grande importance est la Commodity Futures Trading Commission. La commission est en charge du contrôle des opérations des marchés dérivés (futures, options, swaps,…). Elle remplace, en 1974, la Commodity Exchange Authority (crée en 1936). Si à l’origine, comme son nom l’indique, elle était spécifiquement dédiée aux marchés dérivés de matières premières (« commodity ») dont les marchés étaient destinés à être des marchés dérivés de couverture des risques de prix, la financiarisation des autres classes d’actifs et la généralisation des produits dérivés ont fait qu’elle englobe dorénavant tous les marchés dérivés. La CFTC contrôle les intermédiaires (courtiers), teneurs de compte (compensateurs), les activités sur les marchés et se charge de faire respecter les règles. Au même titre que la SEC, les sanctions sont civiles et administratives, en aucun cas elles ne sont pénales. A sa discrétion, la CFTC peut transmettre des dossiers aux cours fédérales pour que le volet pénal des affaires soit éventuellement traité. Ainsi, les bourses de Chicago (le Board of Option Exchange, le Board of Trade, le Mercantile Exchange), du Kansas (le Board of Trade), de Minneapolis (le Grain Exchange) et de New-York (le Mercantile Exchange) sont toutes régulées par la CFTC. Son pouvoir est très significatif. Ainsi, en janvier 2008, le courtier MF Global ne s’est pas rendu compte que l’un de ses employés prenait des positions massives et non autorisées sur les marchés dérivés de blé. Les opérations malheureuses ont enregistré une perte de $141 millions. La CFTC a alors pointé qu’il était inacceptable que de telles opérations soient restées indétectables par le service des risques. Alors, l’amende infligée fut de $10 millions15 . L’employé, Evan Brent Dooley, fut quant à lui condamné au pénal à 5 ans de prison et $141 millions de dommages et intérêts16 . A titre de comparaison, la France a connu un cas similaire, l’affaire Kerviel et les conséquences pénales pour l’intéressé furent similaires en première instance : 5 ans de prison (dont 2 avec sursis) et le montant total de la perte (dans le cas d’espèce €4.9 milliards) en dommages et intérêts17 . La Société Générale, quant à elle, a reçu un blâme et une sanction de €4 millions par la Commission Bancaire18 . Il est intéressant de constater que le montant de la sanction financière infligée à MF Global représente 7% de la perte alors que le montant de la sanction financière infligée à la Société Générale ne représente que 0.08% de la perte. La culture de sanction financière aux USA et la répression drastique des crimes et délits financiers prend alors tout son sens ! Ironiquement, le courtier MF Global fit finalement faillite le 8 novembre 2011 et reste à ce jour la 8ème plus grosse faillite de l’histoire des Etats-Unis. 15 Release: 5763-09 - CFTC Sanctions MF Global Inc. $10 Million for Significant Supervision Violations between 2003 and 2008 16 United States of America vs. Evan Brent Dooley - No 10 CR 335 - Judge Robert M. Dow, Jr 17 Jugement du 5 octobre 2010, 11 ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris 18 Bulletin officiel du CECEI et de la Commission Bancaire - n°5 - Juillet 2008
  • 18. 17/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours Enfin, la CFTC plaide pour la transparence et reste le seul régulateur de marchés dérivés à publier des statistiques fiables sur les marchés des matières premières au travers, notamment, du Commitment of Traders (COT). Toutes les semaines, la CFTC publie des rapports séparant les prises des positions entre spéculateurs (fonds de pension, banques,…) et les commerciaux (opérateurs utilisant les marchés comme marchés de couverture où allant à la livraison physique : producteurs, industriels, négociants,…). Le système financier américain cherche à s’autoréguler au maximum. Ainsi, la FINRA (Financial Industry Regulatory Authority) est une agence privée ne dépendant pas du gouvernement fédéral contrairement aux deux précédentes. Elle est en charge de mettre en place des règles pour les intermédiaires financiers et les opérateurs de marchés. Elle est financée exclusivement par ses membres. Ainsi, en Mars 2014, la FINRA comptait 4,142 membres soit 633,155 opérateurs de marchés19 . En termes de taille (nombre d’employés), cette agence est aussi grosse que la SEC et 10 fois plus grosse que la CFTC ! Les règles sont prises très au sérieux et les sanctions administratives, civiles et pénales sont si lourdes que le secteur financier veut s’autoréguler et tout faire pour que certains conflits restent des conflits d’ordre privé. Ainsi, dans les faits, la FINRA est devenu le plus gros tribunal arbitral des USA. Il y a entre 3,000 et 8,000 demandes d’arbitrages par an20 . Outre les litiges contractuels entre sociétés, la FINRA cherche aussi à protéger les investisseurs individuels. Ainsi, un type fréquent de litiges à attrait à la vente de produits financiers aux personnes âgées. La FINRA a par exemple tranché le fait que vendre un produit financier à une personne de 77 ans avec une clause de pénalités de rachat sur 10 ans n’était pas approprié. Ainsi, le 14 mai 2010, la société Ameriprise Financial Services a été condamnée à payer $266,000 dollar pour manquement au devoir d’information21 . Le secteur financier aux USA est donc fortement régulé et les sanctions civiles, administratives et pénales sont souvent très lourdes. La culture de la transaction y est assez développée et soulève de temps en temps la critique d’une justice à deux vitesses où l’argent peut éviter les sanctions pénales. B – En France Le principe de la double répression (pénale et administrative) est aussi en place. Les arbitrages, transactions ou compromissions avec les agences d’Etat sont ceci dit sujettes à débat et pour l’instant très encadrées. L’Article 2060 du Code Civil dispose que « On ne peut compromettre [...] sur les contestations intéressant les collectivités 19 www.finra.org/Newsroom/Statistics/ 20 www.finra.org/ArbitrationAndMediation/FINRADisputeResolution/AdditionalResources/Statistics/ 21 FINRA Dispute Resolution 08-04425 - Guenther Roth vs. Ameriprise Financial Services and David Tysk
  • 19. 18/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public. Toutefois, des catégories d'établissements publics à caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à compromettre ». Le Conseil d’Etat disait ceci dit en 198622 que « les personnes morales de droit public ne peuvent pas ses soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties ». L’arbitrage est donc, dans ces circonstances très rare, et quand il a tout de même lieu, cela ouvre la porte à la controverse. Ainsi, le 3 septembre 2008, le député Charles de Courson a rappelé, en commission des finances à l’Assemblée Nationale23 , au sujet de du contentieux entre le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie qu’il était « légitime de s'interroger plus avant sur les possibilités d'un recours à l'arbitrage pour une structure, le CDR, qui est certes constituée sous la forme d'une société anonyme, mais dont la surveillance et la gestion financière relèvent directement d'un établissement public administratif – l'EPFR. Or, le recours à l'arbitrage a toujours été exclu par principe pour les personnes publiques, ainsi que le précise très nettement, et en des termes particulièrement larges, l'Article 2060 du code civil, qui dispose qu'on ne peut compromettre sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public. Le Conseil d'État a érigé cette interdiction en principe général du droit dans son avis du 6 mars 1986. Les seules dérogations qui ont été apportées à cette règle concernent à ce jour les différends des personnes publiques relatifs à la liquidation de leurs dépenses de travaux publics et de fournitures, les litiges nés autour des contrats conclus pour la réalisation d'opérations d'intérêt national entre plusieurs personnes publiques et une entreprise étrangère ou l'obtention par l'Etat du retour d'un bien culturel ». La loi de sécurité financière du 1er août 200324 a créé l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Jusqu’alors, il existait 3 organismes prudentiels : la Commission des Opération des de Bourse (COB), le Conseil des Marchés Financiers (CMF) et le Conseil de Discipline de la Gestion Financière (CDGF). Leur regroupement a permis une simplification, des synergies et la suppression des redondances. La COB, organisme le plus proche de l’AMF actuelle, fut créée en 1967, bien plus tard, donc, que la SEC américaine. L’Article L621-1 du Code Monétaire et Financier précise son statut : l’AMF, « autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, veille à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant 22 Conseil d’Etat - Avis n°339710 du 6 mars 1986 23 Rapport d'information déposé en application de l'Article 145 du Règlement par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire relatif au contentieux entre le Consortium de réalisation (CDR) et le groupe Bernard Tapie et présenté par M. Jérôme Cahuzac, Député: http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3296.asp#P243_63939 24 Loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière
  • 20. 19/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers. Elle apporte son concours à la régulation de ces marchés aux échelons européen et international ». L’AMF a un pouvoir réglementaire somme toute relativement identique à ses homologues étrangers : elle édicte des règles régissant les entreprises faisant appel publique à l’épargne où émettant des instruments financiers, elle édicte les règles relatives aux offres publiques et elle régule les professions financières (en des termes de conditions d’accès ou de déontologie notamment). Toutes ces règles sont reprises dans son Règlement Général25 . Son Livre VI, « Abus de marché : opération d’initiés et manipulation de marché » nous intéresse tout particulièrement. Plus que de définir clairement quels sont les abus de marchés, le cadre général fixe quelles comportements sont jugés acceptables, ainsi, il est parfois difficile d’identifier si un comportement doit être considéré comme un abus de marché ou non. L’Article 612-2 fixe le cadre de l’acceptabilité des comportements : ainsi, les opérations doivent être « transparentes », ne pas enfreindre la libre interaction entre « l’offre et la demande », ne pas impacter la « liquidité et l’efficience du marché », respecter les « mécanismes de négociation », ne pas impacter « l’intégrité » des marchés, se conformer aux recommandations émises par tout « contrôle » ou « enquête » et respecter les « caractéristiques structurelles du marché concerné ». Autant dire que le pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’AMF est important et, conséquence, rend difficile l’identification des abus de marchés, notamment les nouveaux, la créativité étant malheureusement sans limite dans le domaine. La manipulation de marché fait l’objet du Titre III de ce même livre et ne semble pas rendre véritablement plus clair les techniques de manipulation de cours et se borne à encadre le concept. Ainsi, l’Article 631-1 définit comme manipulation le fait de « donner des indications fausses ou trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers » ou de fixer « le cours d'un ou plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel ». Aussi, est considéré comme de la manipulation le fait d’avoir recours à des « procédés donnant une image fictive de l'état du marché » en usant de « tromperie ou d'artifice » tels que la création de « conditions de transaction inéquitables » par la création d’une « position dominante sur le marché » ou « d’entraver l’établissement » des prix. Les définitions sont donc plutôt larges ce qui, peut-on penser, pourrait donner un avantage à l’AMF pour lui permettre de définir comme manipulation ou abus une large gamme de comportement. Cependant, le corolaire est que le manque de précision ouvre la voie à autant de contestations. 25 Règlement Général de l’AMF en vigueur : http://www.amf-france.org/Reglementation/Reglement- general-et-instructions/Reglement-general-en-vigueur/
  • 21. 20/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours Ainsi, une méthode de manipulation connue sous le nom de « spoofing » semble clairement prohibée selon les dispositions du Règlement Général de l’AMF. Nous y reviendrons en détail mais cette stratégie a comme fondement l’utilisation d’ordres, à grande échelle, destinées à être annulés, en vue de polluer le carnet d’ordre et d’influencer les autres opérateurs. L’annulation d’ordre étant tout à fait autorisée, l’on va se heurter à au moins deux difficultés majeures : comment prouver l’intention qu’un ordre n’avait jamais vocation à être exécuté ? Comment déterminer le nombre d’ordres à partir duquel il s’agirait d’un procédé « donnant une image fictive de l'état du marché » ? On commence donc à cerner les difficultés que les régulateurs des différents pays auront à parfaitement encadrer le trading à haute fréquence. La répression s’annonce donc particulièrement compliquée et de nombreuses pistes de luttes contre la manipulation de marché passent par l’instauration de mesures préventives (pénalités financières par exemple) mais ouvrirait la voix à la création d’un marché à deux vitesses : ceux qui peuvent payer, et ce qui ne peuvent pas… Sur les volets administratifs et disciplinaires, l’AMF est dotée d’un pouvoir de sanction. Le Président de l’AMF saisira, sur le volet pénal, la juridiction adéquate si nécessaire. L’AMF a sanctionné, le 20 décembre 2007, Antoine Nodet à une sanction pécuniaire26 de €250,000. Il me plait de citer cet exemple non seulement parce que dans le cadre du « spoofing » et du « wash trade » (méthodes largement utilisées en trading à haute fréquence) elle est particulièrement intéressante, mais aussi d’un point de vue personnel car Antoine Nodet, ancien administrateur de la Société Française des Analystes Financiers (SFAF) a été mon professeur à l’Ecole Libre de Sciences Commerciales Appliquées (ESLSCA)27 . En l’espèce, en 3 mois, la liquidité (représentée ici par les nombre de transactions réalisées) d’une action cotée sur l’Eurolist Compartiment C d’Euronext (actions, non cotées en continue, de PME dont la capitalisation boursière est inférieure à €150 millions, autrement dit les plus petites sociétés cotées en bourse et les moins liquides) a été multipliée par plus de 12 et le cours a été multiplié par 9… Il n’en fallait pas plus pour éveiller les soupçons de l’AMF. L’AMF, après enquête, a reproché à Antoine Nodet d’avoir réalisé de « façon récurrente des opérations en face à face » et d’avoir procédé à « des annulations d’ordres récurrentes ». Ainsi, les profits indûment réalisés ont été évalués à €80,000, alors, la sanction représente plus de 3 fois les profits réalisés. Il sera intéressant de voir le ratio des sanctions lorsqu’un cas de profit énorme se présentera au travers de manipulation de marché identique effectuée par une société de trading à haute fréquence. 26 AMF - Décision de la Commission des Sanctions à l’égard de M. Antoine Nodet - 1 ère section de la commission des sanctions de l’AMF - 20 décembre 2007 27 http://www.eslsca.fr/contacts-3e-cycle-specialise-analyse-finaciere.html
  • 22. 21/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours Le zèle de l’AMF est parfois bien moindre et l’affaire EADS a défrayé la chronique. Au deuxième trimestre 2006, Airbus a de sérieux problèmes. Les dirigeants et gros actionnaires discutent de la dégradation inéluctable de rentabilité d’Airbus, des problèmes industriels que subit l’A380 et de la révision du programme de livraison de l’A350. Ces informations ne sont alors pas publiques et l’AMF va alors enquêter sur des ventes de titres EADS suspects des gros actionnaires (notamment Daimler et Lagardère) et de membres du comité exécutif. Ont-ils agi sur la base de ces informations ? Etait-ce de l’information privilégiée ? Le calendrier est troublant. Le rapport de l’AMF28 note : « le 4 avril 2006, après la clôture du marché, les groupes Lagardère et Daimler ont annoncé leur décision de céder, chacun et de concert, 7,5 % du capital d’EADS. […] Au cours du mois de mars 2006, le service de la surveillance des marchés de l’Autorité des marchés financiers a identifié de nombreuses cessions d’actions EADS, consécutives à la levée d’options par certains des dirigeants d’EADS. […] Le 13 juin 2006, après la clôture, Airbus a annoncé un décalage du calendrier de livraison de l’A380, en raison de difficultés industrielles de gestion de montée en cadence de la production. EADS a publié le même jour un avertissement sur résultats ». L’AMF a ceci dit conclu, entre autre, que les informations dont bénéficiaient les personnes visées ne constituaient pas une « information privilégiée au sens des dispositions […] de l’Article 621-1 du règlement général de l’AMF ». Ainsi, l’AMF décida de « mettre hors de cause » la totalité des protagonistes. Les plus mauvaises langues, dans la presse, ont largement cité cette morale « Selon que vous serez puissant ou misérable, / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »29 . Ainsi, Colette Neuville, présidente de l’Association de Défense des Actionnaires Minoritaires (ADAM), disait30 : « circulez, il n'y a rien à voir, c'est ce qu'on nous dit. C'est un véritable scandale, cela va au-delà de tout ce que l'on pouvait imaginer ». De leur côté, il est vrai que même les proches du dossier ont été surpris. Ainsi, la même dépêche rapporte les propos d’une source anonyme : « on ne s'attendait pas du tout à cela »… Enfin, si les compromissions et les transactions, on l’a vu, sont très encadrées, il existe une méthode de transaction homologuée qui s’appelle un accord de composition administrative. En effet, la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a modernisé les procédures des sanctions de l’AMF. L’Article 7 de la loi crée le concept de « composition administrative » pour des procédures relatives à des manquements commis par des intermédiaires financiers vis à vis de leurs obligations professionnelles. Autrement dit, il est impossible de recourir à cette voie en ce qui 28 AMF - Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers réunie en séance plénière - Décision de la commission des sanctions à l’égard de MM. Olivier Andries, François Auque, Fabrice Bregier, Charles Champion, Henri Courpron, Ralph Crosby Jr, Thomas Enders, Alain Flourens, Noël Forgeard, Jean-Paul Gut, Gustav Humbert, Jussi Itävuori, John Leahy, Erik Pillet, Andreas Sperl, Thomas Williams, Stefan Zoller et des sociétés EADS NV, Lagardère SCA, et Daimler AG - 27 novembre 2009 29 Jean de la Fontaine - Les Animaux malades de la Peste - Fables de la Fontaine - Livre VII - Fable 1 30 Reuters - 18/12/2009
  • 23. 22/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours concerne les abus de marchés. Cela permet ainsi d’éviter que la commission des sanctions de l’AMF ne soit saisie dans des cas mineurs et très spécifiques et les sanctions sont la plupart du temps d’un faible montant (le bénéficiaire étant le Trésor Public) et la société à laquelle les griefs ont été exposés s’engage à prendre des mesures correctives. Ainsi, 12 accord de composition administratives ont été signées depuis que la possibilité est offerte et, par exemple, le 14 mars 2012 avec la société Alis Capital Management31 . La thématique nous intéresse particulièrement puisque elle implique un FCIMT (Fonds Commun d’Intervention sur mes Marchés à Terme, les Hedge Funds à la française) dont une partie est gérée de façon quantitative et systématique (on parle de trading algorithmique, cela nous intéresse dans le cadre du trading haute fréquence). Le « défaut de permanence de moyens humains » ayant conduit à « une absence partielle ou totale de gestion effective » ayant engendré des pertes. Il est aussi reproché à la société de ne pas avoir communiqué sur cette situation auprès des porteurs. L’accord comprend une sanction de €20,000 et l’engagement par la société de documenter ses modèles quantitatifs pour, qu’en cas d’absence du gérant, son remplaçant puisse gérer les positions de façon effectives. Il s’agit donc de manquements mineurs mais soulève ceci dit un point important : les modèles doivent être documentés et, on le verra par la suite, les trading haut fréquence surfe sur la vague de l’opacité en premier lieu pour ne pas ébruiter les secrets de leurs modèles mais aussi pour, malheureusement, essayer d’éviter les contrôles et sanctions. C – Au Royaume-Uni Si la France c’est dotée relativement tard d’un organisme de contrôle, c’est encore plus tard qu’est apparu un tel organe : en 1985, sous le nom de The Securities and Investments Board. Son inefficacité a été pointée du doigt dans la faillite de la banque Barings (banque menée à la faillite en 1995 par un seul et unique trader, Nick Leeson) et l’organisation s’est restructurée, a augmenté ses pouvoirs et est devenu, en 1997, la FSA, Financial Services Authority. Elle régulait alors les banques, les assurances, les sociétés d’investissements, les conseillers en investissement financiers, les organismes de crédit spécialisé,… La crise des subrpimes, la faillite de Lehman Brothers et la crise économique ont déstabilisé les banques du Royaume-Uni, Si bien, qu’à deux reprises, en 2008 et 2009, l’Etat a du renflouer les banques (la première fois pour £500 milliards, la seconde pour £50 milliards). Le symbole du vacillement du système bancaire britannique fut représenté par The Royal Bank of Scotland (RBS), qui fut pendant un (très court) laps de temps la plus grande banque mondiale avant de se trouver au bord de la faillite et d’être, dans les faits, nationalisé en quasi-totalité 31 AMF - Accord de Composition Administrative conclu le 14 mars 2012 avec la Société Alis Capital Management
  • 24. 23/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours puisque l’Etat, au fur et à mesure des plans de recapitalisation, se retrouve actionnaire à hauteur de 84%32 . Attisé par des protestations de l’opinion publique, des émeutes en marge du G20 de Londres en 2009, la prise de pouvoir des conservateurs en 2010, l’Etat s’est lancé dans des reformes financières structurelles se traduisant par le Financial Services Act en 2012. La Financial Services Authority fut alors séparée en trois, le Financial Policy Comitee, la Prudential Regulation Authority et la Financial Conduct Authority33 . Le premier est un comité dépendant de la Bank of England et est chargé d’identifier les risques macro- économiques et les risques menaçant la stabilité du système financier. Il a un pouvoir consultatif et fournit des recommandations aux deux autres autorités. La Prudential Regulation Authority, dépendant également de la Bank of England, se charge d’établir les règles prudentielles des banques, établissements de crédit, assurances et société d’investissement. Elle veille notamment au respect des ratios de liquidité établis par le Comité de Bâle. Ces deux établissements nous intéressent moins dans le cadre de notre étude. C’est en effet la Financial Conduct Authority qui a récupéré les principales prérogatives en matière de marchés financiers. La Financial Conduct Authority contrôle toute les entreprises financière, elle s’assure que les lois et les règles sont respectées et que les comportements des opérateurs n’entravent pas le bon fonctionnement des marchés ou leur intégrité. Aussi, l’autorité veille à ce que les clients soient traités avec équité en toute transparence et que les informations de marché nécessaires leurs soient bien transmises. La FCA vient d’aboutir à la conclusion d’une enquête ayant défrayé les chroniques financières outre-manche et a abouti à la condamnation de Barclays à £26 millions d’amende34 . Un trader de la banque avait découvert une faille dans le mécanisme de fixation des cours de l’or. Ainsi, en manipulant le fixing de l’or, la banque a évité de payer des livraisons d’options digitales (le trader, Daniel James Plunkett, manipulait le fixing pour que le cours de compensation de l’or finisse au-dessus ou au-dessous de la barrière qui l’intéressait pour ses options). Le trader a été banni de la profession. Ce genre des manipulations semble malheureusement courant quand des fixings de taux sont concernés et ce cas fait écho au précédents cas où Barclays était déjà impliqué : le scandale des fixings du LIBOR et de l’EURIBOR. Les banques RBS, Barclays, HSBC, Deutsche Bank, JP Morgan et Citibank se seraient livrées à des ententes pour 32 RBS axes 3,700 jobs as taxpayer stake hits 84% - The Guardian - Jill Treanor - http://www.theguardian.com/business/2009/nov/02/rbs-slash-costs-cuts-jobs 33 HM Treasury - Press release - Financial Services Bill receives Royal Assent - 19 décembre 2012 - https://www.gov.uk/government/news/financial-services-bill-receives-royal-assent 34 FCA - Barclays fined £26m for failings surrounding the London Gold Fixing and former Barclays trader banned and fined for inappropriate conduct - 23/05/2014
  • 25. 24/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours manipuler le fixing des taux LIBOR et EURIBOR… Depuis 199135 ! Barclays s’est vu infliger une amende de $200 millions36 par la CFTC, $160 millions par la justice américaine37 . L’UBS, quant à elle a récolté un total de $1.5 milliard de pénalités financières38 . Le courtier ICAP s’en sort mieux puisqu’il n’a récolté qu’un total de $87 millions de pénalités39 . Enfin, la Commission Européenne40 , au travers de son autorité de la concurrence a notamment condamné RBS, Deutsche Bank et JP Morgan à un total, à eux trois, de €599 millions. Citigroup a reçu une immunité partielle (se faisant tout de même condamner à €70 millions) et UBS une immunité totale ayant été les premiers à dénoncer les infractions. Les manipulations de ce type sont alors prises très au sérieux. D – Les organes supranationaux Deux organes supranationaux méritent d’être cités : l’International Organization of Securities Commission (IOSCO) et l’European Securities and Market Authority (ESMA). La première organisation a exposition mondiale, la seconde a une exposition européenne. L’IOSCO compte plus de 100 membres et couvre ainsi plus de 90% des marchés financiers. Son but est d’émettre des recommandations et des principes communs, un code de conduite commun, de réfléchir en commun à des améliorations et harmonisation des règles et de leurs applications. L’ESMA a quant à elle l’objectif de créer, à terme, un organe de contrôle européen unique qui aurait un réel pouvoir de contrôle et de sanction. En somme, l’objectif serait d’harmoniser réellement les règles à l’échelle européenne en vue de garantir la stabilité des marchés financiers et la protection des investisseurs. Nous en sommes encore loin et l’institution se cantonne à émettre des recommandations pour les pays membre et de produire des rapports. Ainsi, ces deux institutions sont pour le moment plus consultatives et spéculatives que réellement opérative. Elles sont ceci dit très utiles en ce qui concerne le partage d’information et les retours d’expérience. On imagine mal l’IOSCO sortir de ce modèle compte tenu du nombre de ses membres mais l’ESMA a clairement plus d’espoir 35 Financial Times – 27 juillet 2012 - My thwarted attempt to tell of Libor shenanigans - Douglas Keenan 36 CFTC Press Release PR6289-12 - CFTC Orders Barclays to pay $200 Million Penalty for Attempted Manipulation of and False Reporting concerning LIBOR and Euribor Benchmark Interest Rates - 27 juin 2012 37 Department of Justice - 27 juin 2012 - Barclays Bank PLC Admits Misconduct Related to Submissions for the London Interbank Offered Rate and the Euro Interbank Offered Rate and Agrees to Pay $160 Million Penalty 38 BBC News - UBS fined $1.5bn for Libor rigging - 19 décembre 2012 39 NY Times Dealbook - U.S. and British Officials Fine ICAP in Libor Case - 25 septembre 2013 40 Commission Européenne - IP/13/1208 - Antitrust: Commission fines banks € 1.71 billion for participating in cartels in the interest rate derivatives industry - 4 décembre 2013
  • 26. 25/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours d’évolution si le modèle actuel de la construction européenne perdure, ce qui semble le cas puisque l’Union Européenne, on le verra, semble vouloir compléter par un volet pénal la directive de référence des abus de marchés.
  • 27. 26/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours TITRE 2 – Les définitions légales des abus de marchés I – Les différents abus de marchés Le but est ici de présenter succinctement les différents types d’abus de marché dans des termes vulgarisés. En effet, les abus de marchés, au niveau juridique ou réglementaire, on le verra, sont décrits de façon assez large en vue de ne pas être trop spécifique pour permettre d’inclure, à posteriori, des stratégies inconnues mais considérées finalement comme des abus. Etre trop précis ouvrirait la voie à des argumentations consistant à dire que si l’abus n’est pas décrit comme tel, ce n’en n’est pas un. Le corollaire est que le manque de précision ouvre la porte, aussi, à de nombreux débats sur ce qui est considérée, au point de vue légal, comme un abus de marché ou non. Aussi, cela nous permettra de façon plus aisée de voir quelles stratégies sont spécifiquement amenées à être utilisées par le trading à haute fréquence. Le délit d’initié est l’abus de marché que le grand public connaît le plus tant il est mis en scène dans de nombreux films (« Wall Street » notamment). Il s’agit du fait d’utiliser de l’information non publique pour opérer sur un titre. Le statut d’initié est, en quelque sorte, transmissible. Si l’initié est d’abord celui qui, par sa position, par exemple, dans une entreprise a accès à de l’information (notamment financière) non publique, il transmettra ce statut à toute personne, même extérieure, à qui il communiquerait cette information que ça soit de façon justifiée ou non d’ailleurs (la communication de l’information peut être tout à fait justifiée, à un consultant par exemple, ou non, par exemple à un membre de la famille ou à un ami pour que celui-ci puisse bénéficier de l’information). Il va sans dire que celui qui obtient de l’information privilégiée de manière illégale (vol, espionnage,…) sera bien évidemment considéré comme initié s’il l’utilisait. La façon dont est obtenue l’information est primordiale mais aussi difficile à appréhender. En effet, si un riverain d’une centrale EDF était témoin de son explosion et décidait de vendre l’action en bourse, l’information ne serait pas considérée comme privilégiée, elle est à disposition de tout un chacun. Par contre, si un serveur de restaurant surprenait une conversation entre deux PDG au restaurant, le cas est plus compliqué. Cela dépendrait du type d’information : les discussions sur les profits sont moins sensibles que les discussions sur les fusions, par exemple. Le cas est spécifiquement prévu aux Etats-Unis dans le « Code of Federal Regulations »41 . En effet si « quiconque » dispose de manière « directe ou indirecte » de l’information « qu’il sait privilégiée ou à raison de croire qu’elle l’est », il pourra être considéré comme initié. En comparaison, l’Article L465-1 du Code Monétaire et Financier réprime l’utilisation de l’information privilégiée par des personnes extérieures si elles le font en « connaissance de cause ». C’est en 1995 que ce concept 41 CFR Title 17 Chapter II - Part 240 - Section 240.14-e3 - Paragaph (d) (2) (iv)
  • 28. 27/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours est apparu en France. En effet, jusqu’alors, l’ordonnance du 28 septembre 196742 réprimait en son Article 10-1 le délit d’initié sans l’élargir aux personnes extérieures n’ayant pas de lien, à priori, professionnel. La Cour de Cassation a inauguré le principe le 26 octobre 199543 . La Cour écrit dans son arrêt : « si le recel ne peut résulter de la simple détention d'informations privilégiées, il est caractérisé à l'égard de celui qui, réalisant, en connaissance de cause, des opérations sur le marché avant que ces informations soient connues du public, bénéficie du produit du délit d'initié ainsi consommé ». Cela ouvrit ainsi la porte à la rédaction actuelle de l’Article L465-1 du Code Monétaire et Financier (l’ordonnance du 28 septembre 1967 fut modifiée par la loi 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières puis par la loi 2003-706 du 1 août 2003 de sécurité financière pour formaliser les dispositions actuelles du Code Monétaire et Financier). Ainsi, l’une des clefs des défenses est de démontrer que la personne suspectée de délit d’initié n’avait pas connaissance du caractère privilégié de l’information. Pour des personnes extérieures, la tâche est plus simple que pour des personnes internes (par exemple des dirigeants) et dans ce cas, l’avocat devra démontrer, et c’est difficile, que, par exemple, la connaissance approfondie des marchés financiers lui permet de faire des opérations sans détenir des informations privilégies et en faisant même abstraction des informations privilégiées dont il aurait connaissance. Le « front-running » est un abus de marché utilisé par les courtiers. Il pourrait presque être assimilé à du délit d’initié, mais dans ce cas-là, la seule information formelle dont dispose le courtier est l’ordre du client. Il ne dispose pas d’information privilégiée en tant que telle. Si un courtier reçoit un ordre d’un client, il lui est interdit de passer un ordre sur la même valeur avant son client. Autrement dit, il tirerait bénéfice de la connaissance de ses ordres clients pour exécuter, avant ses clients, des ordres pour son compte propre. Ceci dit, cet abus devient de plus en plus rare. La majorité des sociétés de courtage introduisent des règles interdisant à leurs employés d’opérer pour leur compte propre sur les marchés sur lesquelles ils interviennent pour limiter les conflits d’intérêts et délits d’initiés évitant aussi, de fait, toute possibilité de « front running ». Le « front running » a surtout lieu dans les marchés qui se traitent encore à la criée (c’est la raison pour laquelle il devient donc rare en France du fait de l’absence de criée). En effet, sur un marché à la criée, le statut des courtiers est différent et ambigu. Pour apporter de la liquidité au marché, ils sont autorisés à passer des opérations pour compte propre et pas seulement n’exécuter que des ordres pour le compte de clients. La porte est alors grande ouverte au « front running ». Il faut noter que l’inverse « le back-running » ou le « tailgaiting » (les termes n’existent pas à 42 Ordonnance n° 67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité de certaines opérations de bourse 43 Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 octobre 1995, 94-83780 - Affaire dite Pechiney-Triangle
  • 29. 28/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours proprement parler) est absolument licite : le courtier peut passer le même ordre après son client. Etant donné qu’il a exécuté l’ordre de son client, tout le marché a l’information et il peut très bien agir par mimétisme (comme tous les autres courtiers en présence), son client ayant eu la priorité. On pourrait penser qu’il suffît d’ouvrir un compte à son conjoint pour détourner de façon aisé les règles internes prohibant les négociations pour compte propre en vue de pouvoir opérer, notamment, à du « front-running » en toute discrétion. Déjà fait, déjà pris… Un cas somme toute relativement classique ! Ainsi, récemment, une plainte pénale a été déposée par la SEC le 23 mai 201344 contre un courtier, Daniel Bergin, qui aurait utilisé le compte de sa femme, Jacqueline Zaun, pour opérer à du « front- running » et sécuriser $1.7 million de plus-values illicites. L’instruction est toujours en cours et le cas semble tellement évident et individuel que, cette fois, la SEC n’a pas proposé de transaction. Le « wash trade » et le « spoofing » sont deux stratégies servant la même cause : créer de l’activité trompeuse sur un titre. Le « wash trade » est le fait d’acheter et vendre au même prix pour créer un volume artificiel, pour créer une activité sur un titre qui n’en n’a pas pour éveiller les intérêts. Le « spoofing » est le fait de mettre en carnet des ordres destinés à être annulés en vue de déclencher, également, des intérêts. On a présenté auparavant le cas d’Antoine Nodet. Les supercheries sont relativement faciles à détecter sur les titres peu liquides (où un nombre limité d’ordres permet de manipuler le marché) que sur des titres liquides où les ordres seront noyés dans la masse. Sur les titres liquides, on comprend mieux que l’infrastructure financière et technique nécessaire pour mener à bien ce genre de stratégie soit imposante et plus difficile à détecter. C’est malheureusement une constante, il est plus facile de détecter les petits fraudeurs que les gros fraudeurs. Sur les titres liquides, il est relativement aisé d’opérer à des « wash trade », il suffit d’avoir deux comptes différents, l’achat est fait d’un compte, la vente d’un autre. Mais cela ne signifie pas pour autant que le procédé est facile à mettre en place et même les plus gros se font attraper : la banque JP Morgan en est l’exemple et en a fait les frais sur les marchés dérivés de pétrole et d’essence. L’objectif n’était pas de créer une activité trompeuse mais de fausser le calcul des ratios d’emprise autorisés par les entreprises de marché, c’est donc plus une entrave au règlement de l’entreprise de marché (en l’occurrence le NYMEX, New-York Mercantile Exchange) plus qu’une entrave à la loi, ce qui explique que la CFTC n’a pas pénalisé JP Morgan mais c’est en effet le NYMEX qui a donné une amende de $30,000 dollars pour avoir, par 10 fois (seulement) en 6 mois, faussé les calculs d’emprise des contrats à terme45 . C’est évidemment le genre de stratégie qui nous intéresse au plus haut point pour le trading à haute fréquence. En effet, « wash trade » et « spoofing » 44 SEC vs. Bergin & Zaun - US Distric Court - Northern District of Texas - Dallas Division - Case 3:13-cv- 01940-M 45 NYMEX - Notice of Disciplinary Action - NYMEX-11-08428-BC - 1 er juin 2012
  • 30. 29/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours sont réalisés à grande échelle. Ceci dit, le « wash trade » est employé avec parcimonie puisqu’il est plus facile de démontrer qu’un « wash trade » a été exécuté que de démontrer qu’un ordre a été placé sans que l’intention de son exécution soit réelle (c’est à dire du « spoofing »). Le trading haute fréquence est en effet le royaume du « spoofing ». On verra mêmes plus loin que le « spoofing » est poussé à son paroxysme par une méthode dite « quote stuffing » (gavage d’ordre). Le « corner » ou « squeeze » pourrait être défini comme un abus de position dominante. On l’a vu, c’est ce qui a déclenché la crise de 1907 aux Etats-Unis. L’AMF consacre une partie de son règlement à ce sujet46 . Il est fait référence à l’Article L233-7 du Code de Commerce qui rend obligatoire la déclaration des franchissement des seuils de participation de 5%, 10%, 15% , 20%, 25%, 30%, 331/3 %, 50%, 662/3 %, 90% et 95%. Globalement, ces seuils ne prenaient en compte que les actions et depuis l’affaire Porsche-Volkswagen cela a évolué dans globalement toutes les législations et règlements en Europe. En effet, Porsche possédait, tout à fait régulièrement, 35.14% des actions Volkswagen en septembre 2008 et ne cachait pas ses intentions d’absorber, sur le long terme, la totalité de Volkswagen. La crise financière battant son plein, le secteur automobile fut frappé de plein fouet, les fonds de pensions et hedge- funds se sont mis à vendre les actions du secteur. Le 26 octobre 2008, Porsche fit trembler les marchés en annonçant avoir augmenté sa participation dans Volkswagen à 42.6% et détenir des options exerçables sur 31.5% du capital, portant potentiellement sa participation totale à 74.1%. Ce fut suffisants pour créer un « corner » et les fonds qui avaient vendus l’action à découvert étaient en position désespérée et durent se racheter en panique. Ainsi, alors que l’action Volkswagen avait clôturé à €210.85 le vendredi 24 octobre, elle ouvrit à €350 le lundi (soit +66%), termina à €520 (+147%) et est venu culminer à €950 le mardi devenant ainsi la plus grosse capitalisation boursière du monde ! Porsche clamait avoir agi dans la légalité puisque les régulations n’imposaient pas, il est vrai, à l’époque, d’inclure les calculs la part du capital détenue au travers de produits dérivés, en l’occurrence d’options d’achats. Les hedge-funds victime du « squeeze » ne l’entendaient pas de la même façon et ont exploré toutes les voies légales et 23 d’entre eux réclamaient €1.4 milliard de compensation pour les pertes subies. La Cour Régionale de Stuttgart s’est finalement prononcée en dernier ressort, récemment, le 17 mars 201447 48 . Il se sont vus déboutés de leur demande. En l’état actuel des règlementations, Porsche n’avaient pas obligation de déclarer le capital potentiellement détenu par l’exercice de ses options. Les règlementations ont bien évidemment évoluées à après ce gigantesque « corner » légal et l’Article L233-7 du Code de Commerce dispose alors dorénavant que 46 Règlement Général de l’AMF : Livre II (Émetteurs et information financière) - Titre II (Information périodique et permanente) - Chapitre II (Information périodique) - Section 2 (Franchissements de seuils, déclarations d'intention et changements d'intention) 47 Rechtsprechung - LG Stuttgart - 17.03.2014 - 28 O 183/13 48 Bloomberg - Porsche Scores Victory in Hedge Fund Suits Over VW Bid - 17 mars 2014
  • 31. 30/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours doivent être inclus dans les déclarations de seuil « les actions déjà émises que cette personne peut acquérir en vertu d'un accord ou d'un instrument financier mentionné à l'Article L211-1 du Code Monétaire et Financier ». L’Article L211-1 du Code Monétaire et Financier inclus alors les « instruments financiers à terme » dont les options d’achats font partie. L’intention est excellente mais techniquement cela peut s’avérer parfois compliqué. En effet, les prix d’exercice des options peuvent être tels que les options sont exerçable un jour et non exerçable le lendemain. La dernière manipulation de marché courante est la manipulation du cours de clôture. Du même type que les manipulations du LIBOR et de l’EURIBOR dont nous avons parlé précédemment, un intermédiaire peut avoir intérêt (pour lui-même directement ou contre les intérêts de l’un de ses clients) à faire clôturer un titre au-dessous ou au- dessus d’un certain niveau. Il lui est alors interdit d’exercer volontairement une pression acheteuse ou vendeuse à la clôture pour influencer le cours de clôture. Ainsi, La Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a confirmé, le 7 avril 200949 , un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 29 janvier 2008 qui avait confirmé la sanction pécuniaire de €500,000 infligée par la Commissions des Sanctions de l’AMF à la société Foch Investissements50 . En effet, la société Foch Investissements avait manipulé le cours de clôture de l’action Eurotunnel les 26 août et 24 septembre 2002. Ces dates correspondait au jour de liquidation du Service de Règlement Différé (SRD, successeur du Règlement Mensuel – RM). Ainsi, en manipulant à la hausse le cours de l’action, la société Foch Investissement a pu diminuer les appels de fonds nécessaires pour maintenir sa position. Les cours étant inscrits dans une tendance baissière, la société n’avait pas, à priori, la capacité d’honorer la totalité des appels de marge requis pour continuer à porter sa position sur le mois suivant. Le dernier abus de marché dont il faut parler, n’est pas une manipulation de marché à proprement parler car elle est indirecte. Il s’agit de propager de la fausse information. Qu’elle ait ou non une influence sur les cours n’a pas d’importance, qu’il en ait été tiré profit ou non n’influe pas sur le caractère illicite de l’abus. L’Article 632-1 du Règlement Général de l’AMF (qui reprend les dispositions de l’Article L465-2du Code Monétaire et Financier) ne fait en effet pas de différence compte tenu des conséquences : « toute personne doit s’abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments financiers, y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les informations étaient inexactes ou trompeuses ». Ainsi, l’AMF a condamné, cas extrême alors que l’information n’avait pas eu de conséquence sur les cours et que les protagonistes n’en avait pas tiré profit, deux bloggeurs à un total de 49 Cour de Cassation - Chambre Commerciale - Mardi 7 avril 2009 - Pourvoi 08-13077 50 AMF - Décision de la Commission des Sanctions - 7 décembre 2006
  • 32. 31/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours €18,000 euros d’amende51 deux bloggeurs ayant publié des informations erronées sur la Société Générale. Le cas est intéressant puisque l’AMF dans sa décision motive le fait que l’un des protagonistes aurait dû savoir (selon les termes de l’Article de Règlement Général mentionné) que l’information était erronée grâce à sa « qualité d’ancien professeur des universités enseignant l’analyse financière ». Ceci dit, les cas les plus courants de propagation de fausse information sont fait pour en profiter par des techniques dites « pump and dump » ou « trash and cash ». La première consiste à propager de l’information positive pour pouvoir vendre des titres à un cours plus élevée, la seconde consiste à propager de l’information négative pour acheter les cours à un niveau plus faible. La technique du « pump and dump » est largement représentée dans les films « Boiler Room » ou « The Wolf of Wall Street » qui sont inspirés des agissements de la société Stratton Oakmont qui était une grande spécialiste en la matière ! Les courtiers recommandent une valeur à l’achat en leur communiquant des informations optimistes (mais fausses) à leurs clients (souvent sur des titres de petites sociétés sur des marchés peu liquides où les cours sont relativement faciles à manipuler) et se portent indirectement contrepartie pour leur vendre les titres recommandés en vue de s’en débarrasser (bien évidemment au meilleur prix et au détriment de leurs clients). Ainsi, par exemple, la SEC a condamné, le 25 janvier 200852 , la société Spear & Jackson à un total de $6.8 millions de dollars de pénalités financière et dommages et intérêts pour avoir réalisé une manœuvre de « pump and dump » sur son titre. Plus anecdotique, un garçon de 15 ans a été condamné le 20 septembre 200 par la SEC53 à payer à $285,000 pour avoir propagé de fausses informations surs des fora internet tels que Yahoo! Finance de fausses informations sur des actions illiquides en vue de faire monter les cours pour réaliser des profits. La commission a été particulièrement clémente, le garçon ayant admis qu’il s’agissait d’une expérience censée démontrer qu’aux balbutiements de la bulle internet, il était facile de manipuler les cours par la propagation de fausses informations. Le fait qu’il ait gardé tous ses gains et était en capacité de les rembourser immédiatement a certainement influencé la SEC dans sa clémence. Aussi, on se doute que le cas a défrayé la chronique aux Etats-Unis et la SEC souhaitait se débarrasser de la meilleure façon (et rapidement) de l’affaire qui a en effet soulevé la controverse : il s’agissait en effet de la première fois où la Commission poursuivait un mineur. La rumeur cours que la SEC, voulant se débarrasser au plus vite du dossier, n’a pas terminé ses investigations et aurait laissé à l’adolescent environ 51 Décision de la Commission des sanctions du 7 novembre 2013 à l'égard de MM. Jean-Pierre Chevallier et Mike Shedlock 52 SEC - SEC Announces 100 Percent Return of Funds to Defrauded Spear & Jackson Investors - Release 2008-121 53 SEC - Administrative Proceeding - File No. 3-10291
  • 33. 32/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours $500,000 de gains litigieux54 . La Commission se défend qu’elle n’ait pas pu établir avec certitude le caractère délictueux des opérations concernées… II – La Directive 2003/6/CE La première directive dite « abus de marché » date de 2003 : la Directive 2003/6/CE55 . Elle repose sur 3 piliers : l’information de l’initiée, le mécanisme de formation des prix, les informations fausses ou trompeuses. Des régulations, à l’échelle européenne, sont en effet nécessaires pour harmoniser le souhait de voir les marchés financiers et les investisseurs protégés. Ainsi, sera qualifié d’abus de marché le fait d’utiliser de l’information privilégiée (que cela soit à des fins personnels ou au profit de tiers), d’entraver le mécanisme de formation des prix par de la manipulation de marché ou de propager de l’information fausse ou trompeuse. La directive, dans son Article Premier fixe des définitions importantes. Ainsi, une « information privilégiée » est « une information à caractère précis qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés ». Il est aussi précisé que « pour les personnes chargées de l'exécution d'ordres concernant des instruments financiers, on entend également par "information privilégiée" toute information transmise par un client et ayant trait aux ordres en attente du client, qui est d'une nature précise, qui se rapporte, directement ou indirectement, à un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers ou à un ou plusieurs instruments financiers et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés ». Autrement dit, la première définition a attrait au délit d’initié tandis que la seconde a plus attrait à la confidentialité et la déontologie que tout intermédiaire financier doit envers ses clients. La distinction est intéressante puisqu’elle proscrit de fait le « front running ». Un intermédiaire financier ne peut alors pas utiliser la connaissance de l’ordre de son client pour placer une opération, auparavant, pour son compte propre. Il utiliserait ainsi une information privilégié et se livrerait, de fait, à un délit d’initié. La « manipulation de marché », qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de cette étude, est définie, en premier lieu, comme le fait d’émettre des ordres « susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses en ce qui concerne 54 New-York Times - Jonathan Lebed: Stock Manipulator, S.E.C. Nemesis -- and 15 - http://www.nytimes.com/2001/02/25/magazine/25STOCK-TRADER.html?pagewanted=all 55 Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché)
  • 34. 33/61 Vincent Jeannin – M2 JE – 2013/2014 Trading à Haute Fréquence et Manipulation de Cours l'offre, la demande ou le cours d'instruments financiers » ou « qui fixent, par l'action d'une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel ». En second lieu, « le fait d'effectuer des opérations ou d'émettre des ordres qui recourent à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice » est aussi considéré comme une manipulation de marché. Aussi, la propagation de fausse rumeur est considérée comme une manipulation de marché potentielle : « le fait de diffuser des informations, que ce soit par l'intermédiaire des médias (dont Internet) ou par tout autre moyen, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur des instruments financiers, y compris le fait de répandre des rumeurs et de diffuser des informations fausses ou trompeuses, alors que la personne ayant procédé à une telle diffusion savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses ». Ces définitions restent très larges, la directive précise des cas pratiques : établir une « position dominante », « acheter ou de vendre des instruments financiers au moment de la clôture du marché, avec pour effet d'induire en erreur les investisseurs agissant sur la base des cours de clôture » ou émettre un « avis sur un instrument financier (ou indirectement, sur l'émetteur de celui-ci) après avoir pris des positions sur cet instrument financier et de profiter par la suite de l'impact dudit avis sur le cours de cet instrument sans avoir simultanément rendu public, de manière appropriée et efficace, ce conflit d'intérêts » sont de la manipulation de marché. La liste n’est malheureusement pas exhaustive et la directive en a bien conscience : elle conclue en effet sa description des « manipulations de marché » par : « les définitions de la manipulation de marché sont adaptées de manière à pouvoir couvrir les nouveaux comportements qui constituent de fait des manipulations de marché ». L’Article 2 cadre très bien qui sera concerné comme initié et prévoit les situations où ce statut essayerai d’être détourné en agissant pour le « compte d’autrui ». Ainsi, un possesseur d’information privilégiée sera initié s’il l’a obtenu en tant que « membre des organes d'administration, de gestion ou de surveillance », en tant qu’actionnaire actionnaires, du fait de ses « fonctions » professionnelles ou grâce à des « activités criminelles ». L’Article 3 leur interdit de communiquer les informations qu’ils détiennent « si ce n'est dans le cadre normal de l'exercice de son travail », ou de donner des recommandations d’investissement « sur la base d'une information privilégiée » qu’ils détiennent. L’Article 4 élargit interdit à quiconque d’utiliser une information s’il sait ou aurait dû savoir (ce qui est difficile à prouver) qu’elle était privilégiée. L’Article 5 est clair, il prohibe de « procéder à des manipulations de marché ». Clair mais vague car on l’a vu, difficile d’anticiper des comportements pas encore catégorisés comme tels.