Mémoire de recherche appliquée, soutenu en juin 2014 à l'Ecole de Commerce Européenne de Lyon.
Problématique : "La réappropriation des mèmes internet dans la publicité est-elle légitime ?"
1. Mémoire de recherche appliquée
Présenté devant l’Ecole de Commerce
Européenne pour l’obtention du
Diplôme de l’ECE
N° d’ordre : 331067500
La réappropriation des mèmes internet
dans la publicité est-elle légitime ?
Elodie BOUILHOT
Promotion 2014
ECE | Etablissement reconnu par l’Etat | Diplôme visé par l’Etat
Groupe INSEEC
2. Remerciements
Je souhaite remercier en premier lieu l’équipe pédagogique de l’Ecole de
Commerce Européenne de Lyon, pour l’enseignement apporté durant ces quatre
années études. Mon cursus au sein de l’ECE m’a énormément appris, que ce soit
sur le plan académique, professionnel ou personnel.
Je remercie également mon directeur de mémoire, M. Serge Kochen, pour sa
disponibilité, sa patience et ses conseils avisés.
J’adresse de chaleureux remerciements à ma famille et mes amis, pour leur
soutien tout au long de ces six mois de travail, leurs encouragements, et aussi
pour leurs critiques.
Ensuite, je remercie sincèrement chacun des 305 internautes ayant pris le temps
de répondre au questionnaire que j’ai posté en ligne : cela m’a réellement permis
d’avancer dans ma réflexion, et certains témoignages ont été particulièrement
enrichissants dans ce sens.
Enfin, je remercie toutes les autres personnes ayant participé, de près ou de loin,
à la rédaction de ce mémoire.
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3. 3
Table des matières
Remerciements
Table des tableaux et des figures
Introduction
I) Les mèmes et la culture web
1) Les mèmes
a. Evolution du concept
i. Définition de Dawkins
ii. Définition du mème internet
iii. Le Web 2.0 renforce le mème
b. De l’underground au mainstream
i. Naissance sur 4chan
ii. Passage du mème internet dans la culture populaire
2) La culture web
a. La culture 4chan, et son impact sur la créativité
i. Anonymat
ii. Ephémère
b. Mèmes : représentatifs d’une culture web ?
i. Culture snack
ii. Culture du LOL
II) Les mèmes internet dans la publicité
1) L’attractivité des mèmes internet pour les marques
a. Une opportunité alléchante…
i. Attrait du mème internet pour les marques
ii. Une cible particulière
b. Une stratégie à laquelle peu se risquent
2) Exemples de mèmes internet dans la publicité
a. Des marques qui surfent les mèmes
i. Exemple d’Oasis
ii. Exemple de Wonderful Pistachios
iii. Exemple de Glacéau
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b. Un même mème détourné par plusieurs marques : le
« Double Rainbow »
c. Quand les mèmes internet sortent de la toile
3) Analyse de la stratégie
a. Communication digitale par le viral
i. Communication digitale
ii. Marketing viral
b. Brand content, native advertising et newsjacking
III) Légitimité
1) Légale
a. Flou juridique : copyright et droit d’auteur
b. Fair use et réappropriation commerciale
i. Notion de fair use
ii. Réappropriation commerciale
2) Aux yeux du public : image de marque
a. Méthodologie et typologie
i. Justification du questionnaire
ii. Typologie de la communauté
b. Réactions aux exemples donnés
i. Réactions au spot Wonderful Pistachios
ii. Réactions au spot Oasis
iii. Analyse générale
c. Recommandations
Conclusion
Bibliographie
Annexes
1) Annexe n°1 : Règles de l’Internet
2) Annexe n°2 : L. 123-3 du Code de la propriété intellectuelle
3) Annexe n°3 : Extrait de la plainte Scribblenauts / Torres et Schmidt
4) Annexe n°4 : Questionnaire
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Table des tableaux et figures
1) Âge des individus interrogés
2) CSP des individus interrogés
3) Segmentation des individus selon le temps passé sur internet
pour leur usage personnel
4) Segmentation des individus passant plus de 2 heures
quotidiennes sur internet, selon leur utilisation de 4chan et des
sites web d’humour
5) Commentaires sur la publicité Wonderful Pistachios
6) Impact de la publicité sur l’image de marque de Wonderful
Pistachios
7) Impact de la publicité sur l’image de marque d’Oasis
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6. Introduction
Il existe en France près de 55 millions d’internautes, ce qui représente 83 % de la
population. 68 % des français sont également utilisateurs des réseaux sociaux, et
un internaute français passe en moyenne 4h07 par jour sur internet.1 Aujourd’hui,
quelqu’un qui n’utilise pas internet est quelqu’un d’à part.
Les marques aussi se digitalisent. Elles ont compris l’importance qu’internet jouait
dans nos vies à tous et y ont vu une opportunité, notamment pour renforcer la
proximité avec leurs consommateurs. Car au-delà d’être une plateforme à
bannières, pop-ups et interstitiels, internet est surtout un formidable moyen de
communiquer et de créer du lien.
La culture web (ou culture internet) découle de cette omniprésence de la
technologie et d’internet dans nos vies quotidiennes. Elle réfère à une culture dans
laquelle les interactions humaines se produisent principalement via des moyens
intangibles. Et, comme n’importe quelle autre culture, elle est codifiée : par des
normes, des rites, un langage particulier. Elle soude ses adhérents avec des
valeurs communes comme la dérision, l’ironie, l’anonymat, le partage.
La meilleure preuve de l’explosion de cette culture web est l’apparition du
phénomène des mèmes internet. Un mème internet est un élément culturel –
souvent de source anonyme et collective – posté sur internet, puis partagé par de
nombreux internautes, détourné et parodié. Des sites web comme 4chan donnent
naissance aux mèmes internet, qui, grâce à la démocratisation de la culture web,
sont partagés et détournés en grande envergure sur d’autres sites internet,
notamment les réseaux sociaux.
La culture web est globale, et rassemble des individus venant des quatre coins du
globe et ne parlant pas nécessairement la même langue. Les marques
s’intéressent de plus en plus à cette culture et à ses phénomènes, notamment
celui des mèmes internet. Aujourd’hui, certaines se réapproprient des
phénomènes internet et les utilisent en tant que contenu dans leurs publicités.
1 Etude de We Are Social Singapore, janvier 2014 : http://www.blogdumoderateur.com/chiffres-
2014-mobile-internet-medias-sociaux/
6
7. L’objectif de ce mémoire est donc de répondre à la question suivante : La
réappropriation de mèmes internet dans la publicité est-elle légitime ? La réponse
à cette question s’articule deux axes : est-ce que le contexte juridique autour des
mèmes internet permet aux marques de les utiliser à des fins commerciales ; et
quel effet cette réappropriation a-t-elle sur l’image de marque.
La première partie sera consacrée à l’étude du phénomène des mèmes internet et
de la culture web qui les entoure. Ainsi, j’expliquerai l’évolution de la définition et
du concept des « mèmes « avec l’arrivée d’internet, ainsi que leur
démocratisation depuis l’avènement des réseaux sociaux. J’expliquerai également
l’importance de l’anonymat et de l’éphémérité dans internet, ainsi que leur impact
sur la créativité. Enfin, j’analyserai en quoi les mèmes internet sont représentatifs
d’une véritable culture web.
La deuxième partie traitera de l’utilisation de mèmes internet dans la publicité. En
premier lieu, j’expliquerai pour quelles raisons cette pratique peut sembler
alléchante pour les marques, mais aussi pourquoi elles sont encore peu à se
risquer sur le segment. Ensuite, j’analyserai différents exemples : les cas d’Oasis,
Wonderful Pistachios, Glacéau seront notamment traités. Finalement, j’expliquerai
à quels types de stratégies de communication cette pratique peut se rattacher.
La troisième partie sera consacrée à la légitimité qu’ont les marques à se
réapproprier les mèmes internet. En premier lieu, la question sera d’ordre légal :
quel est le statut juridique d’une mème internet, et une marque peut-elle s’en
servir à des fins lucratives ? Ensuite, j’analyserai l’impact d’une telle pratique sur
l’image de marque, et la légitimité perçue par les internautes. Enfin, des
recommandations seront données : cette partie sera une sorte de guide pour
annonceurs ou publicitaires qui décideraient de capitaliser sur le phénomène des
mèmes internet.
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8. I) Les mèmes et la culture web
8
1. Les mèmes
a. Evolution du concept
L’expression Mème internet est le résultat de la traduction de l’expression anglo-saxonne
« Internet Meme ». Pour expliquer ce phénomène, il faut d’abord
commencer par donner une explication du terme « mème » en lui-même.
i. Définition du mème selon Dawkins
Le biologiste britannique Richard Dawkins, dans son ouvrage « Le Gène égoïste »
(1976)2, est le premier chercheur à énoncer cette notion de mème, terme qui
provient d’une association entre gene (de l’anglais) et mimetis (du terme grec
imitation). Le terme en lui-même a également l’avantage de rappeler les mots
« memory » ou encore « même » en français.
Selon Dawkins, un mème est « une unité d’information contenue dans un cerveau,
échangeable au sein d’une société ». C’est tout ce qui est transmis d’un humain à
un autre, mais qui n’est pas biologiquement « connecté » au comportement
humain. Cette notion fait donc référence à un élément culturel reconnaissable (par
exemple : une croyance, un concept, une information, un culte…) transmis et
reproduit à l’identique d’un esprit à un autre. La chanson « Joyeux anniversaire »,
les dictons, les proverbes, les jingles, les théories de complots… sont eux-mêmes
des exemples de mèmes puisque repris et imités dans une large mesure.
Un mème est donc une idée, un comportement, ou un style qui se propage d’une
personne à une autre au sein d’une même culture. Il transporte des idées
culturelles, des pratiques, des symboles ou des pratiques à travers un discours,
un geste, un rituel, ou n’importe quel type de phénomène avec un thème imitable.
Betsy D. Gelb (1997)3 ajoute à la définition de Dawkins l’idée que les mèmes sont
des idées qui s’auto-répliquent à travers le temps et l’espace, sans effort
particulier de la part de l’auteur originel.
2 DAWKINS Richard, « The Selfish Gene », Odile Jacob, 1976
3 GELB D. Betsy, « Creating ‘Memes’ while creating advertising », Journal of advertising research,
1997
9. Les gènes sont à la génétique ce que les mèmes sont à la culture. Alors que les
gènes se répandent verticalement (de génération en génération), les mèmes se
répandent horizontalement (au sein d’une société). Dawkins a identifié les trois
caractéristiques importantes que possède un mème qui rencontre du succès : la
fidélité, la fécondité et la longévité. La fidélité réfère à la capacité que les mèmes
ont d’être transmis d’un esprit à un autre tout en restant relativement intacts. Les
mèmes ayant du succès le doivent au fait qu’ils soient mémorables, et pas
vraiment parce qu’ils sont importants ou utiles. La fécondité fait référence au taux
auquel une idée est copiée et partagée. Plus un mème est propagé rapidement,
plus il a de chances d’attirer une attention soutenue et d’être répliqué et
redistribué. Un mème est prédisposé à réussir s’il est approprié à la culture dans
laquelle il évolue : s’il est pertinent par rapport aux intérêts et valeurs des
personnes visées, alors il bénéficie de conditions idéales pour accrocher son
public et être rapidement transmis d’une personne à une autre sans être entravé
ou ralenti par des filtres mentaux ou d’autres formes d’immunités culturelles. La
longévité fait simplement référence au fait que plus un mème survit, plus il peut
être copié et transmis à de nouvelles personnes (Knobel et Lankshear, 2007)4.
Les mèmes évoluent à travers des processus de variation, de compétition, de
mutation, ou encore d’hérédité. Chacun de ces éléments font d’un mème son
succès de reproduction. Ils se propagent à travers le comportement qu’ils
génèrent dans leurs hôtes : ainsi, les mèmes qui se propagent moins pourront
disparaître, alors que d’autres pourront survivre et évoluer. Dawkins a relevé les
trois conditions qui doivent exister pour que la survie d’un mème ait lieu : la
variation (ou l’introduction de changements aux éléments existants), l’hérédité ou
la réplication (la capacité à créer des copies de ces éléments), et la capacité à cet
élément à être plus ou moins adapté à son environnement qu’un autre. Selon
Dawkins, le processus d’évolution a lieu quand ces trois conditions co existent.
Ainsi, il considère les mèmes comme un réel phénomène sujet aux lois de la
sélection naturelle au sens Darwinien.
Dans le dernier chapitre du livre « Le Gène égoïste », Dawkins a utilisé la
métaphore du virus pour définir un mème. Et c’est exactement ce qu’il en est. La
4 KNOBEL Michele, LANKSHEAR Colin, « A New Literacies Sampler », Peter Lang Publishing,
2007, p.199-227
9
10. définition que nous pourrions déduire de tout cela est alors excessivement simple :
un mème, c’est ce qui devient viral.
10
ii. Définition du mème à l’heure d’internet
Le terme a été récemment réapproprié pour nommer des phénomènes viraux sur
internet comme Grumpy Cat5, Socially-Awkard Penguin6 ou encore Overly-
Attached Girlfriend7 : des contenus qui passent d’une adresse IP à une autre,
donc d’un cerveau à un autre, d’une manière qui – au sens large – pourrait être
appelée imitation ou mimétique.
Le terme Mème internet est ainsi utilisé pour faire référence à un phénomène
internet où quelque chose - une idée, un art, une blague, une personne -, passe
de l’inconnu le plus complet à une grande popularité très rapidement. Knobel et
Lankshear (2007) définissent les mèmes internet comme des modèles contagieux
d’information culturelle qui passent d’un esprit à un autre et façonnent les
mentalités et comportements d’un groupe social. Similairement, Coleman (2012)8
les définit comme des images, des vidéos, des slogans (etc.) viraux, sous
constante modification des utilisateurs, avec une propension à voyager aussi
rapidement qu’Internet le permet.
Les mèmes internet sont des détournements d’idées originales : évoluant dans
une culture de l’anonymat qui encourage la créativité et la participation, ils sont
constamment repris, modifiés, réappropriés, parodiés. Le fait que les idées
originales soient dénuées d’auteurs officiels les rend susceptibles d’être modifiées
librement. Ainsi, au lieu d’évoluer dans une forme de sélection naturelle
darwinienne, les mèmes internet sont délibérément modifiés par la créativité
humaine. Contrairement à la définition originale du mème de Dawkins, il n’y a
dans ces mèmes aucune volonté de copier exactement l’idée, mais celle de la
modifier.
Ainsi, comme le soulignent Knobel et Lankshear, la définition du mème selon
Dawkins doit être réajustée. La notion de fidélité est à nuancer, puisque la plupart
5 Grumpy Cat : http://knowyourmeme.com/memes/grumpy-cat
6 Socially Awkward Penguin : http://knowyourmeme.com/memes/socially-awkward-penguin
7 Overly Attached Girlfriend : http://knowyourmeme.com/memes/overly-attached-girlfriend
8 COLEMAN E. Gabriela, « Phreaks, Hackers and Trolls », New York University Press, 2012
11. des mèmes internet ne restent pas intacts au fur et à mesure qu’ils sont transmis.
Alors que l’idée du mème en elle-même reste relativement intacte, son
« véhicule » est souvent changé, modifié, mixé avec d’autres ressources. Et ces
mutations aident souvent le mème dans sa fécondité : les internautes sont incités
à y contribuer en ajoutant leur propre version. Le concept de fidélité doit donc
inclure le remix, la modification comme une pratique associée à de nombreux
mèmes et qui permet d’appuyer leur longévité. Une autre différence entre le mème
internet tel qu’il est expliqué aujourd’hui et le mème selon la définition de Darwin
est que dans la mémétique, on parlait d’un mème en tant qu’unité abstraite.
Aujourd’hui, un mème a tendance à être un contenu audiovisuel observable,
comme une vidéo ou une image.
Pour résumer toutes ces visions et ces définitions, nous pouvons dire qu’un mème
internet est une idée, simple, propagée à travers le web. Cette idée peut être sous
différentes formes : un site internet, un hashtag, un personnage, une expression,
une vidéo, une image… Ce mème sera propagé par plusieurs personnes par le
biais des réseaux sociaux, des messageries instantanées, des sites web
d’humour, et d’autres services internet.
11
Typologie des différents mèmes internet
Limor Shifman dans « Memes in Digital
Culture »9 a analysé plusieurs mèmes
internet et en a conclu qu’il en existait 9
genres différents. Elle explique également
que chaque type de mème implique un
niveau différent de compréhension de la
sous culture digitale des mèmes internet.
Les différents genres sont donc :
Un exemple du mème « planking »
Les réactions Photoshop : le principe de reprendre l’élément important du mème
original pour le placer dans différents contextes.
9 SHIFMAN Limor, « Memes in Digital Culture », Massachussetts Institute of Technology, 2014
12. Les « photos fads » : des mises en scènes de personnes imitant une position ou
une action spécifique dans différents contextes, dans le but de poster la photo sur
le web. Par exemple : le planking, où de nombreuses personnes se sont
photographiées dans la même position (voir photo) dans des endroits incongrus.
Les flashmobs : rassemblement d’inconnus dans un espace public, qui font
soudainement et simultanément un acte particulier, avant de quitter la scène.
Les lipdubs, ou la synchronisation des lèvres sur une musique donnée.
Les « misheard lyrics » : un jeu sur la traduction phonétique de langues
étrangères. Ces mèmes sont fait en transcrivant la phonétique des mots,
indépendamment de leur sens, dans un but humoristique. Par exemple, la
chanson « I’ve Got the Power » est devenue en allemand « Agathe Bauer ».
Les faux trailers : de fausses bandes annonces de film, basées sur la réédition
ou le remix de la bande annonce d’origine. Dans de nombreux cas, cela permet de
mixer un film avec un autre d’un genre tout à fait différent (comme Brokeback to
the Future : un mix entre Brokeback Moutain et Back to the Future.
Les LOLcats : le terme sera expliqué en détails en I) 1. b. i.
Les images macro : elles représentent la photo d’un
personnage avec une légende superposée. Chaque
personnage a sa propre symbolique : par exemple, le
pingouin de Socially Awkward Pinguin est utilisé pour
parler de situations sociales inconfortables
(typiquement : « J’ai commencé à raconter une
blague… mais j’en ai oublié la chute »), Scumbag Steve
est un personnage qui agit toujours de manière
irresponsable et immorale, Success Kid est utilisé pour
parler d’une situation qui s’est mieux déroulée que prévue… etc.
Les rage comics : ce sont des bandes dessinées d’apparence amateur, mettant
en avant des visages associés à un comportement typique. Il existe par exemple
le Forever Alone (un personnage triste, sans amis), Poker Face (il essaie de
12
Un exemple du Success Kid
13. cacher son embarras dans différentes situations gênantes), Troll Face (il aime
ennuyer les gens), etc.
13
iii. Les mèmes : renforcés par le Web 2.0
Dawkins expliquait que les mèmes qui rencontrent du succès partagent trois
propriétés basiques : la fidélité, la fécondité et la longévité. Limor Shifman, dans
son livre « Memes in digital culture » (2013) explique qu’avec internet, ces trois
propriétés sont renforcées. La digitalisation permettant de transférer des
informations sans aucune perte, les mèmes en ligne bénéficient d’une meilleure
« fidélité » (c’est-à-dire, une meilleure capacité à être copiés) que s’ils étaient
véhiculés par un autre média. La fécondité (le nombre de copies faites en une
unité de temps) est également augmentée : internet facilite la diffusion rapide d’un
message donné. Enfin, la longévité peut potentiellement augmenter elle aussi,
parce que l’information peut être gardée indéfiniment dans des archives.
Mais l’échelle, la précision et la portée de la diffusion des mèmes internet ne sont
que le côté visible de l’iceberg au sujet de la congruence entre mème et internet.
Le mème est le meilleur concept pour encapsuler certains des aspects les plus
fondamentaux d’internet, en particulier de ce que l’on appelle la culture du web
2.0. Les trois attributs attribués au mèmes sont particulièrement pertinents dans
l’analyse d’une culture internet : la propagation graduelle d’individus à une société,
la reproduction à travers la copie et l’imitation, et la diffusion via la compétition et
la sélection.
• Le partage et la fécondité
Comme expliqué précédemment, les mèmes peuvent être compris comme des
éléments d’information culturelle qui passent d’une personne à une autre, mais qui
deviennent progressivement un phénomène social. Ils façonnent les mentalités,
les comportements, les actions de groupes sociaux. Cet attribut est compatible
avec la manière dont la culture a évolué depuis l’ère du Web 2.0, marquée par
l’apparition de plateformes pour créer et échanger du contenu généré par
l’utilisateur. Wikipédia, YouTube, Facebook… de nombreux sites sont basés sur la
propagation de contenu par les utilisateurs, pour les utilisateurs (selon les mots
d’Abraham Lincoln). Ces sites représentent également des voies express pour la
14. diffusion d’un mème : un contenu partagé par des individus sur les réseaux
sociaux peut atteindre une dimension massive en seulement quelques heures.
De plus, le simple fait de partager des mèmes est une activité désirée et valorisée
socialement, puisqu’elle est associée avec ce que Nicholas John (2012)10 a
identifié comme la principale caractéristique du Web 2.0 : le partage. En mettant
des photographies en lignes, en mettant à jour un statut Facebook, en partageant
une vidéo YouTube, en postant un tweet ou un commentaire sur Amazon :
l’internaute partage, tant au niveau de la distribution, que de la communication. En
partageant une vidéo drôle sur Facebook, l’internaute partage un élément culturel,
et en même temps il exprime ses sentiments à son sujet. Et il anticipe le fait que
les autres continueront à partager ce même élément. En d’autres mots : partager
du contenu, ou partager des mèmes, est maintenant une part fondamentale de ce
que les internautes vivent dans la « sphère digitale ».
14
• L’imitation et la fidélité
Dans un contexte de communication orale, les mèmes sont entendus, compris,
puis retransmis. Seulement, cela ne se fait pas sans transformation du contenu :
un individu transmet un mème tel qu’il l’a compris, et tel qu’il peut l’expliquer. C’est
le principe même du téléphone arabe, où l’information est graduellement
transformée. Dans ce cas, les mèmes changent souvent de forme, et de contenu :
il est, par exemple, quasiment impossible de raconter une blague en utilisant
exactement les mèmes mots que ceux avec laquelle elle a été initialement contée.
A l’ère digitale cependant, les individus n’ont pas à « repackager » les mèmes : ils
peuvent propager un contenu tel qu’el en le partageant, envoyant un lien, ou en le
copiant. Ce principe d’imitation renforce donc la capacité de fidélité d’un mème,
bien que comme expliqué précédemment, les internautes ont tendance à modifier
délibérément et créer leurs propres versions de mèmes internet, plutôt que de
toujours simplement les copier.
10
NICHOLAS A. John, « Sharing and Web 2.0: The emergence of a keyword », Hebrew University
of Jerusalem, 2012
15. 15
• La compétition et la longévité
Avec le web 2.0, il est facile d’analyser quel mème a rencontré du succès ou pas,
grâce aux données sur les sites internet comme le nombre de vues, le nombre de
réponses, etc. Ainsi, l’information à propos de la compétition et du processus de
sélection devient de plus en plus influente pour le processus en lui-même : avant
de télécharger un album, de reproduire ou parodier une vidéo, les gens prennent
en considération leur succès.
b. Passage de l’underground au mainstream
Les mèmes internet ont récemment monté en flèche. A l’origine des références
vaguement obscures partagées par des communautés restreintes d’internautes
(typiquement, les utilisateurs 4chan), ils ont entré la sphère globale d’internet.
Comment sont-ils devenus si populaires, si mainstream ?
i. L’origine des mèmes : l’obscur 4chan
Créé en 2003 par Christopher Poole, 4chan.org est un imageboard en anglais. Un
imageboard est un type de textboard (une sorte de forum de discussion anonyme)
basé principalement sur le partage d’images. Le
design du site va droit au but : les utilisateurs postent
4chan,
c’est
:
des images et les commentent à travers 49
25
« boards » (des catégories). Il n’est pas nécessaire
millions
de
visiteurs
par
mois
de s’inscrire ou de s’identifier d’une quelconque
manière pour poster sur le site, aussi la création et/ou
1
million
la participation à un sujet peut se faire de manière
de
posts
par
jour
totalement anonyme : aussi la plupart des posts sont
575
attribués au même pseudo par défaut : Anonymous.
millions
de
pages
lues
par
mois
Bien qu’il soit possible à un utilisateur de générer un
tripcode (un système d’identification sans inscription), ce procédé est très mal vu
par la communauté. De plus, les tripcodes peuvent être copiés, il est donc
possible de retrouver plusieurs fois le même pseudo dans une même discussion
sans que ce soit la même personne derrière.
16. Le site fut à l’origine construit afin d’être le support de discutions relatives aux
mangas, aux animes, et dans l’ensemble à la culture japonaise. Les sujets
abordés par les utilisateurs sont toutefois devenus si vastes que 57 imageboards
sont aujourd’hui en activité, chacun avec un contenu et des règles spécifiques. Il
existe par exemple des boards dédiés à la photographie, à la littérature, à la
mode, aux jeux vidéo… mais aussi au contenu pour adultes (17 boards de ce
genre sont d’ailleurs interdits aux mineurs).
The Guardian décrit 4chan comme « à la fois brillant, ridicule et alarmant ». Le site
bénéficie aujourd’hui de 25 millions de visiteurs unique chaque mois, d’en
moyenne 1 million de posts créés chaque jour, et d’environ 575 millions de pages
vues chaque mois. Cependant, le noyau dur du site, sur lequel environ 200 000
messages sont postés chaque jour, est l’imageboard /b/ - Random. Il compte 16
pages, avec 15 threads (fils de discussions) par page. Les threads sont
automatiquement effacés soit parce qu’ils ont atteint la dernière page du board (ils
remontent systématiquement en première page quand quelqu’un y poste un
nouveau message), soit parce qu’ils ont atteint le seuil maximum de réponses (le
fil est donc « non-remontable » : si long que l’on ne peut plus voir le post originel).
Ce système encourage les utilisateurs à poster en permanence de nouveaux
contenus, et il permet d’éviter tout archivage afin de maintenir un anonymat
maximal. Ainsi, un thread peut rester visible de quelques minutes à plusieurs
heures.
Comme son titre le suggère, le board /b/ n’a aucun thème fixé et son contenu n’est
pas structuré. De plus, à cause du nombre de posts chaque jour, il est quasiment
impossible d’en réguler le contenu et d’éliminer les messages indésirables : c’est
ce qui fait la mauvaise réputation du site, puisque l’on peut y retrouver de tout et
n’importe quoi… y compris parfois du contenu illégal, pédopornographique, gore,
haineux, etc. Cependant, si le site est assimilé par beaucoup comme les égouts
d’internet, il est également décrit comme une formidable usine à mèmes.
D’après Moot (alias Christopher Pool, le créateur de 4chan), tout le contenu né sur
4chan qui a réussi à sortir du site et à devenir populaire vient de /b/. Bien que l’on
ne manque pas d’exemples de mèmes créés sur /b/, peut être que le plus connu
de tous est le phénomène des LOLcats. Ce phénomène est né de la création des
16
17. Caturdays, où les utilisateurs postaient chaque
semaine leur propre version d’un LOLcat : une
image-macro (une image avec un texte superposé)
à vocation humoristique avec une photo de chat, sur
lequel était juxtaposée une légende délibérément
mal orthographiée. Un autre exemple : Repensez à
2007. Avez-vous déjà cliqué sur un lien YouTube et
entendu de façon inattendue la chanson de Rick
Astley « Never Gonna Give You Up »11 ? Si oui,
vous faites partie des 20 millions de personnes à
Exemple d'un LOLcat
vous être fait rickrolled cette année-là. Les mèmes sur 4chan circulent largement,
sont constamment modifiés, et réussissent l’exploit d’unir un groupe d’individus
anonymes, qui autrement seraient dispersés et déconnectés.
Les mèmes internet étaient, au début, réservés à la communauté restreinte des
utilisateurs de 4chan : bien que viraux, ils n’atteignaient pas les internautes
lambda, si bien que la connaissance des mèmes était un véritable signe
d’appartenance à cette communauté et de crédibilité dans celle-ci. Aujourd’hui,
une grande partie des internautes est conscient du phénomène des mèmes
internet (sans toutefois nécessairement connaître le terme), notamment grâce à
des sites web plus accessibles comme les réseaux sociaux, les sites web
d’humour et les générateurs de mèmes.
17
ii. Le passage du mème internet dans la culture populaire
Même si l’expression est paradoxale, on peut aujourd’hui parler d’une
démocratisation des mèmes internet. Auparavant réservés à une communauté
d’initiés, ils sont aujourd’hui connus par une large population et attirent l’intérêt. On
peut expliquer cette expansion grâce à plusieurs raisons : l’apparition des
générateurs de mèmes, et l’invasion des mèmes sur des sites plus grand public
que 4chan.
Il existe aujourd’hui de nombreux sites internet permettant de créer simplement un
mème : quickmeme, memegenerator, ragegenerator, DIYlol… Ces sites
11 Rick Astley – Never Gonna Give You Up https://www.youtube.com/watch?v=dQw4w9WgXcQ
18. contribuent à la popularité des mèmes puisqu’ils permettent à des individus de
créer rapidement, gratuitement et simplement leurs propres versions d’un mème
donné, à partir d’images macro directement disponibles sur le site. Les utilisateurs
n’ont pas besoin de compétences en web ou en design, et peuvent donc aisément
participer à la création et à la distribution de mèmes. Attirés par la possibilité de
voir des mèmes devenir très populaires rapidement, les individus sont encouragés
à créer les leurs, ce qui augmente la diversité et améliore le contenu des mèmes
internet originaux. (Chen, 2012)12 Ces sites font également office d’encyclopédies
des différents mèmes populaires des dernières années, ce qui contribue à leur
longévité.
Cependant, les générateurs de mèmes ne sauraient être la seule explication de
l’ampleur que prennent aujourd’hui les mèmes internet, puisque les images macro
sont loin d’être les seuls formats utilisés : comme expliqué précédemment, les
mèmes peuvent être de toute nature (comme par exemple une vidéo, un hashtag,
un slogan, une chanson…).
4chan étant le lieu de naissance de la plupart des mèmes, ceux-ci sont partagés
et modifiés à travers différents sites internet, les « meme hubs » d’après Limor
Shifman (2014). Parmi eux se trouve Reddit, un site communautaire permettant
aux utilisateurs de soumettre leurs liens et de voter pour les liens proposés par les
autres utilisateurs. Ainsi, les liens les plus appréciés du moment se trouvent
affichés en page d’accueil. Dans la même veine existe Tumblr, plateforme de
micro-blogging qui permet à ses utilisateurs de poster vidéos, photos, textes, de
s’abonner à d’autres internautes et de reblogger du contenu. Les mèmes sont
également postés à grande échelle sur des sites web d’humour comme 9gag ou
likealaugh. Et enfin, ils sont partagés sur les réseaux sociaux (majoritairement
Facebook, les mèmes ayant largement moins de succès sur Twitter ou Google +).
On peut considérer que les mèmes rentrent dans la culture populaire à partir du
moment où ils sont partagés en grande envergure sur les réseaux sociaux. Par
exemple, on peut citer l’incroyable succès de mèmes comme le Harlem Shake, ou
12 CHEN Carl, « The Creation and Meaning of Internet Memes in 4chan: Popular Internet Culture in
the Age of Online Digital Reproduction », Habitus, Yale University, 2012
18
19. encore Gangnam Style de PSY, qui ont tous deux donné naissance à
d’innombrables parodies. Dans certains cas (comme ceux-là), il arrive même
qu’un mème internet prenne une telle ampleur qu’il arrive à sortir de la sphère du
web, et devienne un réel phénomène dans les médias traditionnels (TV, journaux)
et IRL (In Real Life).
19
2. La culture web
a. Internet et créativité
Comme expliqué au-dessus, 4chan est le lieu de création de la grande majorité
des mèmes internet. En effet, sa structure est particulièrement bénéfique à la
créativité de ses utilisateurs : l’anonymat et le caractère éphémère des
publications en font un terrain de jeu parfait pour créer, modifier, améliorer.
De nombreux chercheurs considèrent que l’identité des utilisateurs et l’archivage
des données sont des outils centraux dans le design de communautés en ligne. Ils
soutiennent que l’utilisation de pseudonymes ou des vrais noms favorise la
confiance et la coopération, alors que l’anonymat rend la communication
impersonnelle et ébranle la crédibilité. C’est par exemple le cas de Facebook, dont
le CEO Mark Zuckerberg dit d’ailleurs que les pseudonymes sur le net prouvent un
manque d’intégrité. Similairement, la norme est aussi à la conservation des
données : les moteurs de recherche peuvent faire ressortir à la surface du contenu
qui date de plusieurs années, les réseaux sociaux permettent à leurs utilisateurs
de consulter des photos prise des années plus tôt, et les communautés en ligne
attendent souvent des nouveaux arrivants de lire leurs archives (Millen, 2000)13.
Mais 4chan (et /b/, plus particulièrement) réussit, alors qu’il est presque
entièrement anonyme et extrêmement éphémère. Cette partie expliquera donc
pourquoi, ce que l’on peut retenir de cette culture particulière, et son impact sur la
créativité des utilisateurs.
13 MILLEN R. David, « Community portals and collective goods: conversation archives as an
information resource », Proceedings of the 33rd Hawaii International Conference on System
Sciences, 2000
20. 20
i. Anonymat
Comme expliqué précédemment, l’anonymat sur 4chan ne se limite pas à
l’utilisation d’un pseudonyme. Ici, les publications sont déconnectées de toute
identité. L’anonymat donne un effet de désinhibition qui peut encourager les
comportements antisociaux et la publication de contenus indésirables. De plus,
comme la grande majorité des publications (environ 90%) sont signées
« Anonymous », cela suggère une désindividualisation et un comportement de
foule. Il peut donc sembler sans danger pour les utilisateurs de se comporter
d’une manière dont ils n’oseraient jamais agir dans la vraie vie, puisque leurs
actions ne vont pas venir les « hanter » par la suite.
Cependant, les dynamiques de 4chan et de /b/ suggèrent que l’anonymat peut
avoir un effet positif pour la communication. La désinhibition peut être bénéfique :
dans des fils de discussion où les utilisateurs se conseillent entre eux, l’anonymat
peut offrir une sécurité qui rend les conversations plus intimes et ouvertes. Mais
surtout, l’anonymat peut encourager l’expérimentation de nouvelles idées et de
nouveaux mèmes : l’échec est assez courant (la plupart des fils de discussions ne
reçoivent aucune réponse), mais l’anonymat masque cet échec, adoucissant le fait
d’être ignoré ou d’être délibérément critique. Dans une communauté en ligne
habituelle avec une identité présente (que ce soit via un pseudo, ou son vrai nom),
un mauvais historique de publications ne s’efface pas. Sur 4chan, c’est sans
importance.
Ainsi, les internautes sont encouragés à constamment créer, publier, modifier,
commenter ; sans craindre le regard et le jugement de l’autre. Et comme l’a dit
Moot, le créateur de 4chan : c’est parfois quand les gens sont cachés, insouciants
de leur réputation ou de leur identité sociale, qu’ils disent et font des choses
intéressantes.
ii. Ephémère
L’éphémérité du site est renforcée par le volume massif de nouvelles publications
à chaque seconde sur le site. Comme expliqué précédemment, les fils de
discussions sont balayés au fur et à mesure que de nouveaux sont créés. Quand
un utilisateur répond à un fil de discussion, celui-ci est re-propulsé sur la première
21. page. S’il atteint le bas de la dernière page, il est supprimé et l’URL redirige vers
une erreur « Page Not Found ». Ce processus entier peut prendre à peine
quelques minutes.
Mais bien que le site soit éphémère, les utilisateurs ont développé d’autres
mécanismes pour garder le contenu de valeur. Par exemple, ils font souvent
référence à un « dossier /b/ » qu’ils auraient gardé sur leur ordinateur, pour
retrouver le contenu qu’ils apprécient plus tard ou pour le modifier. Ils n’hésitent
pas non plus à demander aux autres internautes de fouiller dans leurs archives
personnelles si besoin. Ils ont également développé des sites comme
4chanarchive.org pour garder des topics particulièrement importants.
Ainsi, cette sélection naturelle permet à la communauté de ne garder que les
meilleurs mèmes. Pour garder un contenu en particulier, les utilisateurs doivent
prendre la décision explicite de le sauvegarder sur leur disque dur et de le
reposter par la suite. De plus, cette éphémérité permet d’inciter une plus grande
participation collective. On pourrait penser que les utilisateurs ne verraient aucun
intérêt à contribuer au site si leurs actions ont de grandes chances d’être effacées
en quelques minutes. Cependant, ils ont plutôt tendance à répondre rapidement et
à garder la conversation active pour que le fil de discussion qui les intéresse ne
disparaisse pas. Ainsi, pour reprendre le caractère de longévité d’un mème selon
Dawkins, il est ici amélioré : un mème ne survit que selon le bien-vouloir des
individus concernés.
Alors que de colossaux acteurs d’internet comme Facebook ou Google font
évoluer leurs modèles dans la direction de l’identité et de l’archivage des données,
il est important de comprendre ce qu’il se passe dans les larges communautés qui
occupent la position inverse. Les communautés comme celle de 4chan ont un
impact immense sur la culture internet, et le caractère anonyme et éphémère de la
communauté de /b/ joue un rôle fort dans cette influence culturelle.
21
b. Une snack-culture, ou une culture à part entière ?
Knobel et Lankshear expliquent que la fécondité d’un mème est généralement
influencée par l’existence d’au moins une de ces caractéristiques : un élément
humoristique (allant de l’humour original et décalé à l’humour potache, au bizarre,
22. aux parodies, à l’ironie), une riche intertextualité (par exemple, des références à la
culture populaire, à la vie de tous les jours, à des phénomènes), et à des
juxtapositions. Peut-on dire que les mèmes sont les symboles d’une véritable
culture, ou ne sont-ils simplement qu’un ramassis d’idioties ?
Les mèmes internet tendent à servir un des quatre objectifs suivant : un
commentaire social (par exemple des critiques politiques, qui sont parfois sur le
ton de l’ironie), de l’humour absurde (parodies, images photoshoppées…),
promouvoir la culture otaku (l’équivalent japonais du geek : un fan de mangas,
animes, jeux vidéo), ou encore pour diffuser un canular.
22
i. Une « snack-culture »… mais pas que
Le contenu qui circule dans cette communauté, et les mèmes internet en général
peuvent sembler simpliste et dénués de sens. Henry Jenkins appelle ce
phénomène une « snack-culture ». Il explique que nous engloutissons aujourd’hui
la culture populaire de la même manière dont nous dévorons des bonbons ou des
chips : dans des bouchées bien packagées, faites pour être consommées de plus
en plus souvent et de plus en plus rapidement. Cette snack-culture, en plus d’être
« savoureuse et dépendante », implique que ces snacks sont dénués de valeur
nutritionnelle, triviaux, et une perte de temps. Et que si ce contenu sans intérêt est
répliqué par les consommateurs, alors ils sont irrationnels et incapables
d’échapper à cette infection.
Pour ce qui est de leur valeur réelle en termes de création culturelle et artistique,
les mèmes internet semblent chevaucher des lignes très fines entre innovation
douteuse et kitsch ironique, entre esprit mordant et vulgarité. Mais peu importe au
final si les utilisateurs produisent ou non de la « bonne culture », ces mèmes
internet ont le pouvoir d’influencer significativement les valeurs sociales de la
communauté.
Les mèmes font partie de ce que l’on pourrait appeler une « culture du remix ».
Lessig (2008)14 explique la différence entre une culture R/O (« Read/Only ») et
une culture R/W (« Read/Write »). La première fait référence à la consommation
14 LESSIG Lawrence, « Remix: Making Art and Commerce Thrive in the Hybrid Economy », 2008
23. d’artéfacts culturels et des médias. En d’autres termes, les individus et les
communautés consomment les médias sans nécessairement contribuer à la
création de la culture populaire. La deuxième implique la consommation et la
création de culture. Dans une culture R/W, les individus ajoutent à la culture qu’ils
consomment en créant et recréant de la culture autour d’eux. Bien que la montée
en importance des médias de masse au 20e siècle n’ait pas rendue la culture R/W
complètement obsolète, il y a eu une tendance dans laquelle les individus
consommaient la culture populaire sans nécessairement y contribuer. Aujourd’hui,
la culture internet et ses faibles barrières à l’entrée font qu’ils peuvent plus
facilement être aussi les producteurs et les distributeurs de cette culture, et pas
seulement les consommateurs. Et comme les mèmes sont publiés par « le
peuple », ils peuvent être révélateurs de nouveaux traits de consommation au sein
d’une société, comme par son exemple son besoin grandissant de gratification
immédiate.
23
ii. Une culture du LOL, à différents objectifs
La plupart des mèmes appellent et se reposent sur la
créativité de personnes qui, soit apprécient les idées
absurdes, ludiques, et véhiculant peu de contenu
« sérieux » ; soit apprécient les idées humoristiques
venant soutenir un contenu sérieux (souvent, une
critique sociale). L’humour est un très puissant facteur
de cohérence pour les internautes qui se considèrent
membres de cybercommunautés.
La culture internet a d’ailleurs son propre langage (en plus des différents
acronymes) : le LOLspeak. On peut le retrouver dans la plupart des mèmes basés
sur des images macro (comme par exemple les LOLcats, ou doge15). C’est un
anglais écorché, délibérément incorrect. Il existe d’ailleurs des analogies entre le
langage enfantin et celui-ci, dans un objectif humoristique.
15 Doge : http://knowyourmeme.com/memes/doge
Exemple du mème Doge
24. 24
• L’importance de la juxtaposition
Selon Limor Shifman, une caractéristique fondamentale de nombreux mèmes
internet est l’incongruité entre deux ou plusieurs éléments au sein de ceux-ci. Plus
spécifiquement, on voit souvent une personne qui semble complètement en
décalage avec le contexte et la situation autour de lui : on peut citer par exemple
le mème « Disaster Girl », qui représente une petite fille souriant à la caméra alors
que l’on peut voir derrière elle une maison brûler. Cette incongruité appelle à des
réponses mémétiques : puisque le personnage représenté semble hors contexte,
la réappropriation de ce dernier dans d’autres contextes semble presque naturelle.
De plus, elle donne l’impression d’une image déjà Photoshoppée, et ouvre donc la
voie à des réactions basés sur la retouche d’image. Les internautes qui
capitalisent sur l’incongruité représentée dans le mème original tendent à faire
deux choses : accentuer le ridicule associé à cette incongruité en présentant des
juxtapositions encore plus puissantes (par exemple, la « Disaster Girl » n’a pas
seulement assisté à l’incendie de sa maison, elle était aussi devant la chute des
tours au 11 septembre) ; ou le réduire en repositionnant le personnage dans un
contexte qui semble plus approprié.
• L’humour comme outil de critique sociale
L’ironie et l’humour satirique sont souvent utilisés dans les mèmes dont le but est
de critiquer un phénomène social. Par exemple, de nombreux mèmes détournent
des contenus culturels pour critiquer l’industrie de la culture et la façon qu’elle a de
produire du contenu – qu’ils jugent – sans valeur et sans valeur sociale.
Le site blackpeopleloveus.com est un autre exemple de mème dont le but est de
faire une critique sociale. Il s’agit d’un site recensant des commentaires ironiques,
voire acerbes, sur le paternalisme libéral américain blanc envers les afro-américains.
Ce faux site personnel comprend une série de « témoignages », qui
insistent sur la condescendance qui peut avoir lieu dans les jugements naïfs que
peuvent avoir certaines personnes sur les différences culturelles : par exemple,
des personnes blanches prouvant leur « solidarités » en clamant leur goût pour la
musique rap.
25. Un autre exemple de mème humoristique pour critiquer un phénomène politique
pourrait être le mème Bush-Blair Love Song créé par le groupe de musique
suédois Read My Lips. Le groupe a rassemblé des centaines de fragments de
vidéos avec George Bush et Tony Blair, et a synchronisé les mouvements de leurs
lèvres et leurs actions avec leur chanson d’amour « Endless Love »16, pour
suggérer une romance entre les deux protagonistes. La vidéo se dresse comme
une condamnation de l’alliance militaire entre Bush et Blair pour envahir l’Iraq.
25
• L’humour « for teh lulz »
Les communautés internet qui produisent les mèmes semblent couvrir toute la
gamme de l’humour post-moderne selon Lipovetsky (1983). D’un côté, il existe
des mèmes qui démontrent un sens de l’humour qui évite la confrontation, et qui
semblent respecter ce qui semble approprié. De l’autre, il existe des mèmes dont
l’humour semble immoral, malveillant, voire violent.
La plupart des mèmes de ce type s’inscrivent dans 3 genres différents : le Fail, le
What the fuck, et le Win (pour reprendre les termes de Limor Shifman).
Le Fail marque des moments d’incompétence sociale, d’embarras, de malchance
et est par exemple incarné par des personnages comme le Socially Awkard
Penguin, ou le Forever Alone. Ces mèmes sont souvent liés à des scénarios de la
vie de tous les jours : se cogner le petit doigt de pied dans un meuble, voir
quelqu’un refuser ses avances, ne plus avoir de batterie sur son téléphone à un
moment important… Autant de situations triviales qui font que la plupart des
individus, en voyant ces types de mèmes, y associent leur propre vécu et leurs
propres expériences. Ces petits évènements de tous les jours, ces anecdotes
universelles, ont une large propension à être partagées : cela se prouve par
exemple par le succès de YouTubeurs comme Norman fait des vidéos ou Cyprien,
dont les vidéos atteignent des millions de vues en parlant de manière
humoristique de sujets qui – au sein de leur public – font écho (les rendez-vous
amoureux, les soldes, la cigarette, par exemple).
Le What The Fuck (ou « WTF memes ») concerne les mèmes où l’échec n’est pas
lié au protagoniste mais aux autres, et où la situation le laisse avec l’éternelle
16 Read my lips – Endless Love : https://www.youtube.com/watch?v=F1hQ7iyI0JI
26. question : WTF ? Les « autres » dans de tels mèmes sont représentés comme en
dehors du groupe : ils manquent d’intelligence et discernement. Enfin, les mèmes
Win représentent des situations victorieuses de la vie de tous les jours.
Comme expliqué précédemment, les mèmes internet
représentent souvent un élément décalé par rapport à
son contexte : par exemple, des mèmes très connus
représentent des photos ou des dessins d’hommes
politiques avec une courte phrase qui appuie
l’expression du protagoniste. Pour n’en citer que
quelques-uns, il existe notamment le mème « Not bad »
avec Barack Obama, ou encore le « Give this man a
cookie » de Vladimir Poutine.
Cela peut également se présenter sous la forme d’une parodie d’un extrait de film,
dont les dialogues sont modifiés. L’exemple le plus connu est le mème Hitler
Reacts, basé sur une scène du film allemand La Chute (Oliver Hirschbiegel), où
on voit Hitler hurler sur ses lieutenants et autres gradés. Elle a donné naissance à
de nombreuses parodies humoristiques où les dialogues originaux en allemands
sont conservés, mais où des sous titres dans une autre langue concernant des
évènements anachroniques sont ajoutés. De cette façon, Hitler a réagi a de
nombreux phénomènes, dont d’autres mèmes internet : par exemple au Double
Rainbow, Gangnam Style, la mort de Michael Jackson, ou encore au fait que le
nouvel iPad n’ait pas de mode multitâches.
Il n’y a donc aucune limite dans les sujets abordés : quand on en vient aux mèmes
internet, on peut – et on doit – rire de tout. Internet est régi par le LOL (Laughing
Out Loud). Le sous forum /b/ de 4chan avait d’ailleurs écrit en 2006 une liste des
47 règles de l’internet (voir Annexe N°1) : il est intéressant d’en souligner les
règles n°20 « Rien ne doit être pris au sérieux » et n°42 « Rien n’est sacré ».
Les exemples de mèmes humoristiques et absurdes ne manquent pas, et c’est
d’ailleurs ce qui fait que de nombreuses personnes considèrent la culture web et
les mèmes comme un ramassis de bêtises d’adolescents. Dans la majorité des
cas, les mèmes sont créés « for the lulz » (dans le seul but de rire) et n’ont aucune
autre prétention. L’expression suggère une tendance inconditionnelle et sans
26
Exemple du mème B. Obama
27. bornes à plaisanter à propos de sujets considérés en dehors des limites, pour des
raisons de gravité ou de compassion.
Les mèmes sont en quelque sorte une « private-joke globale ». Ils font un clin
d’oeil à tous ceux qui connaissent le phénomène, et ceux en dehors de ce cercle
peuvent parfois avoir des difficultés à le comprendre. Ils sont représentatifs d’une
culture à part entière : à la fois compréhensible globalement puisque très visuels,
certains le sont moins car ils nécessitent d’avoir une véritable culture digitale. En
ce sens ils donnent le sentiment d’appartenir à une communauté à part, celle
d’internet.
La culture web est tendance, aussi il semble logique que certaines marquent
veuillent rebondir sur le phénomène et cible cette part restreinte d’internautes
attirée par la culture web et les mèmes. La partie suivante expliquera les
différentes manières dont les marques tentent de se réapproprier cette culture, et
dans quel objectif.
27
28. II) Les mèmes internet dans la publicité
Aujourd’hui, il ne semble y avoir sur internet que peu de place pour la publicité
véritablement créative : les moteurs de recherche sont pollués par des liens
sponsorisés, les pop-ups vous assaillent au moindre clic, les bannières aux
couleurs criardes et parfois même mal orthographiées vous piquent les yeux. La
majorité de la publicité que l’on peut retrouver sur le web ne vient pas de grands
directeurs artistiques. Ces encarts « Vieux trucs de grand-mère », « C’est prouvé,
ça marche ! » sont le résultat d’algorithmes qui jetteront n’importe quoi sur vos
écrans, pour voir si ça fonctionne.
Avec les technologies d’optimisation, de placement de produit, les moteurs de
recherche basés sur les liens sponsorisés, les coûts des médias qui changent en
temps réel et les fonctionnalités de géolocalisation pour les appareils mobiles, il
serait facile de conclure que la publicité est aujourd’hui plus une science qu’un art.
Mais (et bien heureusement), toutes les marques ne se contentent pas d’utiliser le
web de cette manière, et offrent encore des publicités créatives sur le net. Et une
manière d’utiliser internet comme autre chose qu’un simple média, c’est aussi de
comprendre qu’il est source d’une véritable culture : c’est tenter de comprendre
ses codes, et de jouer avec ces derniers pour proposer du contenu innovant et
créatif.
28
1. L’attractivité des mèmes internet pour les marques
a. Une opportunité alléchante
La culture Internet ne cesse de prendre de l’ampleur. Par le biais des mèmes, de
l’émergence de certains codes et ses célébrités, celle-ci se réinvente
constamment, évolue, et s’impose comme une culture à part entière qu’il faut
comprendre. Et comme toute tendance populaire, certains annonceurs se sont
empressés de vouloir capitaliser dessus, et de les utiliser à des fins commerciales.
C’est parfois réussi, parfois un peu plus à la traîne, mais certains se risquent au
jeu.
29. 29
i. L’attrait du mème
De par leur caractère mimétique, il semble tout à fait logique de se réapproprier ce
type de contenus. Les mèmes, c’est le rêve de toute marque : un contenu qui est
partagé à grande échelle, détourné, copié, connu, sans effort ou presque de la
part du créateur…
Contrairement à d’autres cas, ce n’est pas parce qu’un internaute a déjà vu la
version originale d’un mème internet qu’il en ignorera les versions suivantes : c’est
même la raison pour laquelle il leur prêtera attention. De plus, le détournement et
la copie étant la base du mème internet, le terrain peut sembler tout tracé : et si
des internautes lambda sont capables de créer des images avec un tel potentiel
viral, alors qu’en serait-il si ça venait de créatifs professionnels de la
communication ? On est en droit de penser que la publicité (annonceurs ou
agences) serait en mesure de proposer du contenu basé sur les mèmes internet,
mais que grâce à ses moyens il soit de meilleure qualité que ce que l’on trouve
habituellement sur le net. Et si des millions d’internautes partagent, copient et
parlent d’une vidéo de mauvaise qualité représentant un chat jouant du piano,
alors on ne peut qu’espérer qu’une vidéo similaire mais « meilleure », aurait
également une grande propension à devenir virale. Parce que l’objectif des
publicités détournant des mèmes internet, c’est bien celui-ci : la viralité. Le plus
important, c’est de faire parler de sa marque.
Ensuite, reprendre des phénomènes internet dans une campagne de
communication donne à une marque une image jeune, moderne et ancrée dans
les codes du web. Et quand la cible d’une marque est jeune, moderne et ancrée
dans ces codes : le meilleur moyen de lui parler, c’est encore de lui parler avec le
langage qu’elle comprend. Utiliser les mèmes internet, c’est montrer au public que
l’on est conscient de sa culture web si particulière, qu’on la comprend et qu’on la
partage. C’est faire un clin d’oeil à chaque internaute, et attendre que ces derniers
apprécient le geste. C’est avoir reconnu qu’internet n’était pas seulement un
média, mais aussi la source d’une véritable culture web. C’est vouloir dépasser le
simple principe de communication, et parler à une cible bien spécifique avec des
mots qu’elle comprend, des codes qui lui parlent, des phénomènes qu’elle
reconnait et dans lesquels elle est activement impliquée.
30. 30
ii. Une cible bien particulière
La cible de ces publicités, c’est donc ces internautes qui passent énormément de
temps sur internet, pour le plaisir, et qui est consciente du phénomène des mèmes
internet (sans en connaître nécessairement le terme, par ailleurs). C’est une
catégorie d’individus qui partagent les mêmes valeurs, qui suivent les mêmes
codes. Cette cible, avant d’être découpée en « utilisateurs courants » ou
« connaisseurs », c’est avant tout la génération Y. La génération Y regroupe des
personnes nées approximativement entre les années 1980 et 2000. Ces individus
sont nés dans un monde où l’ordinateur et internet étaient de plus en plus
accessibles : aussi, ils ont évolué avec le web, et connaissent ses codes.
Les individus appartenant à la génération Y sont souvent considérés comme des
« consomm’acteurs » plutôt que comme des consommateurs. Ce, parce qu’ils
sont proactifs dans leur démarche de recherche d’information, qu’ils partagent du
contenu, créent du contenu (site web perso, article de blog… ou mème). De part
leurs habitudes de consommation face au digital, ils acceptent de plus en plus
difficilement la publicité classique sur le net (pop-ups, bannières). De plus, ils
interagissent de manière différente avec les marques que les autres générations :
il existe aujourd’hui une réelle volonté de dialogue entre consommateurs (par
exemple, sur des forums), et entre consommateurs et marques (qui a causé
l’apparition du Community management, par exemple). Enfin, ils sont de plus en
plus réticents aux techniques de « push marketing » : si une marque veut les
aborder, il faut donc un contenu particulièrement adapté à leurs attentes.
Utiliser les tactiques habituelles sur une cible différente est inefficace. Afin de
toucher cette cible sur internet, il faut donc adopter une stratégie digitale adaptée.
b. Une stratégie à laquelle peu se risquent
Alors que les publicitaires créaient des mèmes, aujourd’hui la meilleure stratégie
pourrait être de surfer sur ces derniers. Pourtant, les mèmes internet – et la
culture web en général – restent encore très peu utilisés par les agences de
publicité. Et ce, pour plusieurs raisons. La première est que ça complexifie trop
internet dans l’esprit des annonceurs. Pour la majorité des marques, internet est
31. un média sur lequel on met des bannières publicitaires, et éventuellement du
Community Management. La culture internet n’est pas facile à comprendre, et très
peu en parlent : elle reste un concept flou, et est sous-estimée (quand on parle de
culture internet et de mèmes, la plupart pense d’abord à des images à l’humour
parfois douteux ou aux inutiles et innombrables photos de chats partagées sur
internet). Seulement, comme l’auteur du blog Cyroul.com l’a dit : « Comment peut-on
communiquer à sa cible si on ne connait pas les codes de sa culture, ses
raccourcis sémantiques, ses ponctuations imagées, ses usages et qualités
d’interaction ? » La réponse est simple : on ne peut pas.
Ensuite elle fait appel à des compétences qui n’existent pas en agence de
publicité : le folklore digital et la culture internet sont dépendants de ressorts
psychologiques, philosophies, sociaux. Typiquement le genre d’information que
l’on ne retrouve pas dans la presse spécialisée en marketing digital… Ainsi, les
agences attendent que ce soit une vraie demande du client annonceur (comme
par exemple pour le Community Manager en 2008) avant d’investir sur ces
compétences.
De plus, des questions légales relatives aux droits d’auteur se posent. Bien que
les mèmes soient issus d’un effort anonyme et collectif, à qui appartiennent-ils ?
Peuvent-ils être utilisés à des fins lucratives ? Hors, quand une marque cherche à
communiquer, un procès pour plagiat est exactement ce dont elle n’a pas
besoin…
Cependant, certains annonceurs choisissent tout de même de prendre le risque
d’utiliser la culture internet et ses mèmes dans leurs campagnes de
communication. Dans la partie suivante, je présenterais différents exemples de ce
qui a été fait sur le sujet, puis j’expliquerais l’objectif recherché par les marques
avec de telles publicités.
31
2. Exemples de réappropriation de mèmes internet
Les exemples de marques utilisant les mèmes internet dans leur stratégie de
communication ne sont pas nombreux, mais ils témoignent tout de même d’une
tendance grandissante dans la communication. De même, les Community
Managers s’amusent de plus en plus souvent à créer ou relayer des mèmes
32. internet (plus ou moins en rapport avec leur marque) sur les comptes de leurs
entreprises sur les réseaux sociaux.
32
a. Des marques qui ont surfé sur les mèmes internet :
exemples d’Oasis, Glacéau et Wonderful Pistachios
Certaines marques ont a leur actif plusieurs vidéos publicitaires – destinées au
web – qui détournent des mèmes internet : je parlerai ici des cas d’Oasis, Glacéau
(avec Vitamin Water et Smart Water) et Wonderful Pistachios. Cette utilisation
s’est faite dans le cadre de stratégies différentes : alors qu’Oasis parodie les
mèmes internet dans la logique d’un story-telling basé sur le détournement et
ancré dans les codes du web, Wonderful Pistachios l’a fait par habitude d’utiliser
des « célébrités » connues du grand public dans ses spots, et Glacéau s’est plutôt
servis du phénomène dans une stratégie de one-shot, pour faire le buzz à court
terme.
i. Exemple d’Oasis : le grand gagnant du web
Oasis est une marque considérée par beaucoup comme la meilleure en matière
de communication digitale. Elle été l’une des premières marques à miser
massivement sur le 2.0 : certains de ses évènements, comme le « Fruit of the
Year » en 2010, furent centrés sur les réseaux sociaux : alors qu’habituellement ils
servaient plutôt de relais.
Sa stratégie est basée sur le story telling (définition Wikipédia : « méthode utilisée
en communication fondée sur une structure narrative du discours qui s'apparente
à celle des contes, des récits ») : par exemple, elle mets actuellement ses
personnages en scène dans une web-série composée de plusieurs épisodes
sortant chaque mois. Et ce story teling est essentiellement basé sur le
détournement : dans ses vidéos, Oasis fait allusion à divers éléments de pop
culture, et en fait des jeux de mots avec les fruits.
Dans le 1er épisode de la web-série, Le Cocoloc, ils font par exemple un clin d’oeil
au célèbre jeu Candy Crush en l’appelant « Manguy Crush », au site
pornographique YouPorn en le renommant « YouPomm » (ils ont d’ailleurs créé le
33. site internet pour l’occasion), ils détournent la célèbre expression « Vers l’infini et
l’au delà » du dessin animé Toy Story en « Vers l’infruinit et l’au delà » … La liste
est longue. Sur les réseaux sociaux, la marque rebondit très rapidement sur
l’actualité, et détourne les sujets en vogue : par exemple, le 24 mai 2014 la
marque a posté le tweet « EXCLUSIF dans Boici : les photos du mariage de
Kanye Quetsche et Kim Kananashian ! » pour rebondir sur le mariage de Kanye
West et Kim Kardashian, qui fait sensation dans la presse people. Les jeux de
mots sont bien trouvés et font foison, et surtout, ils font le buzz.
C’est toutes ces allusions, ces détournements humoristiques qui font que le public
considère Oasis comme une marque jeune, moderne et fun. La marque se voulant
ancrée dans le digital, il est alors tout à fait logique qu’en restant dans la même
logique de détournement, elle utilise aussi les mèmes internet.
Afro Ninja Dramatic Chipmunk Leave Britney Alone
Afro Agrume Dramatic Ananas Leave Her Alone
Forte d’une importante identité numérique, la marque a donc réalisé en 2011
quatre courts spots utilisant des phénomènes internet. Ces publicités ont été
réalisées par l’agence Marcel, et ont été publiées sur les réseaux sociaux. Parmi
elles, trois utilisaient des mèmes internet : Afro Ninja17, Dramatic Chipmunk18 et
Leave Britney Alone19.
33
17 Afro Ninja : https://www.youtube.com/watch?v=BEtIoGQxqQs
Détournement Oasis – Afro Agrume : https://www.youtube.com/watch?v=ZDtzIxo8Vwg
18 Dramatic Chipmunk : https://www.youtube.com/watch?v=a1Y73sPHKxw
34. La ressemblance entre les originaux et les adaptations est évidemment frappante :
quiconque ayant connaissance du mème internet reconnaîtra le clin d’oeil. Et les
réactions sont globalement très positives (1038 « pouces verts » sur la
vidéo, contre 146 « pouces rouges »). D’autant plus que certains, moins initiés aux
mèmes internet, ne comprennent pas l’allusion... La vidéo fait donc office de
private-joke globale, ce qui renforce encore plus le lien privilégié entre la marque
et sa cible.
34
ii. Exemple de Wonderful Pistachios
La marque Wonderful Pistachios a lancé en 2011 deux spots publicitaires
reprenant respectivement les mèmes internet Honey Badger20 et Keyboard Cat21.
Le mème Honey Badger est à l’origine une vidéo provenant d’un documentaire
animalier de National Geographic, dont la narration est faite par un homme
nommé Randall, qui a par la suite lancé une série de vidéos similaires sur
YouTube. La vidéo a eu beaucoup de succès au début de l’année 2011, pour ses
commentaires insolents et la personnification du mammifère en question. La vidéo
est notamment culte pour les premiers commentaires de Randall : « This is a
honey badger. Watch it run in slow motion. It’s pretty badass ».
La parodie de Wonderful Pistachios22 reprend la narration de la vidéo originale :
elle mets en scène le même personnage (le blaireau) – mais cette fois sur fond
blanc, les mêmes phrases – mais pas le même narrateur, avec les mêmes actions
(notamment, il attaque un serpent) – à ceci près qu’à la fin de la vidéo il casse une
pistache (le produit de la marque, donc).
Keyboard Cat est un mème provenant d'une vidéo créée en 1984 dans laquelle le
chat "Fatso" joue un morceau sur un piano électrique. En réalité, le morceau était
joué par Charlie Schmidt, le propriétaire de Fatso, qui avait la main cachée dans le
t-shirt du chat. La vidéo n'a été publiée sur internet que vingt ans plus tard, en
2004, sur le site personnel de Charlie Schmidt. Le 2 février 2009, cette vidéo
Détournement Oasis – Dramatic Ananas : https://www.youtube.com/watch?v=xdxcCDuV1HI
19 Leave Britney Alone : https://www.youtube.com/watch?v=kHmvkRoEowc
Détournement Oasis – Leave Her Alone : https://www.youtube.com/watch?v=GqAUwGEJgLM
20 Honey Badger : http://knowyourmeme.com/memes/honey-badger
21 Keyboard Cat : http://knowyourmeme.com/memes/keyboard-cat
22 Parodie Wonderful Pistachios : https://www.youtube.com/watch?v=nhdvmEYCQgA
35. devint un phénomène internet (Play him off, Keyboard Cat) : elle est reprise et
modifiée par de nombreux internautes.
La vidéo de Wonderful Pistachios23 mets en scène un chat avec un tshirt vert (la
couleur pistache), sur fond blanc, qui joue au piano le même air que dans la vidéo
originale. A la fin de la vidéo, il casse une pistache.
Une version parodiée du mème Honey
Badger
La version Wonderful Pistachios
La version Wonderful Pistachios Le mème original Keyboard Cat
Dans les deux cas, la réappropriation des mèmes internet est plutôt maladroite. La
marque a, certes, rendu le mème plus professionnel : les images sont nettes, le
fond a été changé, les couleurs sont en adéquation avec sa charte graphique. En
revanche, l’histoire est la même : les personnages font les mêmes actions que
dans les vidéos originales, au détail près que tous deux cassent une pistache à la
fin.
35
23 Parodie Wonderful Pistachios : https://www.youtube.com/watch?v=-IcGvBE5xfg
36. L’allusion aux mèmes peut ravir certains internautes, qui y verront là un clin d’oeil
fait à leur culture et qui le prendront comme tel. Cependant, dans le cas de la
parodie d’Honey Badger, la marque oublie le sens originel du mème : ce dernier
représente la désinvolture la plus complète. Il a été détourné sous le format
d’images macro avec une photo d’un blaireau à l’air agressif, avec une légende
qui évolue toujours autour du « Honey Badger doesn’t care ». A l’inverse, une
version « Sensitive Honey Badger » a même été créée par des internautes : avec
une image d’un blaireau ayant l’air tout à fait inoffensif (voire pensif), et une
légende de type « People say I don’t care… But I do ». Mais dans tous les cas, la
marque n’a pas prêté attention au symbole que ce mème transportait, et l’a utilisé
tel quel dans sa vidéo. Et parodier un mème internet sans tenir compte de sa
signification n’est pas, à mon sens, la manière dont il faut opérer.
36
iii. Exemple du groupe Glacéau
Le groupe Glacéau possède deux marques ayant tenté de surfer sur les mèmes
internet : Vitamin Water et Smart Water.
A l’inverse d’Oasis qui proposait une vidéo parodique par mème, Vitamin Water,
en 2012, a décidé d’en réunir le plus possibles dans un seul spot vidéo24. La vidéo
est pensée comme un hommage à la culture internet et culture mème. Ainsi, on
peut y retrouver les mèmes Epic Sax Guy, le planking, Success Kid, des LOLcats,
un flashmob… Le slogan étant, en substance : « Préparez-vous pour n’importe
quoi avec Vitamin Water ».
Smart Water a choisi de mélanger références de la pop culture, et références de
la culture internet dans ce spot25 de 2011 : on peut y retrouver Jennifer Aniston,
une célèbre actrice, et Keenan Cahill, une célébrité du net (il reprends
régulièrement des chansons en playback – ou lipsynch). Dans cette vidéo, l’actrice
est présentée à côté de trois « Internet Guys », et nous annonce qu’elle doit
promouvoir le produit Smart Water. Elle explique alors qu’elle ne peut pas
simplement dire que c’est l’eau la plus pure, la plus goûteuse… mais qu’elle doit
faire une vidéo « virale ». Alors, les Internet Guys lui remettent une liste des
24 Publicité Vitamin Water : https://www.youtube.com/watch?v=Mw44I2P7wO8
25 Publicité Smart Water : https://www.youtube.com/watch?v=ZvzQsXUDdQY
37. différents « critères » qu’une vidéo doit comporter pour devenir virale : c’est à dire
des animaux, des bébés qui dansent, un double arc-en-ciel… Ces différents
éléments sont donc mis en scènes l’un après l’autre, avec une Jennifer Aniston
qui, comme toute personne n’étant pas connaisseur, les apprécie mais n’en saisit
pas la portée (c’est à dire qu’elle ne reconnait pas les références). Pour finir, on
peut voir l’actrice boire à la bouteille en slow-motion, avec une musique sexy et du
vent dans ses cheveux.
Le ton humoristique de cette vidéo est basé sur une critique des publicités cliché :
que ce soit le classique ralenti glamour sur une belle femme pour promouvoir
n’importe quel type de produit, ou la juxtaposition de plusieurs « ingrédients
incontournables » pour faire le buzz. La marque joue la carte de l’ironie, espérant
créer un lien avec le consommateur qui rira devant cette honnêteté.
Dans ces deux cas, l’idée était plutôt réussi : la plupart des réactions face à ces
publicités sont positives, le clin d’oeil est apprécié. La deuxième vidéo a également
l’avantage de s’adresser à un public plus large qu’aux amateurs de mèmes
internet, puisque les autres se reconnaîtront dans son égérie, plus traditionnelle.
Cependant, il semblerait que l’utilisation de mèmes internet dans les publicités de
ces deux marques soit un one-shot pour chacune d’entre elles. En effet, leur
utilisation des réseaux sociaux aujourd’hui est on ne peut plus classique, et pas
vraiment portée sur le ton de l’humour.
Dans la même lignée, on peut citer l’exemple de Purina, du groupe Friskies, qui a
lancé en 2013 une vidéo en ligne intitulée « Hard to Be a Cat at Christmas »26.
Cette dernière mettait en scène cinq chats dans un décor de fêtes de fin d’année.
En soi, une publicité qui utilise des chats, ça n’a rien de nouveau (Bouygues l’avait
bien fait en 201127). Seulement ici, il se trouve qu’il s’agit des chats les plus
connus d’internet : Grumpy Cat, Colonel Meow, Nala Cat, Oskar the Blind Cat, et
Hamilton the Hipster Cat. Ces LOLcats sont utilisés comme n’importe quelle
célébrité lambda dans une publicité classique. Ici ils sont les ambassadeurs de la
37
26 Purina – Hard to Be a Cat at Christmas https://www.youtube.com/watch?v=06GhXB2_XNE
27 Bouygues Telecom présente les Chatons Telecom :
https://www.youtube.com/watch?v=59ZYrB8Ws7Y
38. marque : pourtant, celle-ci ne semble pas s’inscrire tout particulièrement dans une
stratégie digitale.
Ce cas rejoint celui de Glacéau dans le sens où Purina utilise ici les mèmes
internet dans le cadre d’une communication one-shot : il n’y a pas de volonté de
continuer sur cette voie. Ces marques en ont fait l’essai, mais ne l’ont pas
renouvelé : probablement pour ne pas risquer de cantonner son image de marque
à une image « geek », peut être trop restreinte.
38
b. Un même mème détourné par plusieurs marques : le
phénomène « Double Rainbow »
Le mème internet « Double Rainbow » est parti d’une vidéo YouTube postée le 8
janvier 2010, où on pouvait voir un homme dans un pur moment d’extase devant
un phénomène scientifique plus ou moins rare : un double arc-en-ciel. La vidéo est
devenue ultra virale (elle compte aujourd’hui presque 40 millions de vues) et a
donné naissance à de nombreuses parodies. Plusieurs annonceurs se sont
empressés de rebondir sur le phénomène : Vodafone, Microsoft, ou encore Ben &
Jerry’s.
En septembre 2010, Microsoft a publié une vidéo pour promouvoir Windows Live
Photo Gallery, dans laquelle est mis en scène le même homme que dans la vidéo
originale (Paul « Bear » Vasquez). ce dernier s’extasie devant un double arc en
ciel, puis il le prend en photo. On le voit ensuite retoucher ses photos dans
Windows Live Photo Gallery.
En janvier 2011, Vodafone New Zealand a également fait appel à Paul Vasquez
pour son spot publicitaire. Il s’extasie tour à tour devant des objets en double : au
début un arc en ciel, puis une double cascade, une double rivière, une double
boite aux lettres… pour finir devant une affiche de Vodafone où il est écrit
« Double Back » (une offre promotionnelle de l’époque).
Dans ces deux cas, les marques ont utilisé le phénomène à 100%, allant jusqu’à
faire jouer le protagoniste dans leur vidéo. Ils lui font faire exactement la même
chose que dans la vidéo originale : les gestes, les expressions sont copiées. Par
exemple, les phrases « Double rainbow, all the way across the sky » et « What
39. does it mean ? » célèbres dans le mème original (qui apparaissent de
nombreuses fois dans les commentaires de la vidéo, et qui sont utilisées pour les
parodies) sont utilisées tel quelles dans les deux publicités. Ici, peu de créativité :
les marques ont simplement chercher à « reformuler » un phénomène ayant déjà
rencontré du succès, et ont utilisé Paul Vasquez de la même manière que
n’importe quelle célébrité.
Ben & Jerry’s a également utilisé le mème, mais d’une autre manière : pendant
quelques jours en août 2010, le fond de leur site internet était composé d’un
double arc en ciel, et de plusieurs vaches (les « égéries » de la marque) qui
reprenaient les expressions du mème original. En plus d’avoir su être plus
réactifs, l’utilisation du mème internet est plus subtile que dans les deux cas
précédents, et apparaît plutôt comme un clin d’oeil vers la vidéo originale que
comme une copie commerciale.
Cependant, un détail est de taille : la marque n’avait pas demandé l’autorisation
de Paul Vasquez. Certes, un double arc en ciel est un phénomène naturel et
n’appartient à personne. Cependant, les phrases utilisées (« Double Rainbow all
the way », par exemple) ont été dites par ce dernier dans la vidéo, et sont en
quelque sorte le « slogan » du mème internet. Et bien que Paul Vasquez n’ait pas
posé de copyrights sur ces expressions, il est évident que la marque utilise son
image et celle de sa vidéo, sans son autorisation.
Dans une interview conduite par Austin Carr de Fastcompany.com28, il explique :
« So I got on my Facebook, and was telling my fans, That's not cool – they
should've just asked me. And I didn't tell them to take it down. And then they took
it down without asking me! And you know what? I really liked the website – I just
wish they had talked to me! They didn't ask me to put it up, and they didn't ask me
to take it down. It was like, Come on, have a little bit of consideration. » Et comme
on pourrait si attendre, la plupart des internautes ont pris son parti. Un buzz mitigé
donc, de la part de Ben & Jerry’s.
28
« Double Rainbow Guy goes all the way with Microsoft for Windows Live Commercial », Austin
Carr, Fastcompany.com http://www.fastcompany.com/1686590/double-rainbow-guy-goes-all-way-microsoft-
39
windows-live-commercial
40. Campagne HipChat Campagne Virgin Media
40
c. Quand les mèmes internet sortent de la toile
Certaines marques ont pris le risque d’utiliser les mèmes internet jusque dans des
campagnes IRL (littéralement : In Real Life, c’est à dire dans la vraie vie). C’est
notamment le cas de Virgin Media, qui a utilisé le Success Kid dans une
campagne d’affichage en février 2012. Le slogan disait, en substance : « Tim vient
de réaliser que ces parents recevaient les chaînes TV en HD sans payer plus ».
Le message concrétise tout à fait le symbole du mème en question : le succès.
Hip Chat, une plateforme de messagerie instantanée, a choisi d’utiliser le mème
« Y U NO Guy », un des ragecomics les plus connus. Il était représenté dans une
campagne d’affichage de 4 semaines, avec le slogan « Y U NO USE
HIPCHAT ? ». Encore une fois, l’utilisation du mème est en adéquation avec la
signification du mème original. Cette campagne fut un franc succès, puisque la
marque a vu son trafic augmenter subitement, et a gagné de nombreux nouveaux
clients.
Ces deux campagnes partagent une même caractéristiques : elles gardent l’esprit
amateur des mèmes internet. Les images n’ont pas été embellies, ni mises en
scène ; ainsi, elles ressemblent à n’importe quelle autre version de ces mèmes
que l’on pourrait trouver sur internet. Cela donne un côté humain à la publicité :
l’idée que derrière ces grosses entreprises, il existe des individus qui, dans le
département marketing, passent aussi leurs journées à faire défiler les mèmes
internet sur 9gag… Et cela donne un ton humoristique qui créée un véritable lien
vers la cible.
41. 41
3. Analyse de la stratégie
L’objectif final d’une entreprise qui lance une nouvelle campagne de
communication, c’est de vendre. Cependant, il existe très peu de cas dans
lesquels on peut expliquer une augmentation des ventes seulement par une
publicité, puisque la publicité y contribue de manière indirecte. Les objectifs d’une
publicité sont de trois ordres : cognitif, affectif et conatif29. L’utilisation de mèmes
internet dans la publicité se fait dans un objectif affectif, puisque les marques
cherchent ainsi à créer un lien privilégié avec leur cible, et à se donner une image
jeune, moderne, fun, etc. Ces publicités jouent sur un registre émotionnel, et
permettent de créer un imaginaire autour de la marque, un univers. Leurs effets
sont difficiles à mesurer, puisqu’elles n’ont pas nécessairement un effet direct sur
les ventes. Le meilleur moyen juger de l’efficacité de ce type de publicités est donc
de conduire une étude sur l’image perçue par la cible.
Dans la majorité des cas, l’utilisation de mèmes internet se fait dans le cadre
d’une stratégie one-shot30 (comme Glacéau, Virgin, HipChat, ou encore Purina),
dont l’objectif est de créer le buzz autour de la marque. Cependant, dans d’autres
cas, cette décision est prise dans le cadre d’une réelle stratégie.
Ainsi, la réappropriation de mèmes internet dans la publicité peut être justifiée au
sein de trois « types » de stratégies à la fois différentes et complémentaires : le
marketing viral, la communication digitale, et le native advertising. La partie
suivante expliquera les objectifs et les caractéristiques des stratégies citées, et en
quoi l’utilisation de mèmes internet en tant que contenu permet de les consolider.
a. Communication digitale, par le marketing viral
i. Communication digitale
La communication digitale, c’est d’abord la numérisation des supports
d’information. Mais au-delà de cela, c’est une stratégie dans laquelle la
communication d’une entreprise agit sur trois dimensions : le web, les médias
sociaux, et le mobile. Il s’agissait au départ de mettre en ligne des sites Web
29 Cognitif : faire connaître la marque et/ou le produit. Affectif : faire aimer la marque. Conatif : faire
agir la cible.
30 One shot : une campagne publicitaire destinée à n’être utilisée qu’une seule fois
42. corporate, puis de rentre l’information plus vivante et interactive avec les médias
sociaux, et enfin de la rendre plus familière et accessible, grâce au mobile.
Aujourd’hui, il est quasiment incontournable pour une marque destinée au grand
public d’élaborer une stratégie propre en matière de communication digitale. Être
présent sur les réseaux sociaux, c’est une chose : encore faut il y être actif, réactif,
et proposer du contenu pertinent pour se différencier des autres acteurs présents.
En effet aujourd’hui toutes les marques sont plus ou moins présentes sur le
marché digital : elles ont toutes leur site internet, leurs pages sur différents
réseaux sociaux, etc. Dans ce cas, comment attirer l’attention des internautes,
noyés par la masse d’information ? Une solution pourrait être le marketing viral :
proposer un contenu à forte viralité (une vidéo, une image, un jeu) dans l’objectif
que les internautes le partagent d’eux mêmes.
42
ii. Marketing viral
Le marketing viral est une technique dont l’objectif et de promouvoir une
entreprise, ou ses produits, à travers un message qui se diffuse largement d’une
personne à une autre. Ce sont les destinataires de l’offre qui permettent la
diffusion de ce message : aujourd’hui, cela se fait via le bouche à oreille, les
réseaux sociaux, les forums, etc. La particularité de ce type de marketing est
qu’ainsi, les consommateurs deviennent les principaux vecteurs de la
communication de la marque. Il concentre sous ses différentes formes les trois
objectifs de la publicité : le cognitif, l’affectif et le conatif.
Les avantages de ce type de marketing sont les suivants : une diffusion à grande
échelle qui fait gagner en visibilité, une amélioration de la notoriété et de l’image
de marque (a priori… car une marque n’est jamais à l’abri d’un mauvais buzz), et
l’accès à une cible peu réceptive aux médias traditionnels (c’est à dire télévision,
journaux).
Certains risques sont que, premièrement, il n’existe pas de « recette magique »
pour créer un contenu viral : malgré tous les efforts possibles, on ne peut contrôler
les consommateurs et leur volonté à partager ou non un contenu. Ensuite, une
marque n’est jamais à l’abri du détournement de son message.
43. Il est important de souligner le fait qu’une vidéo virale n’est pas un mème. Elle fait
partie d’un mème, c’est à dire d’un groupe de différents contenus. En effet, un
contenu n’a de valeur mimétique que grâce à ses dérivés. Cependant, les mèmes
internet partagent les caractéristiques du contenu viral, et du marketing viral, à
plusieurs niveaux : ils se diffusent largement, sans effort de la part du créateur, et
peuvent être détournés.
Et puisque le principe fondamental du mème internet est son caractère viral et sa
capacité à être largement diffusé et détourné, alors l’adopter en tant que contenu
semble un choix tout à fait logique lorsque la marque opère une stratégie dont les
effets recherchés sont justement la viralité et la participation de sa cible.
43
b. Brand content, native advertising et newsjacking
Le brand content désigne « les contenus produits par une marque à des fins de
communication publicitaire et d’image »31. Cela désigne en général des contenus
éditoriaux (conseils, articles de blog, interviews, reportages...) proposés en ligne,
mais peut également prendre la forme d’autres types de contenus, comme des
jeux, vidéos, images, etc. Les objectifs peuvent être d’affirmer une image de
marque, un positionnement, de justifier son expertise ou encore de générer du
trafic.
Le native advertising est une forme de brand content32. Il s’agit d’une sorte de
publicité où les marques proposent des contenus informatifs ou divertissants créés
par elles. L’objectif n’est pas de parler de la marque ou du produit : simplement
d’intéresser la communauté ciblée par la marque. C’est donc du brand content,
mais qui ne parle pas forcément de la marque. Cela permet aux marques de
créer un imaginaire commun avec leurs consommateurs, dans différents objectifs :
créer des défenseurs de la marque parmi eux, générer une audience fidèle,
gagner en influence, et mieux comprendre sa cible (en fonction de ce qu’elle a
31 Définition « Brand Content », Définitions Marketing : http://www.definitions-marketing.
com/Definition-Brand-content
32 RAPHAEL Benoît, « Pourquoi le brand content et native advertising sont des chances pour les
médias, les marques... et les consommateurs », benoitraphael.com, 2013
http://benoitraphael.com/2013/12/pourquoi-le-brand-content-et-native-advertising-sont-des-chances-
pour-les-médias-les-marques.-et-les-consommateurs.html
44. tendance a partager ou non, par exemple). Ainsi, la publicité est faite dans une
optique d’empathie et d’interaction avec l’audience, plutôt que suivant un
traditionnel schéma descendant. Les exemples de native advertising sont
nombreux : on peut notamment citer les vidéos de Redbull sur le sport extrême,
ou les vidéos d’Oasis citées plus tôt.
Dans le native advertising, on peut constater une tendance : le newsjacking. Il
s’agit du fait de capitaliser sur la popularité d’une actualité pour promouvoir sa
marque. Cela se fait notamment par le détournement et la parodie : c’est d’ailleurs
quelque chose qu’Oasis fait très bien : par exemple, elle a tiré profit de Roland
Garos (évènement n’ayant – a priori – rien à voir avec ses produits) pour poster le
tweet suivant « Roland Poiros, the place to fruit pour tous les amoureux de la
raquetsche ! #BeFruit #RG2014 ». Surfer sur une actualité et se l’approprier pour
y apporter la touche de la marque, c’est une pratique qui fait sourire les
internautes, et qui fonctionne – il suffit de voir le nombre de partages, de retweet
et de favoris sur chacun des posts de ce type. En revanche, il faut savoir réagir le
plus vite possible.
Un mème internet est comme une actualité : il se propage rapidement et au sein
d’une large population, et il est éphémère. Ainsi, la réappropriation d’un mème
internet dans un message publicitaire (au sens large : il peut s’agir d’une vidéo,
d’une image, d’un tweet... cela dépend également de la nature du mème original)
s’inscrit dans la même logique de newsjacking, de native advertising, et donc de
brand content.
Pour conclure, l’utilisation de mèmes internet dans la publicité peut se faire dans
le cadre de différentes stratégies : un one-shot pour faire le buzz, ou une stratégie
digitale qui justifie cette pratique. Dans ce dernier cas, les objectifs recherchés
sont ceux du marketing viral et du brand content : la création ou l’affirmation de
l’imaginaire autour de sa marque, et la volonté de voir son contenu être partagé à
grande échelle pour gagner en visibilité, en attachement émotionnel et en action
de la part de sa cible.
Cependant, on peut remarquer qu’en se risquant sur le terrain des mèmes
internet, les marques peuvent se heurter à deux types de problèmes, du moins
être confrontées à deux types d’interrogations : le contexte légal de cette
44
45. réappropriation (est-ce qu’une marque peut, au même titre qu’un internaute,
détourner un mème internet à des fins lucratives ?), et en terme d’image de
marque (est-ce que la cible va apprécier cette allusion faite à la culture internet?).
La partie suivante expliquera donc dans quelle mesure la publicité a une légitimité
à réutiliser un mème internet selon ces deux critères.
45
46. III) Légitimité
46
1. Légale
Juridiquement, le mème internet est un cas particulier. Alors qu’il est souvent créé
anonymement et collectivement, à qui appartient-il ? Peut-il être utilisé à des fins
lucratives ? L’article L. 123-3 du Code de la propriété intellectuelle (voir Annexe
n°2) stipule que « Pour les oeuvres pseudonymes, anonymes ou collectives, la
durée du droit exclusif est de soixante-dix années à compter du 1er janvier de
l’année civile suivant celle où l’oeuvre a été publiée ». Ainsi, un mème étant une
oeuvre créative comme une autre, il serait illégal de la réutiliser et la diffuser avant
la durée indiquée, du moins sans accord du/des créateur(s). Cependant, le
principe même du mème internet étant sa reproduction et son adaptation, cette loi
s’avère être obsolète.
a. Flou juridique : copyright et droit d’auteur
Selon certains, la notion même de « propriété » ne peut être appliquée à des
objets aussi collectifs que des mèmes. D’autres soulignent le fait que derrière
chaque même il y a, comme derrière chaque oeuvre créative, quelqu’un qui a créé
le mème original, ou son contenu sous-jacent. Tant qu’ils sont admissibles à la
protection du droit d’auteur (ou copyright), cette personne possède tous les droits
sur le mème. Ainsi, chaque reproduction de ce mème serait potentiellement une
infraction de ces droits (si faite sans la permission du propriétaire), et pourrait
donner lieu à une plainte.
Les mèmes peuvent-ils être soumis au droit d’auteur, ou au copyright ? Dans les
pays de droits civils comme de Common law, la condition fondamentale pour
qu’une oeuvre intellectuelle puisse être protégée est l’originalité. Cependant,
cette notion même d’originalité diffère selon le pays : on considère dans les pays
de droits civils (comme en France) que l’originalité d’une oeuvre est établie dès
lors qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. Dans les pays de
Common law en revanche (comme en Grande Bretagne) on considère qu’une
oeuvre est originale si elle n’a pas été copiée, et que l’auteur a investi du travail,
47. de la compétence ou un certain effort dans la réalisation de celle-ci. (Laura
Dorstter, 2009)33.
La plupart des éléments considérés comme des mèmes (des slogans ou des
citations par exemple) ne sont dans tous les cas pas soumis à la protection du
droit d’auteur. Cependant, il est plus difficile de juger des mèmes comme le Nyan
cat ou le Keyboard cat, qui sont plus ou moins des oeuvres originales. Alors que
certains considèrent qu’un mème internet est en lui-même une oeuvre créative
originale, d’autres considèrent que l’idée d’originalité n’a guère de sens pour ces
phénomènes, car leur statut de mème n’émerge qu’au fil des réutilisations
collectives.
Les créateurs revendiqués des deux mèmes cités précédemment ont pu poser
des copyrights sur leurs oeuvres, bien qu’ils ne fussent pas réellement les seuls
auteurs de celles-ci : le propriétaire des droits du Nyan cat par exemple,
Christopher Orlando Torres, n’a créé en réalité que de la partie visuelle du mème.
La musique entêtante « Nyanyanyanyanyan » (qui est – selon moi – au moins
aussi responsable du succès du mème que la partie visuelle) a été créée par le
compositeur Daniwell trois années plus tôt. Et ces deux éléments (l’image et le
son) ont été rassemblés dans une vidéo par une troisième internaute, Sara
Reihani. C’est à partir de là que le phénomène a connu son essor.
Mais le fait même que Christopher Orlando
Torres pose un copyright sur le Nyan cat semble
problématique. Nombreux sont ceux qui pensent
que les mèmes internet appartiennent au public,
et qu’il serait insultant de réclamer une propriété
sur la qualité mimétique de ces oeuvres. La
valeur culturelle du Nyan cat ne vient pas
seulement de Torres : elle vient des masses de personnes qui se sont approprié
cette idée pour créer à partir d’elle. Aussi, ce serait un affront envers cette
communauté de personnes que de se proclamer propriétaire du mème.
33 DORSTTER Laura, «Le concept d’originalité dans la législation française du droit d’auteur et
dans celle du copyright anglais », m2bde.u-paris10.fr, 2009
47
Le mème Nyan cat
48. De plus, il n’est pas toujours facile de traquer ou de prouver la propriété d’un
mème, le créateur de sa première instance. D’autant plus pour ceux qui viennent
de sites comme 4chan, où l’anonymat et le non-archivage ne simplifient pas la
tâche.
Toutes ces subtilités rendent le statut juridique de la propriété d’un mème internet,
(et de sa légitimité) encore plus vague. Et si certains mèmes sont soumis (ou
pourraient être soumis) au droit d’auteur, ils n’en restent pas moins réutilisés,
remixés et partagés par des milliers d’individus.
48
b. Fair use et réappropriation commerciale
i. Notion de fair use
A partir du moment où un mème internet est soumis à un copyright, la légalité ou
non de la réappropriation de celui-ci dépend de la notion de fair use. Le fair use
(que l’on pourrait traduire par l’usage loyal, raisonnable ou acceptable) est un
ensemble de règles de droit, d’origine législative et jurisprudentielle, qui apportent
des limites et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son oeuvre. Il
essaie de prendre en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des droits
d’auteur et l’intérêt public, pour la distribution de travaux créatifs, en autorisant
certains usages qui seraient autrement considérés comme illégaux.
Le Copyright Act (une loi sur le droit d’auteur) énumère quatre facteurs pour
déterminer si l’utilisation d’une oeuvre protégée relève du fair use ou non : le but et
le caractère de l’utilisation, la nature de l’oeuvre protégée, l’importance de la partie
utilisée par rapport à l’oeuvre dans son ensemble, et l’effet de l’utilisation sur le
marché potentiel ou sur la valeur de l’oeuvre.
Ainsi, la réappropriation collective d’un mème internet entre dans la catégorie du
fair use, puisque les individus participent à sa diffusion, à sa richesse mimétique,
et y contribuent artistiquement. Cependant, la réappropriation commerciale d’un
mème internet n’en relève probablement pas, puisqu’il est utilisé à des fins
lucratives. Si les mèmes internet sont un terrain de jeux pour les internautes, les
marques doivent prendre leurs précautions avec eux.
49. La légalité de la réappropriation d’un mème dépend également du bien vouloir de
son créateur. Nombreux sont ceux qui autorisent leur oeuvre à être distribuée et
modifiée librement, dans la mesure où ils ne veulent pas empêcher des individus
d’en avoir une utilisation créative. Cependant, ils n’autorisent pas la
réappropriation lucrative de leur travail pour autant. Il existe d’ailleurs des licences
comme Creative Commons qui permettent au propriétaire d’une oeuvre d’en
interdire l’usage commercial.
49
ii. Réappropriation commerciale
En 2012, les créateurs revendiqués des mèmes Nyan cat et Keyboard cat,
respectivement Christopher Orlando Torres et Charles Schmidt, ont porté plainte
contre Scribblenauts, un jeu vidéo créé par Warner Bros (WB) et 5th Cell Media
(voir Annexe n°3). Ces entreprises étaient accusées d’avoir inclus ces mèmes
internet dans leur jeu sans aucune licence ou autorisation. En voyant le succès
phénoménal qu’ont pris le Nyan Cat et le Keyboard Cat, le géant WB y a vu une
opportunité, et s’est servi des personnages à la fois dans le gameplay du jeu
vidéo, mais les ont également mis en avant dans des vidéos pour promouvoir le
jeu en question.
Les créateurs justifiaient leur plainte en disant que la réappropriation des mèmes
par WB aurait pour conséquence de cause la confusion chez le public, voire de le
décevoir. Au final, la dispute a été résolue à l’amiable : les personnages resteront
dans le jeu vidéo, mais les créateurs recevront dorénavant une compensation
financière pour celle-ci.
Le plus intéressant dans cette affaire n’était pas le procès en lui-même, mais la
réaction du public à son sujet. Les réactions sont diverses. Le premier cas de
figure est de considérer que ces mèmes internet n’appartiennent à personne
(malgré le copyright), ni même à Torres ou Schmidt. Ainsi, la réappropriation des
personnages par Scribblenauts est tout à fait légitime. D’autres considèrent que
ces mèmes sont la propriété de la communauté d’internautes qui leur ont donné
cette importance, et qu’il n’est pas normal qu’une marque les réutilise à des fins
commerciales. Enfin, le dernier cas de figure est de considérer que, ces mèmes