Le processus créatif en design : à propos du travail de la pensée chez le designer
1. TUNIS, NOVEMBRE 2011 #ARD7
LE PROCESSUS
CRÉATIF EN DESIGN
À PROPOS DU TRAVAIL
DU DESIGNER
stéphane vial
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4. LE DESIGN COMME
CHAMP ÉPISTÉMOLOGIQUE
• LE DESIGN EST SOUS TUTELLE ÉPISTÉMOLOGIQUE :
-- de l’architecture, des « arts appliqués » ou des « arts décoratifs » (tutelle historique)
-- de l’industrie, de la création industrielle, du marketing (tutelle stratégique)
-- des beaux-arts ou de l’art contemporain (tutelle institutionnelle)
• IL FAUT CONSTRUIRE L’INDÉPENDANCE ÉPISTÉMOLOGIQUE DU DESIGN :
-- le design comme champ de recherche universitaire et pluridisciplinaire autonome
-- pour une nouvelle branche des Sciences Humaines et Sociales : les Sciences du
design (tout comme l’on dit au CNU les « sciences de l’information et de la
communication » ou les « sciences de l’éducation », et même les « sciences de l’art »)
• LA RECHERCHE EN DESIGN S’ENTEND EN 2 SENS :
-- pratique : recherche expérimentale, recherche-action, R&D (design fondamental)
-- théorique : recherche universitaire et scientifique (sciences du design)
• LES ARD S’INSCRIVENT DANS LE CADRE DE LA RECHERCHE THÉORIQUE
que j’appelle désormais pour ma part la recherche en Sciences du design
5. LES SCIENCES DU DESIGN
FACE AU TRAVAIL DU DESIGNER
• DU DESIGN COMME « DESIGN THINKING » (réflexion)
to design, « concevoir » en fonction d’un plan, d’une intention, d’un dessein
= élaborer un projet qui repose sur un concept et une pensée :
-- un concept, i.e. une idée qui organise et structure le projet
-- une pensée, i.e. une analyse du monde contemporain qui nourrit le projet
=> Court traité du design, p. 10 : « Le design est par excellence une chose qui pense. » La mode du
“Design Thinking” consiste d’ailleurs à penser le design comme une activité de pensée.
• DU DESIGN COMME « DESIGN DOING » (pratique)
designare, « marquer d’un signe distinctif » : de + signum, « marque, signe »
Faire du design, c’est marquer d’un signe, c’est “dessigner” ou dessiner
= former des signes/signer des formes (spatiale, volumique, textile, graphique, interactive):
-- classiquement, c’est l’idée du dessin (plans, croquis, perspectives, zonings...)
-- aujourd’hui, c’est l’idée du prototype (maquettes, patrons, wireframes...)
=> le design comme pratique de modélisation formelle : tel est le “doing” du designer
6. LE THINKING EST L’ESSENTIEL
DU TRAVAIL DU DESIGNER
LE DOING N’EST QU’UN MOYEN
DE FORM-ULER LE THINKING
8. LA MÉTHODE POÏÉTIQUE
• aisthêsis (αἴσθησις), « perception, sensation » => esthétique
poïêsis (ποίησις), « création, fabrication » => poïétique
• Distinction introduite par Paul Valéry en 1937 :
ESTHÉTIQUE : étude de la phénoménalité et de la réceptivité
POÏÉTIQUE : étude du processus de création et de créativité
• Didier Anzieu, Le corps de l’œuvre, 1981, p. 10 : « ... je peux délimiter
avec précision mon domaine d’étude. C’est celui de la poïétique, c’est-à-
dire de la production de l’œuvre par le créateur. Je laisse de côté
l’esthétique, qui concerne l’effet de l’œuvre sur son public. »
• René Passeron, colloque international de Poïétique,1989 : « L'objet de
la poïétique est en amont des oeuvres, celui de l'esthétique est en aval. »
13. LE MODÈLE DUALISTE
on pense d’abord, on fait ensuite
la conception précède l’exécution
14. D’OÙ UNE DIVISION ARBITRAIRE
DU PROCESSUS DE PROJET
I. Analyse
II. Intentions
III. Parti pris
IV. Esquisse
V. Développement
VI. Finalisation
15. RETOUR AU COGITO
NITZSCHÉEN
« une pensée se présente quand “elle” veut,
et non pas quand “je” veux »
Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 17
16. LE MODÈLE MONISTE
« Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair
qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera
à l'oeuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il
serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite,
comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son oeuvre
en train de naître. [...] Un beau vers n'est pas d'abord en projet,
et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle
statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait. »
ALAIN, Système des Beaux-Arts.
17. DU DESIGN THINKING
• Tim Brown, depuis 2005 : le design est un “design thinking”,
c’est-à-dire une manière de penser propre au designer
•3 étapes majeures dans le processus du design thinking :
-- l’inspiration : « human needs is the place to start »
-- l’idéation : « learning by making » (prototyper, prototyper)
-- l’implémentation : mise en œuvre participative du projet
18. L’IDÉATION EN DESIGN
• dans la pratique, la conception ne vient jamais avant la
réalisation, mais toujours pendant ; les phases de conception
et d’exécution ne sont jamais séparées
• on peut avoir une foule d’idées préalables, c’est seulement
quand on passe en maquettes qu’on voit quelles idées sont
viables et qu’on choisit réellement l’idée structurante
• en
design, il s’agit de faire pour penser plutôt que de penser
pour faire
20. LE LANGAGE PARADOXAL
• GregoryBateson, 1956, « double bind » : les injonctions
paradoxales
• contrairement à une contradiction, une « injonction
paradoxale » ne laisse pas le choix, exemple : « Veuillez ne pas
lire cette phrase » : contrainte à lire + contrainte à ne pas lire
• desinjonctions impossibles à respecter qui joueraient un rôle
dans l’apparition de la psychose dans les familles de
schizophrènes : « l’effort pour rendre l’autre fou » (H . Searles)
21. DESIGN ET INJONCTIONS
PARADOXALES
• l’injonction méta-capitaliste : le designer doit être socialiste et
capitaliste à la fois : il ne doit pas se soumettre au marché et doit se
soumettre au marché (design reproductif)
• l’injonction d’innover : le designer doit être innovant pour mériter
le nom de designer, sinon il doit se contenter d’être un artiste-
décorateur (design disruptif)
• l’injonction de sauver le monde : le designer est sommé de
résoudre tous les problèmes du monde contemporain :
surpopulation, qualité de l’eau, réchauffement climatique, accès à
l’éducation...
22. LE TRAVAIL DES
CONTRADICTIONS
• cesinjonctions pèsent sur le mode de pensée du designer,
qui est travaillé par les contradictions et doit produire
quelque chose à partir de ces contradictions
• lemarché / l’humain
le plastique / la nature
le nouveau, l’inédit / la tradition, l’existant
la matière / l’immatériel
etc.
24. LEÇON SUR LA CRÉATIVITÉ
« Creativity is just connecting things. When you ask creative
people how they did something, they feel a little guilty because
they didn’t really do it, they just saw something. It seemed
obvious to them after a while. That’s because they were able
to connect experiences they’ve had and synthesize new
things. And the reason they were able to do that was that
they’ve had more experiences or they have thought more
about their experiences than other people. »
Steve Jobs, Wired, February 1996.
25. L’INNOVATION
NE SE COMMANDE PAS
L’innovation ne se décrète pas a priori (“tiens, je vais innover”),
elle se constate a posteriori (“une innovation a eu lieu”).
Elle est le fruit d’un long processus de rêverie.
26. « Mon but depuis le lycée était d'avoir un
ordinateur à moi, programmable, dans un langage
que j'avais imaginé être le FORTRAN. »
Steve Wozniak, iWoz, autobiographie.
28. L’INNOVATION DÉPEND
DE LA CAPACITÉ DE RÊVERIE
La capacité de rêverie d’un designer ou d’un
entrepreneur est son aptitude à forger des rêves
auxquels personne ne croit et à essayer de les réaliser.
29. « Le mouvement hippie a débuté quand j'étais à la fin de
l'adolescence, c'est une culture que je connais très bien. À la
base, on trouve l'idée que la vie peut offrir autre chose que
ce qu'on voit tous les jours. C'est la même idée qui pousse
les gens à vouloir devenir poètes au lieu de banquiers. Je
trouve ça merveilleux. J'ai la certitude qu'on peut intégrer
cet état d'esprit dans des produits fabriqués en usine. »
Steve Jobs, 1996, interview de R. Cringely.
30. POUR INNOVER
IL FAUT D’ABORD SE
DEMANDER À QUOI ON RÊVE
31. L’EXEMPLE DE L’INNOVATION
ASCENDANTE (BOTTOM-UP)
Les innovations les plus importantes de la société numérique
ne sont pas dues aux industriels mais aux usagers.
« Les innovations par l’usage partent souvent
d’un besoin absolument personnel. »
(Dominique Cardon)
32. VisiCalc, le premier tableur est inventé par un étudiant en gestion
pendant un cours de planification financière
La création de Linux est le fait d’un étudiant finlandais
qui considérait l’écriture d’un nouvel OS comme un hobby
le P2P est inventé par des étudiants américains
bricoleurs et passionnés de musique
Wikipédia est initiée par des informaticiens
férus de culture générale
Facebook est créé par un étudiant qui vient de rompre
avec sa petite amie pour afficher toutes les photos des filles de la fac