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1
Le gendarme d’Afrique :
paradoxe du faux départ de
l’armée française
_____________________________________________________________________
Kodjo Frédéric Assomption SEHOUBO
__________________________________________________________________________________
Alors que les voix s’élèvent pour
réclamer le départ des troupes françaises du
continent africain, on assiste stupéfait au retour
en force des forces françaises en Afrique plus
précisément en Afrique occidentale. En fait, la
France n’a jamais quitté l’Afrique et elle y est
intervenue 40 fois depuis 1961 (journal Jeune
afrique) assurant la protection des régimes qui
défendaient les intérêts français et éliminant
ceux qui voulaient s’en émanciper. Cette
politique a connu une crise dans les années 90 :
regain des mouvements démocratiques en
Afrique, chute de l’apartheid, discrédit du
soutien français au régime génocidaire au
Rwanda, développement de nouvelles
concurrences venant des pays émergents
comme la Chine, le Japon, Inde. Les discours
officiels à Paris ont évolué depuis lors : moins
d’interventions unilatérales, plus
d’ « européanisation » ou d’ « africanisation »
dans la gestion des conflits, pour des raisons de
crise économique (R GRANVAUD 2014).
Cependant entre les discours officiels et les
vrais objectifs poursuivis il y a un pas de géant,
en effet, depuis 2012, la fin de plusieurs
opérations militaires et la fermeture de certains
camps militaires sur le continent avaient été
annoncées. Paradoxalement l’effectif des
troupes, au lieu de diminuer, augmente et à la
place des anciennes opérations, de nouvelles
ont été mises en place de façon immédiate (à
l’intervalle de quelques jours). D’où le
paradoxe du faux départ du titre de notre
article. Comment perçoit-on ce faux départ ?
Quelles sont les ambitions géostratégiques
voire géoéconomiques qui se dissimulent
derrière ce faux départ ou du moins ce regain
d’interventionnisme français pour « sauver »
l’Afrique de l’Ouest du « terrorisme ». C’est
sur la base de ces interrogations principales que
notre étude prendra corps dans les lignes
suivantes.
2
« Le 18 avril 2012, Paris a finalisé la remise à
plat des accords militaires passés avec ses
anciennes colonies. Au final, des bases moins
nombreuses et des effectifs réduits (…). En
signant avec le Sénégal un nouvel accord de
défense, le 18 avril, la France a parachevé la
remise à plat des pactes militaires qu’elle avait
conclus au lendemain des indépendances avec
huit de ses ex-colonies ». Déclarait le journal
Jeune Afrique du 16 mai 2012.
Effectivement c’est dans ce contexte que la fin
de certaines opérations militaires et la
fermeture de certaines bases militaires ont été
effectuées et de nouveaux accords militaires
signés. Cependant quand la fin de l’opération
licorne (en mission Côte-d’Ivoire depuis
septembre 2002) a été annoncée en janvier
2015, aussitôt la force française de Côte-
d’Ivoire FFCI a été créée en remplacement
(Ministère de la Défense français). Les forces
françaises qui étaient de 450 hommes passent à
900 hommes en 2016. Selon le Ministre de la
défense Jean-Yves-Le Drian, cette nouvelle
force « va constituer la base opérationnelle
avancée de la façade ouest de l’Afrique et peut
être envoyée en renfort au sahel et assure la
logistique de l’opération barkhane ». En outre
à l’annonce de la fin de l’opération Serval (en
mission au Mali de janvier 2013 au 31 juillet
2014) et de l’opération Epervier (en mission au
Tchad depuis février 1986) en juillet 2014,
aussitôt l’opération Barkhane a été mise en
place en août 2014.
En totalisant les faits, aucune opération
militaire n’a été supprimée puis que remplacée
par une nouvelle. Le nombre de soldat qui était
de 1900 hommes en 2012 est passé en juin 2016
à 4945 hommes soit environ 750 nouveaux
soldats chaque année depuis 2012 et ceux-là
juste pour l’Afrique subsaharienne hors mis la
Centre Afrique, le Gabon et le Djibouti. Ce
constat se confirme dans le graphique*
ci-
dessous.
En ce jour au nom de la lutte contre le
terrorisme, une partie du continent est
quadrillée par les forces françaises. Cette
nouvelle stratégie française (c’est-à-dire au
nom de la ‘‘sécurité’’ et la lutte contre le
terrorisme, et déployer tout l’arsenal militaire
sur le continent) trouve sa définition dans le
nouveau « Livre Blanc » de la Défense et la
nouvelle Loi de programmation militaire
(2013). Ces deux « feuilles de route » tirent leur
origine du rapport sénatorial ‘‘Afrique notre
Avenir’’. La nouvelle politique militaire de la
France Afrique dont nous essayons de clarifier
les enjeux a été soigneusement présentée dans
ce rapport en dix priorités pour que la France
retrouve sa place dans une ‘’Afrique
convoitée’’. Sous un nouvel habillage, le Livre
blanc 2013 redonne en ce sens justification, au
nom de la défense des « intérêts économiques
et stratégiques », à la France le droit de
quadriller militairement toute une partie d’un
continent.
Barkhane : une opération de quadrillage
Plus de 3500 soldats français sont déployés en
permanence sur la bande sahélienne, retissant
une toile qui recoupe la carte des anciennes
colonies françaises sub-sahariennes. Au-delà
des trois bases permanentes (Libreville, Dakar,
Djibouti) et d’opérations ponctuelles (Tchad,
Cote d'Ivoire), la France réinstalle durablement
ses troupes. Les réticences des dirigeants,
Maliens et Nigériens notamment, opposés
0
10000
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2012 2013 2014 2015 2016
Les Soldats français hors
Métroploe de 2012 à 2016
Afrique Subsaharienne Afrique Monde
Sourcedesdonnées:MinistèredelaDéfenseFrance
Source : Ministère de la Défense
*Les données du graphique sont issues du
rapport annuel « les Chiffres clés de l’armée
française »
3
depuis les indépendances à une présence
militaire étrangère permanente, ont été vaincues
au nom de la ‘‘Lutte contre le terrorisme’’. Au
Mali, mille hommes sont déployés, dont une
base militaire permanente à Tessalit à la
frontière algéro-malienne et deux autres bases à
Kidal et Gao, privant ainsi l’État malien de sa
souveraineté sur le nord du pays. Au Niger, les
forces spéciales sont déployées sur les deux
mines d’uranium d’AREVA, et une base de 300
militaires est installée où sont déployées drones
et avions de combat. Au Tchad, un millier
d’hommes se réinstallent dans la vieille base de
Faya-Largeau. Les forces spéciales du COS
(Commandement des Opérations Spéciales,
force discrétionnaire commandée directement
par l’Elysée et son chef d’état-major particulier)
sont renforcées d’un millier d’hommes,
présents dans une dizaine de pays. Les
nouveaux accords de défense que la France
tente d’imposer ne sont plus axés sur une
« coopération » pour former les forces locales,
mais sur l’insertion de détachements français
dans les armées nationales, ces constats ont été
confirmés par un ancien officier de l’armée
burkinabé. Ce dispositif se met sur pieds avec
une discrète collaboration avec l'armée
américaine. On remarque ainsi un nouveau
mode de domination ; qui se basent sur des
divisions claniques ou ethniques, ou des
menaces djihadistes, pour pousser à des Etats
«fédéraux» affaiblis et éclatés, qui abandonnent
des prérogatives « nationales » ou « militaires »
aux forces des grandes puissances. (R.
Granvaud, 2014)
Les raisons économiques justifiant le regain
d’interventionnisme militaire
Ce regain d’interventionnisme militaire
s’accompagne aussi d’un discours sur la
nécessité de partir en reconquête économique
dans un continent où les intérêts français sont
concurrencés par des pays émergents (Chine,
Brésil, Inde…) comme l’indique le titre et le
contenu du rapport sénatorial : « la place de la
France dans une Afrique convoitée ». Plutôt
qu’une politique de coopération d’égal à égal
avec les pays africains, l’Etat français s'efforce
de maintenir sa domination en redéployant son
armée, « avantage
concurrentiel » qui
permet des retours
sur
investissements.
Selon le rapport
« Afrique notre avenir-Sénat », entre 2000 et
2011 la part de marché de la France en Afrique
subsaharienne a chuté de 10,1% à 4,7%. Le
rapport du Sénat et une autre étude du trésor
français montrent clairement que la Chine fait
quasiment jeu égal avec la France dans la zone
Franc. La part de marché est de 17,2 % pour la
France contre 17,7 % pour la Chine dans la zone
Franc. Si la France devance la Chine en Côte
d'Ivoire, avec 14 % de part de marché, contre 6
% pour la Chine,
au Sénégal (17
% contre 10 %)
et au Gabon (33
% contre 8 %),
les positions
‘’tricolores’’ reculent dans un certain nombre
de pays. Ainsi, entre 2005 et 2011, la part de
marché de la France s'est repliée de 18 points en
Côte d'Ivoire, de 6 points au Sénégal et de 8
points au Gabon. En Afrique anglophone, la
France est en revanche très peu présente.
Ses entreprises ne détiennent qu'une part de
marché de 3,6 % au Nigéria (contre 8,2 %
pour les Etats-Unis, 4,3 % pour le Royaume
Uni et 18,5 % pour la Chine), 1,5 % au Kenya
(contre 2,3 % pour l'Allemagne, 17,6 % pour
la Chine et 17,9 % pour l'Inde), et 2,8 % en
Afrique du Sud (contre 10,7 % pour
l'Allemagne et 15,1 % pour la Chine). Le
continent africain est décrit par les experts
français comme l’avenir de leur pays. En plus
de ses matières premières, le continent est
une terre consommatrice de biens et
services, lié à ce qu’ils appellent, le réveil
économique de l’Afrique.
Des questions aux multiples enjeux se posent :
comment l’Afrique peut-elle traiter une telle
surveillance de son territoire ? A-t-elle
réellement le choix face à cette situation?
Comment l’Afrique peut-elle transformer cette
occupation en opportunité ?
La part de marché est
de 17,2 % pour la
France contre 17,7 %
pour la Chine dans la
zone Franc.
Part de marché française
réduite de :
18 points en Côte-d’Ivoire
6 points au Sénégal
8 points au Gabon
4
 Ouvrages
1- Michel GALY, La guerre au Mali : comprendre la crise au sahel et au Sahara. Enjeux et zones
d’ombres, La Découverte juin 2013, P144
2- O. HANNE & G. LARABI, Jihâd au Sahel : Menaces, opération Barkhane, coopération régionale
3- Thomas NOIROT et Fabrice, FrancAfrique, la famille recomposée, 2ème
partie par Raphael
GRANVAUD, Syllepse octobre 2014
 Publications
1- SENAT, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées sur « la présence de la France dans une Afrique convoitée », (en ligne), par J.
LORGEOUX et al, octobre 2013
2- SENAT, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées sur « la politique africaine de la France », [en ligne] par M. Josselin de Rohan, 28
février 2011
3- Rapport annuel, les chiffres clés de la défense (en ligne)
4- Le Livre Blanc, Défense et sécurité nationale-2013
5- La Loi de Programmation militaire, 2013
6- Dossier de presse Opération Barkhane, ministère de la Défense, Décembre 2016
 Les Liens sur le Net
1- Opération Barkhane
http://www.defense.gouv.fr/operations/sahel/dossier-de-presentation-de-l-operation-barkhane/operation-barkhane
2-Vincent DUHEM, Armée française en Afrique : renégociation des accords de défense, rompre avec
la « Françafrique »
http://www.jeuneafrique.com/141652/politique/arm-e-fran-aise-en-afrique-ren-gociation-des-accords-de-d-fense-rompre-avec-la-fran-afrique/
3-Rémi CARAYOL, 1960-2013 : 53 ans d’interventions françaises en Afrique
http://www.jeuneafrique.com/166964/politique/1960-2013-53-ans-d-interventions-fran-aises-en-afrique/
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Paradoxe d'un Faux Départ

  • 1. 1 Le gendarme d’Afrique : paradoxe du faux départ de l’armée française _____________________________________________________________________ Kodjo Frédéric Assomption SEHOUBO __________________________________________________________________________________ Alors que les voix s’élèvent pour réclamer le départ des troupes françaises du continent africain, on assiste stupéfait au retour en force des forces françaises en Afrique plus précisément en Afrique occidentale. En fait, la France n’a jamais quitté l’Afrique et elle y est intervenue 40 fois depuis 1961 (journal Jeune afrique) assurant la protection des régimes qui défendaient les intérêts français et éliminant ceux qui voulaient s’en émanciper. Cette politique a connu une crise dans les années 90 : regain des mouvements démocratiques en Afrique, chute de l’apartheid, discrédit du soutien français au régime génocidaire au Rwanda, développement de nouvelles concurrences venant des pays émergents comme la Chine, le Japon, Inde. Les discours officiels à Paris ont évolué depuis lors : moins d’interventions unilatérales, plus d’ « européanisation » ou d’ « africanisation » dans la gestion des conflits, pour des raisons de crise économique (R GRANVAUD 2014). Cependant entre les discours officiels et les vrais objectifs poursuivis il y a un pas de géant, en effet, depuis 2012, la fin de plusieurs opérations militaires et la fermeture de certains camps militaires sur le continent avaient été annoncées. Paradoxalement l’effectif des troupes, au lieu de diminuer, augmente et à la place des anciennes opérations, de nouvelles ont été mises en place de façon immédiate (à l’intervalle de quelques jours). D’où le paradoxe du faux départ du titre de notre article. Comment perçoit-on ce faux départ ? Quelles sont les ambitions géostratégiques voire géoéconomiques qui se dissimulent derrière ce faux départ ou du moins ce regain d’interventionnisme français pour « sauver » l’Afrique de l’Ouest du « terrorisme ». C’est sur la base de ces interrogations principales que notre étude prendra corps dans les lignes suivantes.
  • 2. 2 « Le 18 avril 2012, Paris a finalisé la remise à plat des accords militaires passés avec ses anciennes colonies. Au final, des bases moins nombreuses et des effectifs réduits (…). En signant avec le Sénégal un nouvel accord de défense, le 18 avril, la France a parachevé la remise à plat des pactes militaires qu’elle avait conclus au lendemain des indépendances avec huit de ses ex-colonies ». Déclarait le journal Jeune Afrique du 16 mai 2012. Effectivement c’est dans ce contexte que la fin de certaines opérations militaires et la fermeture de certaines bases militaires ont été effectuées et de nouveaux accords militaires signés. Cependant quand la fin de l’opération licorne (en mission Côte-d’Ivoire depuis septembre 2002) a été annoncée en janvier 2015, aussitôt la force française de Côte- d’Ivoire FFCI a été créée en remplacement (Ministère de la Défense français). Les forces françaises qui étaient de 450 hommes passent à 900 hommes en 2016. Selon le Ministre de la défense Jean-Yves-Le Drian, cette nouvelle force « va constituer la base opérationnelle avancée de la façade ouest de l’Afrique et peut être envoyée en renfort au sahel et assure la logistique de l’opération barkhane ». En outre à l’annonce de la fin de l’opération Serval (en mission au Mali de janvier 2013 au 31 juillet 2014) et de l’opération Epervier (en mission au Tchad depuis février 1986) en juillet 2014, aussitôt l’opération Barkhane a été mise en place en août 2014. En totalisant les faits, aucune opération militaire n’a été supprimée puis que remplacée par une nouvelle. Le nombre de soldat qui était de 1900 hommes en 2012 est passé en juin 2016 à 4945 hommes soit environ 750 nouveaux soldats chaque année depuis 2012 et ceux-là juste pour l’Afrique subsaharienne hors mis la Centre Afrique, le Gabon et le Djibouti. Ce constat se confirme dans le graphique* ci- dessous. En ce jour au nom de la lutte contre le terrorisme, une partie du continent est quadrillée par les forces françaises. Cette nouvelle stratégie française (c’est-à-dire au nom de la ‘‘sécurité’’ et la lutte contre le terrorisme, et déployer tout l’arsenal militaire sur le continent) trouve sa définition dans le nouveau « Livre Blanc » de la Défense et la nouvelle Loi de programmation militaire (2013). Ces deux « feuilles de route » tirent leur origine du rapport sénatorial ‘‘Afrique notre Avenir’’. La nouvelle politique militaire de la France Afrique dont nous essayons de clarifier les enjeux a été soigneusement présentée dans ce rapport en dix priorités pour que la France retrouve sa place dans une ‘’Afrique convoitée’’. Sous un nouvel habillage, le Livre blanc 2013 redonne en ce sens justification, au nom de la défense des « intérêts économiques et stratégiques », à la France le droit de quadriller militairement toute une partie d’un continent. Barkhane : une opération de quadrillage Plus de 3500 soldats français sont déployés en permanence sur la bande sahélienne, retissant une toile qui recoupe la carte des anciennes colonies françaises sub-sahariennes. Au-delà des trois bases permanentes (Libreville, Dakar, Djibouti) et d’opérations ponctuelles (Tchad, Cote d'Ivoire), la France réinstalle durablement ses troupes. Les réticences des dirigeants, Maliens et Nigériens notamment, opposés 0 10000 20000 30000 2012 2013 2014 2015 2016 Les Soldats français hors Métroploe de 2012 à 2016 Afrique Subsaharienne Afrique Monde Sourcedesdonnées:MinistèredelaDéfenseFrance Source : Ministère de la Défense *Les données du graphique sont issues du rapport annuel « les Chiffres clés de l’armée française »
  • 3. 3 depuis les indépendances à une présence militaire étrangère permanente, ont été vaincues au nom de la ‘‘Lutte contre le terrorisme’’. Au Mali, mille hommes sont déployés, dont une base militaire permanente à Tessalit à la frontière algéro-malienne et deux autres bases à Kidal et Gao, privant ainsi l’État malien de sa souveraineté sur le nord du pays. Au Niger, les forces spéciales sont déployées sur les deux mines d’uranium d’AREVA, et une base de 300 militaires est installée où sont déployées drones et avions de combat. Au Tchad, un millier d’hommes se réinstallent dans la vieille base de Faya-Largeau. Les forces spéciales du COS (Commandement des Opérations Spéciales, force discrétionnaire commandée directement par l’Elysée et son chef d’état-major particulier) sont renforcées d’un millier d’hommes, présents dans une dizaine de pays. Les nouveaux accords de défense que la France tente d’imposer ne sont plus axés sur une « coopération » pour former les forces locales, mais sur l’insertion de détachements français dans les armées nationales, ces constats ont été confirmés par un ancien officier de l’armée burkinabé. Ce dispositif se met sur pieds avec une discrète collaboration avec l'armée américaine. On remarque ainsi un nouveau mode de domination ; qui se basent sur des divisions claniques ou ethniques, ou des menaces djihadistes, pour pousser à des Etats «fédéraux» affaiblis et éclatés, qui abandonnent des prérogatives « nationales » ou « militaires » aux forces des grandes puissances. (R. Granvaud, 2014) Les raisons économiques justifiant le regain d’interventionnisme militaire Ce regain d’interventionnisme militaire s’accompagne aussi d’un discours sur la nécessité de partir en reconquête économique dans un continent où les intérêts français sont concurrencés par des pays émergents (Chine, Brésil, Inde…) comme l’indique le titre et le contenu du rapport sénatorial : « la place de la France dans une Afrique convoitée ». Plutôt qu’une politique de coopération d’égal à égal avec les pays africains, l’Etat français s'efforce de maintenir sa domination en redéployant son armée, « avantage concurrentiel » qui permet des retours sur investissements. Selon le rapport « Afrique notre avenir-Sénat », entre 2000 et 2011 la part de marché de la France en Afrique subsaharienne a chuté de 10,1% à 4,7%. Le rapport du Sénat et une autre étude du trésor français montrent clairement que la Chine fait quasiment jeu égal avec la France dans la zone Franc. La part de marché est de 17,2 % pour la France contre 17,7 % pour la Chine dans la zone Franc. Si la France devance la Chine en Côte d'Ivoire, avec 14 % de part de marché, contre 6 % pour la Chine, au Sénégal (17 % contre 10 %) et au Gabon (33 % contre 8 %), les positions ‘’tricolores’’ reculent dans un certain nombre de pays. Ainsi, entre 2005 et 2011, la part de marché de la France s'est repliée de 18 points en Côte d'Ivoire, de 6 points au Sénégal et de 8 points au Gabon. En Afrique anglophone, la France est en revanche très peu présente. Ses entreprises ne détiennent qu'une part de marché de 3,6 % au Nigéria (contre 8,2 % pour les Etats-Unis, 4,3 % pour le Royaume Uni et 18,5 % pour la Chine), 1,5 % au Kenya (contre 2,3 % pour l'Allemagne, 17,6 % pour la Chine et 17,9 % pour l'Inde), et 2,8 % en Afrique du Sud (contre 10,7 % pour l'Allemagne et 15,1 % pour la Chine). Le continent africain est décrit par les experts français comme l’avenir de leur pays. En plus de ses matières premières, le continent est une terre consommatrice de biens et services, lié à ce qu’ils appellent, le réveil économique de l’Afrique. Des questions aux multiples enjeux se posent : comment l’Afrique peut-elle traiter une telle surveillance de son territoire ? A-t-elle réellement le choix face à cette situation? Comment l’Afrique peut-elle transformer cette occupation en opportunité ? La part de marché est de 17,2 % pour la France contre 17,7 % pour la Chine dans la zone Franc. Part de marché française réduite de : 18 points en Côte-d’Ivoire 6 points au Sénégal 8 points au Gabon
  • 4. 4  Ouvrages 1- Michel GALY, La guerre au Mali : comprendre la crise au sahel et au Sahara. Enjeux et zones d’ombres, La Découverte juin 2013, P144 2- O. HANNE & G. LARABI, Jihâd au Sahel : Menaces, opération Barkhane, coopération régionale 3- Thomas NOIROT et Fabrice, FrancAfrique, la famille recomposée, 2ème partie par Raphael GRANVAUD, Syllepse octobre 2014  Publications 1- SENAT, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur « la présence de la France dans une Afrique convoitée », (en ligne), par J. LORGEOUX et al, octobre 2013 2- SENAT, Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur « la politique africaine de la France », [en ligne] par M. Josselin de Rohan, 28 février 2011 3- Rapport annuel, les chiffres clés de la défense (en ligne) 4- Le Livre Blanc, Défense et sécurité nationale-2013 5- La Loi de Programmation militaire, 2013 6- Dossier de presse Opération Barkhane, ministère de la Défense, Décembre 2016  Les Liens sur le Net 1- Opération Barkhane http://www.defense.gouv.fr/operations/sahel/dossier-de-presentation-de-l-operation-barkhane/operation-barkhane 2-Vincent DUHEM, Armée française en Afrique : renégociation des accords de défense, rompre avec la « Françafrique » http://www.jeuneafrique.com/141652/politique/arm-e-fran-aise-en-afrique-ren-gociation-des-accords-de-d-fense-rompre-avec-la-fran-afrique/ 3-Rémi CARAYOL, 1960-2013 : 53 ans d’interventions françaises en Afrique http://www.jeuneafrique.com/166964/politique/1960-2013-53-ans-d-interventions-fran-aises-en-afrique/ BIBLIOGRAPHIE