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Comment créer un contexte social favorable à l'intelligence collective et l'innovation thomas bonnecarrere
Comment créer un contexte social
favorable à l’intelligence collective et
l’innovation ?
Thomas Bonnecarrere
Comment créer un contexte social
favorable à l’intelligence collective et
l’innovation ?
Analyse de l’esprit collectif évolué et de l’émergence des
nouvelles idées au sein d’un groupe d’individus
Intelligence Collective, Innovation, Motivation, Société,
Pouvoir, Information, Communication, Psychologie Sociale
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Cette création est mise à disposition selon le Contrat
Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported disponible en ligne
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/ ou par courrier postal à
Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California
94105, USA.
La connaissance est faite pour être
partagée. L’auteur vous encourage à
diffuser ce document.
Illustration de la couverture : Water brushes par Dirk Wüstenhagen
A Bruno, pour son éternel enthousiasme et son soutien ainsi qu’à tous
les amoureux du partage de la connaissance
Fondateur de l’IFIC International (Institut Francophone de
l’Intelligence Collective)
Nous sommes en train de vivre une révolution extraordinaire dont nous
avons à peine conscience. Le chaos dans lequel nous vivons préfigure de
grands changements et des étapes d’adaptation sans précédents dans l’histoire
de l’homme. La complexité et l’incertitude de notre environnement font naître
de nouvelles opportunités qui, si elles sont saisies, peuvent permettre à nos
sociétés de créer de nouveaux modes d’organisation à mêmes de relever le
formidable défi qui nous unit tous en ce début du 21ème siècle. Je suis
résolument optimiste quant à notre avenir.
Il est cependant nécessaire pour réaliser ces transformations de faire appel à
l’ensemble de nos savoir-être et savoir-faire. La cognition collective ou le
savoir-faire ensemble devient un enjeu majeur pour nos économies de demain.
La mobilisation de l’intelligence collective développe une force réellement
capable de penser « hors du cadre » et d’imaginer « d’autres possibles ». Cette
mobilisation des intelligences et des volontés ne peut cependant s’effectuer
qu’en réformant nos schémas mentaux et donc nos anciennes chaînes de
commandement de nos systèmes pyramidaux qui privilégient les savoirs issus
du « haut » et délaissent une grande quantité d’autres intelligences du « bas ».
C’est l’objectif poursuivi par Thomas dans cet ouvrage. J’ai dévoré ce
concentré d’analyse sur les phénomènes et mécanismes psychologiques,
cognitifs et sociologiques concernant l’émergence d’un nouveau mode de
pensée. En proposant un nouveau paradigme à propos de la mobilisation et du
développement de l’intelligence collective et de l’innovation, il tente de donner
des clés de compréhension pour appréhender ces phénomènes collectifs.
J’ai trouvé dans ce livre un très beau support d’inspiration et de réflexion
pour tous ceux qui souhaitent développer ces thématiques d’intelligence et
Préface de Philippe CLEMENT
d’innovation. Thomas est un aventurier de la psyché groupale et voyage dans
des zones non conscientes et en émergence. C’est un chercheur et c’est donc
tout naturellement que je lui ai proposé d’intégrer l’IFIC, afin d’allier nos
talents et compétences et explorer les nouvelles voies prometteuses qui
s’offrent à nous, grâce à notre réseau de chercheurs et d’experts
internationaux.
En espérant que ce livre vous permette également de nourrir vos propres
réflexions et vous donne envie, à vous aussi, de participer à cette extraordinaire
aventure qu’est l’intelligence collective.
IFIC : http://www.institutific.com
le« La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais
d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans
tous les recoins de l’esprit »
John Maynard Keynes
« La créativité individuelle peut être détruite par une incitation au
conformisme...Les injonctions à agir rationnellement inhibent les
aptitudes à se comporter de manière créative »
Harold J. Leavitt
I. Réflexions initiales 1
II. Analyse de quelques concepts fondamentaux 11
1. Analyse du concept d’individu 11
2. Analyse du concept de groupe 17
A. L’identité sociale et les relations intergroupes 18
B. Les statuts et rôles 21
C. La cohésion 22
D. Les interactions 23
E. Les décisions de groupe 27
III. Réflexions et analyses approfondies 31
1. L’organisation comme individu 31
2. De la nécessité du dialogue...et du conflit dans l’innovation 32
3. Le leader du groupe et son rôle au sein de celui-ci 34
4. La motivation intrinsèque comme moteur de l’innovation 42
5. Le charisme, une construction sociale 44
6. Pourquoi et comment influencer le leader afin de produire une
innovation nécessaire mais non sollicitée par la hiérarchie ? 45
IV. Le management de l’intelligence collective, des connaissances,
de l’ignorance et des antagonismes 50
1. Le management de l’intelligence collective 50
2. Les communautés de pratique 52
3. Exploiter la mémoire, l’analyse et le réseau 53
Sommaire
A. La mémoire de l’organisation 53
B. Le réseau 55
C. L’analyse 59
D. Prévenir et manager les antagonismes 62
4. Valoriser les échecs pour désinhiber les individus et optimiser
le processus d’innovation 72
5. De la nécessité de l’anonymat pour favoriser la proposition de
nouvelles idées et lutter contre la polarisation des attitudes 73
Conclusion 77
Bibliographie 78
Réflexions initiales
Nous allons à travers ce document tenter d’analyser en détail quels
phénomènes et mécanismes psychologiques, cognitifs et sociologiques entrent
en jeu dans la génération du processus d’innovation et l’émergence de
nouvelles idées au sein d’un groupe d’individus1
.
Nous partirons d’un premier constat faisant émerger un paradoxe au niveau
des « effets collectifs » issus des groupes d’individus, que nous nommerons
« paradoxe groupal ». L’individu est ainsi plus intelligent en groupe
(génération d’une « intelligence collective2
», de l’innovation/créativité qui
constituent des effets bénéfiques). Cependant, l’individu plongé dans un
groupe est également amené à perdre ses facultés intellectuelles et réflexives
de par des phénomènes inconscients comme l’influence sociale3
, le
conformisme4
, la preuve sociale5
, la contagion sociale6
, l’état agentique7
ou
1 Nous précisons que la notion de groupe dans notre analyse fera référence à
un groupe « secondaire » (un groupe structuré à l’intérieur d’une
organisation sociale où les relations sont davantage déterminées par des
codes et où les membres ont entre eux des relations plus ou moins imposées
pendant la durée où ils sont ensemble) et « formel » (les membres y ont une
place assignée et des rôles prescrits notamment par une structure
hiérarchique). Nous rajouterons que certaines parties de ce document seront
plus adaptées aux organisations/entreprises, même si elles peuvent très bien
être transposées dans les autres genres de groupes humains. Enfin, nous
soulignerons que certaines parties feront références à des relations intergroupes
(notamment dans la notion de « management des antagonismes ») qui feront
en fait référence à des sous-groupes générés au sein du groupe global que nous
nous proposons d’étudier.
2 Nous analyserons ce concept prochainement.
3 « Processus régissant les modifications de perception, de jugement,
d’opinion, d’attitude ou de comportement d’un individu, provoquée par sa
connaissance des perceptions, jugements, opinions d’autres individus ».
(Doise)
1
la pensée groupale8
qui influencent son comportement, ses attitudes et donc sa
perception vis-à-vis de son environnement et de lui-même. Un individu en
groupe est donc pour résumer à la fois plus intelligent (combinaison de toutes
les intelligences pour créer une forme de connaissance plus évoluée) mais aussi
plus « stupide » (il perd ses facultés critiques et réflexives au profit de
l’acceptation de normes et règles imposées par le groupe et d’une opinion
majoritaire qui n’a pas forcément toujours « raison » (cf. expérience de Asch
sur le conformisme9
).
L’individu plongé en contexte social ou groupal devient selon notre thèse
une partie intégrante de ce que nous appellerons un esprit collectif (esprit basé
4 « Attitude sociale qui consiste à se soumettre aux opinions, règles, normes,
modèles qui représentent la mentalité collective ou le système des valeurs du
groupe auquel on a adhéré, et à les faire siens » (Mucchielli) ; « Modification
de croyances ou de comportements par laquelle un individu répond à divers
types de pressions d’un groupe, en cherchant à se mettre en accord avec les
normes ambiantes par l’adoption de comportements approuvés socialement ».
(Fischer)
5 « Habituellement, quand un grand nombre de gens fait quelque-chose, c’est
que c’est la meilleure chose à faire ». (Cialdini)
6 « Phénomène par lequel des sentiments, des opinions ou des comportements
initialement exprimés par un ou quelques individus se propagent à tout groupe
dans un contexte social donné ». (Fischer)
7 Ce phénomène a été étudié par Milgram dans sa célèbre expérience sur la
soumission à l’autorité. Dans un contexte de soumission face à une autorité
légitime, l’individu se déresponsabilise de ses comportements et est plus enclin
à poursuivre ceux-ci si la source d’autorité lui assure qu’elle endosse l’entière
responsabilité les concernant. Il devient, selon Milgram, l’« agent exécutif
d’une volonté étrangère ».
8 « Tout se passe comme si les rapports d’amitié, la solidarité ou l’esprit de
corps qui règnent dans les groupes incitaient les individus à adopter cette
pensée non critique et groupale au détriment de la pensée indépendante et
critique. Elle y sera source d’illusions, d’impudences et d’idées toutes faites. Et
aura pour résultat une moindre efficacité intellectuelle, une moindre prise sur
la réalité, un affaiblissement des jugements moraux ». (Moscovici)
9 Consultable à cette adresse : http://www.youtube.com/watch?
v=pUC3d-Qu3KU
2
sur la fusion de l’ensemble des esprits individuels présents), inspiré de
l’expression « âme collective » mise en évidence par les travaux de Gustave
Lebon10
et Emile Durkheim11
. Nous partirons du principe dans notre analyse
que le groupe constitue une entité supérieure à la somme des individus qui
le composent. Nous garderons également à l’esprit que pour favoriser le
processus d’innovation et d’intelligence collective au sein d’un groupe, il faut
à tout prix éviter une uniformisation et polarisation12
des attitudes des
individus pouvant être générée par une grégarisation13
de ceux-ci.
Nous allons distinguer deux sortes d’esprit collectif générés par un
contexte de groupe. Le premier, que nous nommerons esprit collectif
primaire n’est pas vraiment favorable à l’émergence de l’innovation et de
l’intelligence collective car basé sur la soumission, l’acceptation de
l’existant et l’absence de conflit cognitif (favorisant la perte de conscience et
de réflexion individuelle). Le deuxième que nous nommerons esprit collectif
évolué est quant à lui favorable à la remise en cause de l’existant, à la
proposition et prise en compte de nouvelles idées, à l’émergence d’un
10 « Évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la
personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion
des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer
immédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractères
de l’individu en foule. Il n’est plus lui-même, il est devenu un automate que sa
volonté ne guide plus ». (Lebon)
11 « En s’agrégeant, en se pénétrant, en se fusionnant, les âmes individuelles
donnent naissance à un être, psychique si l’on veut, mais qui constitue une
individualité psychique d’un genre nouveau ». (Durkheim)
12 Phénomène par lequel les opinions des individus d’un groupe deviennent de
plus en plus extrémistes au fur et à mesure que l’attention de ces derniers se
focalise sur les différences qu’ils perçoivent entre leur propre groupe et les
autres.
13 Tendance instinctive qui pousse des individus d’une même espèce à se
rassembler et à adopter un même comportement (source :
http://www.cnrtl.fr/definition/gr%C3%A9garisation).
3
« conflit cognitif » et donc à l’innovation. Nous allons donc étudier au travers
de ce document comment manager un groupe d’individus afin de parvenir à
générer un contexte favorable à l’innovation via la formation d’un esprit
collectif évolué14
.
Voici en résumé les différentes caractéristiques de ces deux types d’esprit :
Esprit collectif primaire Esprit collectif évolué
Peu de conflit cognitif. Le groupe
est régi par une majorité établie
exerçant une forte pression sur les
individus (pression majoritaire) via
des normes15
rigides favorisant une
uniformisation des comportements
et attitudes.
Conflit cognitif permanent
(proposition incessante de nouvelles
idées par les individus). Les
individus analysent, critiquent et
remettent en cause en permanence
la majorité et les représentations
sociales16
. L’influence minoritaire
est favorisée et encouragée dans le
groupe par des normes souples
favorisant l’impact social17
. Les
14 Nous préciserons qu’il peut bien entendu y avoir d’autres formes d’esprit
collectif, dont les caractéristiques empruntent à la fois au primaire et à
l’évolué. Nous nous focaliserons cependant ici uniquement sur les deux esprits
collectifs décrits dans ce document, notre but étant d’analyser comment
optimiser les processus d’intelligence collective et d’innovation, véritablement
favorisés au sein d’un esprit collectif évolué.
15 « Type de pression cognitive et psychosociale se référant à des valeurs
dominantes et des opinions partagées dans une société. Elle s’exprime sous
forme de règles de conduite plus ou moins explicites en vue d’obtenir des
comportements appropriés socialement ». (Fischer)
16 « Système de valeurs, de notions et de pratiques relatives à des objets, des
aspects ou des dimensions du milieu social qui permet non seulement la
stabilisation du cadre de vie des individus et des groupes mais qui constitue
également un élément d’orientation de la perception des situations et
d’élaboration des réponses » (Moscovici). Jodelet résume ce concept par « une
forme de pensée sociale ».
4
individus produisent de l’analyse,
de la réflexion, de la critique par
rapport aux différentes normes et
rôles sociaux18
ainsi que des idées
nouvelles. Ils conservent leur
individualité, leurs capacités
cognitives et inventives et disposent
d’une vision /perception élargie
Union idéologique prônée au sein
du groupe (les individus obéissent à
une idéologie dominante) et division
physique (individu isolé) qui a pour
effet de rendre la divergence
d’opinion difficile
Diversité idéologique encouragée
pour optimiser la lecture collective19
et union physique (solidarité au sein
des membres) encouragée mais non
forcée qui a pour but de faciliter la
divergence d’opinion
Déviance20
proscrite. Effet de
polarisation21
favorisé
Déviance encouragée. Effet de
polarisation atténué
Pas de management de
l’intelligence collective
Management de l’intelligence
collective
17 Nous analyserons cette théorie prochainement.
18 Nous analyserons prochainement comment favoriser cette prise de recul sur
les rôles par les individus, indispensable pour éviter une intériorisation trop
forte de ceux-ci pouvant potentiellement générer des effets fortement négatifs
(cf. expérience de Zimbardo sur la prison de Stanford consultable ici :
http://www.youtube.com/watch?v=FkmQZjZSjk4).
19 Nous analyserons cette pratique prochainement.
20 « Résistance individuelle aux pressions sociales, qui s’exprime par le
développement d’une motivation négative liée au sentiment d’une perte de son
indépendance et qui se traduit par une tendance à vouloir retrouver sa liberté
perdue ». (Fischer)
21 Nous analyserons ce concept prochainement.
5
L’information et sa maîtrise est le
fruit de l’exercice de l’autorité22
(provoque une uniformisation des
perceptions et donc des réalités
individuelles
L’information est pluraliste
(permet une diversité des
représentations et réalités) et sa
maîtrise est pratiquée
collectivement (chaque membre est
encouragé à avoir un rôle dans ce
processus)
La communication
interindividuelle est restreinte ou
mal optimisée et est basée sur une
conception « technique »23
.
Structure de communication24
centralisée
La communication
interindividuelle est largement
favorisée. Les individus sont
encouragés à dialoguer et échanger
des points de vue afin d’optimiser la
négociation et la cohabitation25
au
sein du groupe (conception
anthropologique de la
communication). Structure de
communication décentralisée
22 Selon Dominique Wolton, fondateur et directeur de l’Institut des Sciences
de la Communication du CNRS (ISCC), la maîtrise de l’information est
fondamentale aussi bien pour les pouvoirs que pour les contre-pouvoirs à
l’échelle du monde car elle permet de créer une représentation de la
réalité. Elle ne joue cependant pas un rôle automatique dans les rapports de
force car il reste un nombre important de résistances chez les récepteurs.
Wolton parle ainsi de « récepteur-acteur ».
23 Une définition de ce terme sera donnée prochainement.
24 Nous analyserons ce concept prochainement.
25 Selon les analyses de Wolton, Libaert et d’Almeida que nous présenterons
prochainement.
6
Culture basée sur des certitudes
profondes et la non remise en
question des savoirs existants
considérés comme « absolus »
Culture de l’ignorance et de
l’étonnement au sein du groupe
(recherche constante de nouveaux
problèmes et de solutions26
)
Autorité du leader basée sur la
fascination, le charisme et la peur.
Forme de pouvoir abusif27
Autorité du leader basée sur les
compétences, la considération et le
respect. Forme de pouvoir modéré
Style de management et de
leadership autocratique et
transactionnel28
Style de leadership consultatif
et transformationnel et style de
management puisant dans le leader
social, l’intégrateur et le
démocratique-persuasif
Système de fonctionnement basé
sur l’obéissance29
et la
récompense/sanction (motivation
extrinsèque) et la compétition
intragroupe bridant l’imagination et
la créativité des individus
Système de fonctionnement basé
sur l’engagement volontaire,
l’autonomie, la maîtrise et le but30
(motivation intrinsèque) et la
coopération intragroupe débridant
l’imagination et la créativité des
individus
Pas de management des
antagonismes31
Management des antagonismes
26 Selon le cycle de « question-réponse » mis en évidence par Bernard Besson,
expert en Intelligence Economique que nous analyserons prochainement.
27 Nous définirons cette notion prochainement.
28 Nous aborderons ce concept ainsi que les autres styles de management /
leadership prochainement.
29 « Modification du comportement à travers laquelle un individu répond par
la soumission à un ordre qui lui vient d’un pouvoir légitime ». (Fischer)
30 Selon la définition de Daniel Pink que nous allons étudier prochainement.
7
Groupe soudé par des stéréotypes
et la discrimination32
par rapport aux
individus déviants ou appartenant à un
autre groupe
Groupe soudé par des valeurs
communes, un respect et une écoute
mutuelle
Un exemple d’esprit collectif primaire
Prenons un exemple on ne peut plus explicite d’esprit collectif primaire
qu’est une société totalitaire. Dans ce genre de société (qui est, comme le
souligne Tönnies33
un groupe d’individus ayant pris conscience de lui-même et
qui a décidé de vivre en accord avec un projet collectif), les individus sont unis
autour d’une idéologie forte. La remise en cause de cette idéologie et de ce
fait de l’ensemble des « représentations sociales » est donc proscrite
(condamnée socialement). Le conflit cognitif est ainsi peu favorisé et le
phénomène d’innovation ne peut être généré que très difficilement. Ces
individus, bien qu’étant unis autour d’une même idéologie, sont isolés et
l’individualisme est d’ailleurs fortement prescrit (valorisé socialement). La
solidarité est une valeur qui n’est pas du tout mise en avant au sein de la
société, rendant ainsi difficile la formation de groupes contestataires ou
« divergents » par rapport à l’ordre établi. De plus, l’émergence de nouvelles
idées est d’autant plus difficile que ce genre de société base la plupart de ses
discours sur l’affect/émotion (pathos) comme l’appel à la peur ou au
sentiment d’insécurité et non sur la réflexion (logos). Les individus sont ainsi
habitués à percevoir leur environnement via le prisme de leurs émotions et non
via une approche posée, analytique, critique et réflexive nécessaire à
31 Nous étudierons comment effectuer cette pratique ultérieurement.
32 Nous analyserons ces trois concepts prochainement.
33 Sociologue et philosophe allemand.
8
l’innovation. L’information, qui possède le pouvoir d’« influencer la réalité »
dans l’esprit des individus de par les représentations mentales et les
réflexions qu’elle développe chez eux34
et sa maîtrise n’est pratiquée que
par l’autorité ou des médias (diffuseurs d’information) opérant une
sélection dans celle-ci (manipulation analysée par la théorie de l’« agenda
setting » de McCombs et Shaw35
). Ces diffuseurs n’impliquent pas non plus
les individus dans le processus de collecte, d’analyse, de traitement de
l’information et d’émergence de nouvelles idées. La communication
interindividuelle est restreinte et centralisée, bridant ainsi les processus de
négociation et de cohabitation pouvant potentiellement remettre en cause les
représentations sociales.
Les conflits intergroupes sont exploités par l’autorité pour générer chez
les individus un meilleur « esprit de groupe » et une conformité plus
grande aux normes36
. Les leaders agissent en autocrates, le conflit leur
permettant d’imposer des règles et consignes claires et précises et d’obtenir
un respect des normes plus important37
. Enfin, les individus déviants et
réactants38
ne sont pas intégrés dans les discussions, négociations et
réflexions collectives. Ils sont rejetés voire diabolisés et combattus pour
34 Nous n’irons pas jusqu’à dire « créer la réalité » car comme nous l’avons
vu, l’individu est un être complexe doté de résistances mentales et non un
simple récepteur passif.
35 Selon ces deux chercheurs, les médias de masse (diffuseurs d’information)
exercent un effet sur la formation de l’opinion publique en attirant
l’attention de l’audience sur certains événements et en négligeant d’autres.
De ce fait, ils ne fabriquent pas l’opinion mais l’influencent en orientant la
perception (et donc la « réalité ») des individus de par le choix des
informations traitées.
36 Selon les analyses d’Hinkle et Schopler.
37 Selon les analyses de Fiedler et Chemers.
38 Nous analyserons ces concepts prochainement.
9
maintenir le système en place et la cohésion sociale fondés sur l’ensemble des
règles, normes et valeurs préétablies qui sont imposées aux individus.
Le groupe « idéal39
» dans le cadre d’une stratégie d’innovation est donc un
groupe « ouvert d’esprit » qui se permet d’imaginer une multitude de futurs
possibles et non un groupe qui se focalise uniquement sur une voie,
refusant d’imaginer d’autres possibilités d’évolution.
Pour résumer :
➢ Dans un esprit collectif primaire, le futur du groupe est déterminé
uniquement par le leader, seul maître de l’évolution de celui-ci
➢ Dans un esprit collectif évolué, les membres du groupe ont la
possibilité d’influencer la stratégie organisationnelle et ce, quel
que soit leur statut au sein de celui-ci. Le leader écoute donc les
idées des membres et les prend potentiellement en compte dans la
stratégie et le processus décisionnel
Analysons maintenant de manière détaillée les différents concepts qui
doivent être analysés et pris en compte dans ce processus complexe de création
d’un contexte favorable à l’innovation.
39 Nous employons dans le cadre de cette étude le terme « idéal » pour
qualifier le groupe dont le but est d’accomplir des actions nécessitant de
produire de l’innovation et de l’intelligence collective pour atteindre ses
objectifs. Cette vision visant à innover sans cesse pour faire face à un
environnement en perpétuel changement est, comme nous allons l’analyser,
parfaitement adapté aux enjeux du 21ème siècle. L’esprit collectif primaire est
quant à lui adapté à des groupes dont le seul objectif est la simple production
par les membres de tâches mécaniques et ne nécessitant pas de réflexion de
leur part (vision machiniste et productiviste).
10
II. Analyse de quelques concepts fondamentaux
1. Analyse du concept d’individu
Un individu est un être doté de cognitions40
(croyances, codes moraux,
valeurs41
,...) issues pour la plupart d’une culture42
provenant de son éducation
et de son expérience (composée de succès et d’échecs). Ces cognitions
génèrent ses propres paradigmes43
, sa propre perception et interprétation qu’il
produit sur lui-même ainsi que sur son environnement proche et lointain et de
ce fait sa réalité propre. Il cherche en général à maintenir un équilibre entre
ces différentes cognitions en adoptant une attitude (domaine de la pensée) et
en produisant des comportements (domaine de l’action) conformes à celles-ci.
40 « Connaissance, opinion ou croyance sur l’environnement, sur soi-même ou
sur son propre comportement ». (Festinger)
41 « Principes qui orientent l’action d’un individu, d’un groupe. Elles sont
influencées par les systèmes éthiques, moraux, et religieux qui ont cours dans
le groupe auquel l’individu appartient » (Colmant). Elles constituent un
ensemble cohérent hiérarchisé, sont purement subjectives et varient selon les
cultures. « Les valeurs représentent des manières d’être et d’agir qu’une
personne ou qu’une collectivité reconnaissent comme idéales et qui rendent
désirables et estimables les êtres ou les conduites auxquelles elles sont
attribuées. Elles sont appelées à orienter l’action des individus dans une société
en fixant des buts, des idéaux. Elles constituent une morale qui donne aux
individus les moyens de juger leurs actes et de se construire une éthique
personnelle ». (Fischer)
42 « Processus par lesquels les valeurs, les normes et les aptitudes sont
transmises dans le cadre de la famille et de l’entourage » ou « héritage
social ». (Colmant)
43 Ici dans le sens « représentation du monde ».
11
L’individu possède un soi44
, un idéal de soi et soigne en règle générale sa
présentation de soi45
en société. La perception et l’imagination de l’individu
est ainsi largement influencée par l’ensemble de ses cognitions. Celui-ci a de
fait tendance à enfouir mentalement ses échecs (qui constituent des éléments
peu agréables dans l’esprit de l’individu) et préfère se focaliser sur ses
réussites (mentalement plus faciles à supporter et valorisantes pour son estime
de soi)46
.
Selon le concept d’attribution causale d’Heider, « les individus se
comportent en analystes naïfs ou en scientifiques spontanés en cherchant les
causes inobservables des actions observables ». Une personne utilise ainsi en
règle générale deux types d’explications dans ses jugements intra et
interpersonnels :
– L’explication dispositionnelle, centrée sur les propriétés psychologiques
de l’individu (l’intention, la capacité, la responsabilité,...) ;
– L’explication situationnelle, centrée sur le contexte de l’événement
(caractéristiques de la situation, difficulté de la tâche, chance,...).
44 Selon Fischer, « le Soi ou identité personnelle constitue l’image que nous
avons de nous-même. Ce concept se compose de deux aspects : l’estime de soi
et la conscience de soi. La conscience de soi se distingue elle-même en
conscience de soi personnelle et conscience de soi publique. Une des
expressions de la conscience de soi publique est la présentation de soi qui revêt
dans un certain nombre de cas des formes stratégiques ».
45 Selon Goffman, c’est l’image qu’un individu souhaite donner aux autres.
Elle permet de gérer les relations interindividuelles car elle permet aux autres
de mieux cerner notre identité et de savoir comment ils doivent nous
considérer. Il est important de retenir que l’attitude et le comportement des
individus vis-à-vis de nous dépendent en très grande partie de l’impression
qu’ils ont envers nous.
46 Nous relativiserons toutefois ces propos car la culture de l’individu joue un
grand rôle dans ces phénomènes psychologiques inconscients (les échecs sont
par exemple bien mieux acceptés dans la culture anglo-saxonne).
12
Par nature, un individu adopte dans ses jugements un « biais
d’auto-favoritisme ». Il va ainsi privilégier la plupart du temps les
explications dispositionnelles pour expliquer ses réussites (ex : j’ai réussi
grâce à mon travail/ma persévérance,...) et à l’inverse ses échecs par des
explications situationnelles (ex : si je n’ai pas réussi, c’est à cause des autres,
de la malchance,...). Il choisit donc très souvent les explications qui
l’arrangent le plus pour ne pas ressentir de malaise intérieur et préserver son
estime de soi.
La peur (du jugement des autres, de la sanction sociale ou autre) est un
sentiment naturel chez l’être humain mais qui est malheureusement
extrêmement néfaste à l’innovation. Elle nuit ainsi très sérieusement à la
réflexion (bride les capacités analytiques et réflexives des individus) ainsi que
la créativité et l’émergence des idées nouvelles. Celle-ci doit donc être
combattue afin que les individus puissent laisser libre cours à leur intelligence
inventive et créative et imaginer de nouveaux « futurs » pour le groupe. Nous
allons voir prochainement comment limiter cette émotion.
Un individu a naturellement besoin d’estime et de considération pour
s’épanouir réellement et optimiser ses capacités d’imagination et de
créativité (cf. théorie de Maslow sur la hiérarchie des besoins47
). Les différents
« rôles » qu’un individu adopte en société conditionnent largement sa
perception et donc sa réflexion et ses actions. Une trop forte soumission à la
pression sociale et au rôle attendu48
peut ainsi amener l’individu à modifier
47 Selon Maslow, il existe une hiérarchie dans les besoins d’un individu. Ces
besoins vont du plus « vital » (se nourrir,...) au plus évolué comme
l’épanouissement personnel). Nous préciserons toutefois que ce modèle
possède de nombreuses limites et n’est absolument pas absolu et irréfutable.
Ainsi, il n’a étudié dans ses recherches qu’une population occidentale et
instruite pour construite cette théorie.
48 Nous aborderons ce concept ultérieurement.
13
de lui-même et de manière totalement inconsciente sa propre attitude (et donc
sa perception du monde et de lui-même) via une intériorisation trop forte des
attentes normatives (avec des questions auto-régulatrices de type « Comment
suis-je sensé percevoir/comprendre ceci ? », « Mon attitude est-elle
« normale » ? »,...). Il est donc véritablement nécessaire de s’affranchir des
attentes sociales et normatives pour produire des idées qui soient
véritablement le fruit des réflexions individuelles et pas le fruit de ses
attentes sociales ou de pseudo-réflexions individuelles influencées
inconsciemment par les autres.
Selon Brehm, l’individu possède une palette de comportements qu’il peut
utiliser dans l’immédiat ou plus tard. Il s’agit de potentiels qui ont trait à
sa manière de vivre la liberté et toute atteinte au sentiment qu’il peut en
avoir produira une réaction par laquelle il cherchera à la retrouver. Cet
effet de « réactance » devra être pris en compte dans notre stratégie
managériale.
L’individu peut également se dépersonnaliser (perdre son caractère
« unique ») et se déresponsabiliser lorsqu’il est plongé dans un groupe.
Festinger, Pepitone et Newcomb suggèrent ainsi que l’individu se sent moins
responsable de ses actes lorsqu’il est en groupe, car il ne ressent pas ses
comportements comme individuels (différents de ceux des autres et identifiés
comme tels). Zimbardo énumère différentes caractéristiques de la
dépersonnalisation comme l’anonymat ou la similitude dans l’habillement
qui constituent un « obstacle au désir d’être repéré comme unique ». Il est
important de souligner que cette impossibilité de repérer son caractère
unique peut accroître le comportement agressif d’un individu en l’amenant
à adopter un comportement « déviant » pour se particulariser au sein du
groupe.
14
L’individu peut ne pas être rationnel dans sa prise de décision, et adopter
des comportements et attitudes influencés par :
– L’acceptable : il est parfois plus facile de raisonner à partir d’éléments
socialement acceptables plutôt que d’adopter un raisonnement à partir
d’éléments factuels ;
– La pression : les situations de contraintes fortes conduisent à s’arrêter
sur des détails, à privilégier des éléments de formes ou de présentation,... ;
– Le raccourci : par manque de temps, de motivation, de ressources
suffisantes (connaissances et compétences), on pense aller à l’essentiel ;
Ses prises de décision peuvent de plus être réalisées en réaction à une
situation plutôt qu’à partir d’une analyse complète du contexte induisant
des raisonnements par schéma et routine qui conduisent à des solutions
« ordinaires ».
L’individu est également un être rationalisant49
(à défaut d’être rationnel !)
qui cherche à préserver un équilibre interne ou une « consonance » entre ses
différentes cognitions. Ces cognitions se divisent en trois degrés :
– La cognition neutre : elle n’a pas de lien véritable avec les autres
cognitions ;
– La cognition consonante : elle s’accorde avec d’autres cognitions de
l’individu (ex : je suis écologiste et je trie mes déchets) ;
– La cognition dissonante : elle ne s’accorde pas avec d’autres cognitions
(ex : je suis écologiste et je prends une voiture pour faire 500 mètres).
En cas de non conformité entre ces différentes cognitions, l’individu ressent
un état de tension psychologique que Festinger nomme « dissonance
cognitive50
» (ex : un écologiste est amené par un concours de circonstances à
produire un comportement contraire à ses croyances et valeurs prônées
49 Selon Festinger, les individus ajusteraient à posteriori leurs opinions,
croyances et idéologies au comportement qu’ils viennent de réaliser.
15
habituellement. Ce comportement va provoquer chez lui un état de tension car
il ne rentre pas en accord avec son attitude usuelle. Il y a donc de fortes
chances pour qu’il cherche à justifier ce comportement et essaie de trouver
une explication valable pour le rationaliser et retrouver son état initial
d’équilibre cognitif.
50 Selon Festinger, c’est la présence simultanée d’éléments contradictoires
dans la pensée de l’individu. Cette dissonance est souvent le résultat d’un
désaccord entre attitudes (pensées) et comportements (actes). La dissonance
cognitive entraîne chez l’individu un état de malaise, une tension
psychologique désagréable qu’il va tenter de réduire en instaurant une stratégie
permettant de réduire cette tension :
– Stratégie de rationalisation : réduire la dissonance tout en conservant
attitudes et comportements ;
– Ajouter des éléments consonants : justifier le comportement dissonant en
ajoutant un élément ;
– Minimiser l’importance des éléments dissonants ;
–Modification d’un des éléments dissonants : l’individu peut changer de
comportement ou d’attitude.
Zajonc résume la théorie de la dissonance cognitive par les neuf propositions
suivantes :
– La dissonance cognitive est un état pénible ;
– L’individu essaie de réduire ou d’éliminer la dissonance cognitive et
d’éviter tout ce qui l’augmenterait ;
– Dans un état de consonance cognitive l’individu éviterait tout ce qui
pourrait produire de la dissonance ;
– L’intensité de la dissonance cognitive varie en rapport direct avec
l’importance des cognitions concernées ou la proportion de cognitions ayant
une relation dissonante ;
– L’intensité des tendances décrites en 2 et 3 est en rapport direct avec
l’intensité de la dissonance ;
– La dissonance cognitive peut être réduite ou éliminée soit en ajoutant de
nouvelles cognitions ou bien en changeant des cognitions existantes ;
– Ajouter de nouvelles cognitions réduit la dissonance quand les nouvelles
cognitions renforcent les éléments consonants et diminuent donc la
proportion des éléments cognitifs qui sont dissonants ou bien quand les
nouvelles cognitions diminuent l’importance des éléments cognitifs en état
16
2. Analyse du concept de groupe
Analyser ce concept fondamental ainsi que l’ensemble de ces composantes
nous permettra par la suite d’aborder des analyses visant à optimiser les effets
collectifs produits par le groupe puisant ou faisant un lien étroit avec les
différents concepts que nous allons présenter maintenant. Posons d’abord une
définition globale de ce concept. Dans le domaine de la Psychologie Sociale, le
groupe peut être défini51
comme un « ensemble d’individus qui se perçoivent
comme membres d’une même catégorie, qui attachent une certaine valeur
émotionnelle à cette définition d’eux-mêmes et qui ont atteint un certain
degré de consensus concernant l’évaluation de leur groupe et de leur
appartenance à celui-ci ». Il est important de souligner que le groupe n’est
pas une simple foule ou agrégat52
social. Nous retiendrons que le groupe
de dissonance ;
– Changer des cognitions existantes réduit la dissonance quand leur
nouveau contenu les rend moins inconsistants ou que leur importance
diminue ;
– Cette augmentation ou ce changement de cognitions peut se faire en
changeant les aspects cognitifs de l’environnement, "par l’action".
Source : GOSLING Patrick, RIC François, Psychologie sociale, Volume 2,
Bréal.
51 Selon la définition de Tajfel et Turner.
52 « Au sens ordinaire, le mot foule représente une réunion d’individus
quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe,
quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent. Au point de vue
psychologique, l’expression foule prend une signification tout autre. Dans
certaines circonstances données, et seulement dans ces circonstances, une
agglomération d’hommes possède des caractères nouveaux fort différents de
ceux de chaque individu qui la compose. La personnalité consciente
s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans
une même direction. Il se forme une âme collective, transitoire sans doute,
mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que,
17
implique une prise de conscience par les individus de l’appartenance à
celui-ci ainsi qu’un système d’échanges entre ces personnes.
A. L’identité sociale et les relations intergroupes
L’identité sociale constitue, selon Fischer, un « processus psychologique de
représentation qui se traduit par le sentiment d’exister en tant qu’être
singulier et d’être reconnu comme tel par autrui. Il donne lieu à une estime
de soi et à une conscience de soi ». Elle met en évidence que la perception
que l’individu a de lui est déterminée par son appartenance au groupe. De
ce fait, les relations intergroupes sont marquées par cette conscience
d’appartenance.
Selon Frédérique Autin, la catégorisation sociale est « un outil cognitif qui
segmente, classe et ordonne l’environnement social et qui permet aux
individus d’entreprendre diverses formes d’actions sociales »53
. Elle rajoute
que la catégorisation sociale définie également la place de chacun dans la
société. On parle d’appartenance groupale lorsque les individus se
définissent eux-mêmes et sont définis par les autres comme membres du
groupe. Les groupes sociaux fournissent donc à leurs membres une
identification sociale appelée « identité sociale ». L’identité sociale est
définie comme la partie du concept de soi d’un individu qui résulte de la
conscience qu’à l’individu d’appartenir à un groupe social ainsi que de la
valeur et de la signification émotionnelle qu’il attache à cette
appartenance.
faute d’une expression meilleure, j’appellerai une foule organisée, ou, si l’on
préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à
la loi de l’unité mentale des foules ». (Le Bon)
53 Source : www.prejuges-stereotypes.net/.../autinIdentiteSociale.pdf
18
Tajfel54
a étudié les relations intergroupes en se basant sur cette théorie de
l’identité sociale55
. Il a ainsi mis en évidence que les relations entre les
groupes d’individus se fondent sur cette prise de conscience qui induit chez
les individus une catégorisation56
. Cette catégorisation va générer de la
discrimination au sein des relations entre les groupes. La discrimination
constitue selon Fischer un « comportement qui se traduit par un traitement
méprisant et vexatoire d’individus ou de groupes qui sont l’objet de
préjugés ». Ainsi, « le préjugé agit comme un cadre de référence et la
discrimination est considérée comme un processus d’opérationalisation ».
Ses travaux lui ont permis de mettre en évidence ce qu’il nomme
« paradigme des groupes minimaux » où il démontre que le seul fait
d’appartenir à un groupe est une condition suffisante pour que les
individus produisent des comportements discriminatoires par rapport à
d’autres groupes.
Les catégorisations se divisent en deux catégories57
:
– La catégorisation simple. Il existe une dichotomie entre la catégorie
d’appartenance de l’individu et l’autre catégorie. Le fait d’appartenir à un
groupe implique ainsi la non appartenance à l’autre (ex : sexe masculin et
féminin) ;
54 TAJFEL Henri, BILLIG Michael, BUNDY Robert, FLAMENT Claude,
Social categorisation and intergroup behaviour, European Journal of Social
Psychology, pp. 149-178 cité et traduit par Geneviève Vinsonneau, Inégalités
sociales et procédés identitaires, Armand colin. Document consultable ici :
http://tinyurl.com/7knteal
55 Comme nous venons de le voir, la perception que l’individu a de lui est
déterminée par son appartenance de groupe. Ainsi, les relations intergroupes
sont marquées par cette « conscience d’appartenance ».
56 « Processus socio-cognitif par lequel l’individu découpe et organise
différents ensembles sociaux en les classant dans des catégories qui vont
accentuer les différences perçues entre lui et les autres groupes ». (Fischer)
57 Selon l’analyse de Deschamps et Doise.
19
– La catégorisation croisée. Il existe une dichotomie entre sa première
catégorie d’appartenance (selon une première catégorisation) qui ne se
recouvre pas mais qui croise avec sa catégorie d’appartenance et l’autre
catégorie selon une seconde catégorisation (ex : deux groupes de personnes
composés chacun d’hommes et de femmes qui s’opposent d’un point de vue
idéologique).
Doise a également étudié les relations intergroupes et a mis en évidence un
phénomène de « différenciation catégorielle ». Selon lui, « les membres
appartenant à un même groupe ont tendance à se percevoir comme étant
plus semblables entre eux et comme plus différents lorsqu’ils se comparent
aux membres d’un autre groupe ». Il démontre également que les
différenciations au niveau de la perception induisent des différenciations
au niveau des jugements intergroupes et s’expriment par des
comportements discriminatoires vis-à-vis des autres groupes.
Le processus naturel de catégorisation sociale va générer dans l’esprit des
individus des stéréotypes et des préjugés.
Les stéréotypes constituent, selon Leyens, des croyances partagées
concernant les caractéristiques personnelles d’un groupe de personnes.
Pour Lippmann, ils désignent les catégories descriptives simplifiées basées
sur des croyances et par lesquelles nous qualifions d’autres personnes ou
d’autres groupes sociaux. Les stéréotypes peuvent générer des effets négatifs
car, comme le soutiennent certains chercheurs comme Leyens, ils auraient un
effet direct sur les performances du groupe et notamment quand ils sont
rendus saillants, activés58
.
Les préjugés constituent quant à eux une « attitude de l’individu
comportant une dimension évaluative, souvent négative, à l’égard de types
58 Source :http://www.psychologie-sociale.com/index.php?
option=com_content&task=view&id=42&Itemid=28
20
de personnes ou de groupes, en fonction de sa propre appartenance sociale.
C’est donc une disposition acquise dont le but est d’établir une
différenciation sociale »59
. Rosenberg et Abelson rajoutent que le préjugé
présente les caractéristiques de toute attitude et se compose d’une
dimension cognitive et d’une dimension comportementale. Ainsi, il est le
fruit d’une combinaison entre une croyance et une valeur.
Fischer complète cette analyse en disant que le stéréotype se caractérise
par son uniformité tandis que le préjugé a un caractère d’appréciation
plus vaste qui intègre un ensemble de stéréotypes divers relatifs à la race,
au sexe, à la religion ou à une classe sociale donnée. Si le stéréotype est
plutôt descriptif et collectif, le préjugé serait plus individuel et normatif. Le
préjugé exprime ainsi le caractère structural des représentations sociales,
tandis que les stéréotypes désignent leur caractère fonctionnel.
B. Les statuts et rôles
Fischer nous donne une définition de ces deux concepts. Selon lui, le statut
désigne la position objective occupée en fonction du niveau social. Il englobe
un ensemble de caractéristiques objectives qui déterminent la place d’un
individu sur une échelle sociale.
Le rôle peut être considéré comme l’aspect dynamique et subjectif du
statut. Il désigne un modèle de conduite prescrite à un individu, lié aux
exigences du statut, en fonction des attentes du groupe. Les rôles se
composent ainsi :
– Le rôle « prescrit ». Rôle qui est socialement demandé à une personne
compte tenu du statut qui est le sien ;
– Le rôle « attendu ». Rôle qui est attendu de la part des individus ;
59 Selon la définition de Fischer.
21
– Le rôle « voulu ». Rôle souhaité par l’individu ;
– Le rôle « joué ». Rôle qui est finalement interprété et joué par l’individu.
Selon Fischer, le rôle et le statut ne sont pas des données immuables. Ils
évoluent dans le temps en suivant le fonctionnement de chaque groupe
particulier.
L’individu peut cependant volontairement ou involontairement ne pas se
soumettre à son ou ses rôles socialement prescrits, créant ainsi une divergence
entre les attentes du groupe et son comportement réel. On parle alors de
« conflit de rôle », que Kahn divise en quatre types :
– Le conflit personnel. Se produit quand les attentes d’un individu sont
incompatibles avec les valeurs du groupe dans lequel il évolue ;
– Le conflit intra-émetteur. L’émetteur énonce des directives
contradictoires à quelqu’un qui se voit forcé de contrevenir à une partie des
demandes ;
– Le conflit inter-émetteurs : se produit quand des demandes
contradictoires sont adressées à un individu par un ou plusieurs émetteurs ;
– Le conflit inter-rôles : est généré par la présence de deux émetteurs qui
obligent un individu à se conformer à un autre.
C. La cohésion
La cohésion dans un groupe peut désigner plusieurs éléments : la force
d’attraction, le moral du groupe ou encore la coordination des efforts de ses
membres. Celle-ci peut être influencée par plusieurs facteurs :
– L’homogénéité. Les membres d’un groupe sont d’avantage attirés par
les personnes d’un statut équivalent. Les différences de statut font
22
apparaître les différences d’intérêt et diminuent le niveau d’adhésion au
groupe60
;;
– La menace externe. La menace aide un groupe à clarifier ses objectifs
et incite ses membres à conjuguer leurs efforts vers un but commun61
;;
– La compétition intergroupes augmente la cohésion, alors que la
compétition intragroupes la diminue.
D. Les interactions
Les interactions sociales constituent les systèmes et les types d’échange
d’informations entre les individus d’un groupe. Bales propose une analyse
des interactions au sein d’un groupe via la mise en évidence de plusieurs
catégories62
:
– Catégories centrées sur les relations interpersonnelles
(socio-affectives), manifestations positives :
1 – Manifestation de solidarité, de sympathie, aide
2 – Détente et relâchement de tension
3 – Manifestation d’un accord
– Catégories centrées sur le travail, manifestations positives :
4 – Suggestions
5 – Intervention exprimant l’avis, l’opinion
6 – Intervention directive, donnant des informations ou une orientation de
travail
60 Selon l’analyse d’Adams.
61 Selon l’analyse de Stein.
62 Source : http://www.definitions-de-psychologie.com/fr/-20.html.
23
– Catégories centrées sur le travail, manifestations négatives :
7 – Demande d’informations
8 – Demande d’avis, d’opinions
9 – Demande de suggestions
– Catégories centrées sur les relations interpersonnelles,
manifestations négatives :
10 – Manifestation de désaccord
11 – Manifestation de stress ou de gêne, de tension
12 – Attaque relationnelle, manifestation d’animosité
Nous noterons toutefois que cette analyse est soumise à critique. Certains
chercheurs soulignent ainsi que celle-ci ne permet pas de traiter les variables
agissant sur les communications et ne traite que des interactions explicites,
ne prenant pas en compte le niveau « latent » des interactions. Elle permet
néanmoins d’offrir une bonne grille de lecture pour analyser les différentes
interactions au sein d’un groupe.
Analysons à présent le concept de pouvoir63
. Analyser ce concept est ici
indispensable car inhérent à tout activité sociale. Pour Dahl, le pouvoir
constitue une relation interindividuelle asymétrique entre des individus qui
présentent une inégalité de ressources ou de capacités. C’est selon lui la
« capacité d’une personne A d’obtenir qu’une personne B fasse quelque
63 Nous préciserons que nous analyserons ce concept selon sa conception
relationnelle et non selon la théorie juridique traditionnelle qui définit le
pouvoir comme une substance (que l’on a ou que l’on peut donc posséder).
24
chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A »64
. Dahl souligne
que la relation est toujours interactive, car il considère que la personne B
participe aussi à l’exercice du pouvoir dans la manière dont elle réagit.
Pour Crozier, « le pouvoir est une relation et non un attribut des
acteurs ». Il est donc une « relation réciproque mais déséquilibrée ». Il
rajoute que le pouvoir est « un rapport de force, dont l’un peut retirer
davantage que l’autre mais où, également, l’un n’est jamais totalement
démuni face à l’autre ».
Selon Foucault, « le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert,
s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse
échapper mais s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de
relations inégalitaires et mobiles ».
Weber a mis en évidence un ensemble de concepts relatifs au pouvoir65
:
– La puissance (Macht) : « toute chance de faire triompher au sein d’une
relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu
importe sur quoi repose cette chance » ;
– La domination (Herrschaft) : « chance de trouver des personnes
déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé » ;
Braud affirme que « le pouvoir exercé par un chef hiérarchique sur ses
subordonnés n’est pas le même que celui du journaliste influent sur ses
lecteurs ; l’ordre donné par un officier à ses hommes n’est pas assimilable aux
suggestions faites par un conseiller à son ministre. Et pourtant dans tous les
64 DAHL Robert, « The concept of power », 1957. Consultable à cette
adresse : http://tinyurl.com/7pqu98j
65 WEBER Max, Economie et société, Pocket, 2003, 410 p.
25
cas, il y a capacité d’obtenir d’autrui quelque chose qu’il n’aurait pas fait
autrement »66
. Il distingue ainsi deux sortes de pouvoir67
:
– Le pourvoir d’injonction. Constitue un type de pouvoir avec emploi de la
coercition. Il relève de la norme juridique, de la prescription morale ou de
l’injonction de fait (cette dernière se produit lorsqu’un individu adopte un
comportement qui correspond aux attentes implicites d’un autre individu). Il
amène à distinguer deux garanties d’effectivité qui sont souvent étroitement
articulées :
1. la coercition matérielle, qui renvoie aux textes législatifs ou
réglementaires
2. la coercition psychique, qui renvoie à la condamnation morale
– Le pouvoir d’influence. Constitue un type de pouvoir sans emploi de la
coercition. Il repose soit sur la persuasion, la manipulation ou l’autorité. Son
efficacité n’est pas garantie par des sanctions mais elle s’accompagne de
moyens incitatifs (ex : gratifications, symboliques ou matérielles) ou utilise
l’affect / pathos (ex : crainte ou respect).
Analysons pour terminer la notion de légitimité inhérente à celle de
pouvoir. La légitimité constitue les valeurs normatives. L’étendue du pouvoir
dépend ainsi des caractéristiques de la source et de l’intériorisation de ces
valeurs par la cible (le leader peut effectuer certaines actions car son statut lui
confère ce droit aux yeux des membres du groupe). Weber construit également
trois types idéaux de légitimité :
66 BRAUD Philippe, Du pouvoir en général au pouvoir politique, Traité de
Science Politique, 1987
67 Source : http://www.le-politiste.com/2011_05_01_archive.html
26
– La légitimité traditionnelle : repose sur « la validité de ce qui a
toujours été » (croyance dans la sainteté des traditions) ;
– La légitimité charismatique : repose sur les qualités exceptionnelles
reconnues à un héros ou à un chef ;
– La légitimité légale-rationnelle : repose sur la croyance dans la légalité
des règlements.
E. Les décisions de groupe
Le processus décisionnel au sein d’un groupe a été largement étudié dans le
domaine de la Psychologie Sociale. Celle-ci met en évidence plusieurs
éléments à prendre en compte dans l’analyse de ce processus.
Tout d’abord, les facteurs de la décision, composés notamment de la
structure de communication, du style de tâche et du style de leadership.
La structure de communication représente selon Fischer le type de réseau
d’échanges qui préside à la communication entre les membres, en vue de
réaliser leurs tâches. Les recherches menées par Bavelas et Leaviti sur les
structures de communication ont servi de référence pour étudier leur influence
sur les prises de décision et démontré que la structure de communication est
définie par la nature de la tâche à accomplir. Ainsi, si celle-ci est simple, la
structure de communication centralisée peut être efficace. Si elle est
complexe, alors il est préférable d’opter pour une structure de
communication décentralisée.
Le type de tâche constitue la réalisation d’une activité comportant
souvent un problème à résoudre. On distingue selon Steiner les tâches
additives (qui sont à la charge de l’ensemble des membres du groupe), les
tâches conjointes (qui supposent l’interdépendance), les tâches disjointes
27
liées à la différenciation des apports de chacun et les tâches combinatoires qui
impliquent une coordination.
Le style de leadership (ou type d’autorité) joue également un rôle
important dans le processus de prise de décisions. Analysons ce concept.
Pour Hemphill et Coons, le leadership constitue le comportement d’une
personne dirigeant les activités d’un groupe dans le but d’atteindre un
objectif commun. Pour Barrow, c’est un style comportemental visant à
influencer des individus ou des groupes afin d’atteindre des objectifs fixés.
Enfin, pour Chemers, c’est un processus d’influence sociale au cours duquel
une personne est capable de s’assurer le concours d’autrui pour
l’exécution d’une tâche collective.
De nombreux chercheurs ont étudié l’influence du style de leadership dans
le fonctionnement des groupes. Un modèle démontrant le lien entre trois
styles de leadership et le type de décision de groupe qui en résulte a été
développé par Vroom et Yetton :
– Le modèle autocratique, basé sur une prise de décision centralisée
pouvant se traduire par un recueil d’informations ponctuelles, avant prise de
décision par le leader ;
– Le modèle consultatif, fait précéder la décision d’échanges, pour
évaluer divers aspects du problème. La décision finale revient cependant
au leader ;
– Le modèle facilitatif, se traduit par une prise de décision en groupe.
Deux autres styles de leadership ont également été mis en évidence : le
leadership transactionnel et transformationnel.
Le leadership transactionnel passe, selon Hellriegel et Slocum68
, par la
motivation et la direction des subordonnés au moyen de pratiques
68 HELLRIEGEL Don, SLOCUM John, Management des organisations, De
Boeck, 2006, 727 p.
28
contingentes fondées sur la récompense. « Le leader transactionnel tend à
donner la priorité à la tactique de la carotte (mais parfois du bâton) à
définir les attentes et les objectifs de résultats et à traiter ses troupes en
fonction des résultats ».
Ces deux chercheurs rajoutent que ce modèle se compose de trois éléments
principaux qui amènent les subordonnés à atteindre les objectifs de résultat :
– Récompenses contingentes. Le leader identifie un itinéraire qui relie la
réalisation des objectifs aux récompenses, échange des promesses de
soutien et des ressources à cette fin, conclut des accords mutuellement
satisfaisants, négocie l’octroi de moyens, échange de l’assistance contre du
travail et dispense des éloges pour un travail réussi ;
– Management actif par exception. Le leader contrôle le résultat de ses
subordonnés, prend des mesures coercitives en cas de divergence par
rapport aux normes et applique des règles pour empêcher les erreurs ;
– Management passif par exception. Le leader intervient quand les
problèmes deviennent sérieux mais peut attendre, pour agir, que les
problèmes soient portés à son attention.
Le « leadership transformationnel » ou « transformateur », mis en
évidence par Burns69
et complété par les analyses de Bass70
. Ces chercheurs ont
utilisé ce concept pour décrire des situations où « l’émulation entre les
leaders et les suiveurs accroît leur motivation et leur moralité ».
« Transformationnel » qualifie donc le style des leaders qui réussissent à
mobiliser et inciter leurs collaborateurs à se dépasser (ce qui nécessite de
travailler la motivation et l’engagement des individus comme nous allons
l’étudier prochainement). Le leader transformationnel doit parvenir à modifier
69 BURNS James, Leadership, New-York : Harper & Row, 1982, 544 p.
70 BASS Bernard, From transactional to transformational leadership :
Learning to share the vision, Organizational Dynamics, Winter, pp. 19-31
29
à la fois les comportements des collaborateurs, mais aussi et surtout leurs
perceptions et croyances. Nous étudierons également prochainement
comment opérer ce genre d’influence.
Ce style de leadership repose sur 4 composantes décrites par Matthieu
Poirot, Psychologue Social et Docteur en management71
:
– Le charisme idéalisé : le leader suscite l’adhésion et le respect par
l’exemplarité de ses comportements. Il fait ce qui est juste et non
seulement ce qui est rentable ou pratique ;
– La motivation par stimulation : le leader propose une vision motivante
(souvent un idéal), établit des normes de travail élevées et réussit à
convaincre ses collaborateurs de se dépasser. Il cherche à augmenter la
confiance en soi de ses collaborateurs en se montrant optimiste et
enthousiaste pour leur travail ;
– La responsabilisation intellectuelle : le leader va stimuler la réflexion
de ses collaborateurs afin de les aider à voir les problématiques sous un
angle nouveau et à trouver par eux-mêmes les solutions aux problèmes ;
– La considération individuelle : le leader prend le temps de connaître à
minima les attentes et situations de chacun de ses collaborateurs. Il
prodigue des conseils personnalisés et met en avant ce qu’il apprécie
particulièrement dans le travail de chacun. Il trouve le temps dans son
agenda de faire un travail en face à face pour soutenir individuellement la
progression de ses collaborateurs.
Poirot rajoute que la plupart des recherches menées sur cette théorie du
leadership transformationnel mettent en évidence que ce style de leadership
est le plus efficace dans un environnement de turbulence et d’adaptation
continue, ce qui est donc parfaitement adapté à notre analyse de l’optimisation
71 Source :http://psychologiepositiveautravail.blogspot.com/2010/11/du-manag
ement-au-leadership.html
30
du processus d’innovation au sein d’un groupe, nécessaire pour faire face à ce
genre d’environnement.
III. Réflexions et analyses approfondies
1. L’organisation comme individu
Une organisation peut-être comparée à un organisme vivant ou, comme le
souligne Jacques Moreau72
, à un organisme « socio-vivant ». Comme tout
organisme biologique, les cellules la composant (représentées par les
individus) ont besoin d’être coordonnées, d’échanger des flux (dans le cas
d’une organisation, nous parlerons de flux informationnels et
communicationnels), d’interagir et chacune est absolument indispensable
pour la survie et le bon fonctionnement de celui-ci. Pour favoriser les
échanges entre les différentes « cellules », il faut selon Wolton prendre soin de
créer un contexte favorable à la transmission et à la réception de
l’information73
au sein de celles-ci. Ainsi, un contexte non favorable (comme
dans le cas d’un esprit collectif primaire où les individus sont isolés et où la
maîtrise de l’information est pratiquée seulement par l’autorité) entraînerait
une rupture entre le contexte et l’état psychologique et cognitif des
récepteurs, pouvant nuire fortement à la transmission des informations.
Au même titre qu’un individu, l’organisation possède une mémoire
(recensant son expérience composée de succès et d’échecs), un réseau
relationnel (composé à la fois du réseau interne et externe de par les relations
sociales des membres la composant), un besoin d’analyser et de décoder son
72 MOREAU Jacques, L’entreprise est un organisme vivant. Article
consultable à cette adresse :
http://www.jmn-moreau.com/images/stories/PDF/doc_230407_110240.pdf
73 Nous analyserons prochainement comment développer ce contexte.
31
fonctionnement interne (connaissance de soi) ainsi que son environnement
proche ou lointain (connaissance des autres et de sa place dans le monde)
pour évoluer positivement dans celui-ci74
.
Enfin, comme tout individu, une organisation tend à être soumise à des
biais cognitifs pouvant perturber ses capacités analytiques, réflexives et
décisionnelles. Elle peut ainsi être d’un « cruel conformisme » et se laisser
largement influencer par les autres, en négligeant de développer sa propre
« personnalité » et vision du monde pourtant nécessaire à l’innovation. Il
est toujours plus rassurant de faire comme les autres plutôt que d’affirmer son
originalité et sa différence...
2. De la nécessité du dialogue...et du conflit dans
l’innovation
En règle générale, une idée ne naît jamais à partir des simples réflexions
d’un individu isolé. Elle est le fruit d’une interaction entre plusieurs
personnes, d’un stimulus extérieur provenant par exemple de dialogues ou
d’observations. Il est donc fondamental pour les individus de communiquer
et d’interagir entre eux, d’échanger des points de vue afin de s’enrichir
mutuellement afin de co-construire de nouvelles idées et de l’intelligence
collective. Les individus devront donc être fédérés au sein du groupe ou de
l’organisation et non isolés comme dans le cas d’un esprit collectif primaire.
L’innovation nécessite également un conflit cognitif pour naître. Moscovici,
dans sa théorie des « minorités actives » démontre que ce conflit est la base
même du processus d’innovation.
Arrêtons-nous tout d’abord sur cette notion de « conflit ». Brown définit le
conflit comme un ensemble de comportements qui se traduit tantôt par des
74 Nous analyserons prochainement l’ensemble de ces concepts.
32
évaluations, tantôt par des représentations, incompatibles et en opposition
avec celles des autres groupes. Le conflit cognitif constitue ainsi une
incompatibilité entre les croyances et représentations d’un groupe avec
celles d’un autre groupe.
Selon Moscovici, une innovation débute toujours par une minorité
« active » qui va adopter un « style comportemental75
» bien ordonné. Cette
minorité doit ainsi :
– Etre constante et « diachronique » (doit perdurer à travers le temps) dans
les idées qu’elle défend afin de conserver sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion
générale ;
– Etre « nomique » (le discours qu’elle prononce doit être clairement défini et
différer du discours majoritaire) ;
– Etre visible afin de pouvoir être entendue de tous et autonome (doit
réellement laisser transparaître son indépendance vis-à-vis du mouvement
dominant) ;
–– EElle ne doit pas paraître trop « rigide » en apparence pour ne pas donner
l’image aux individus d’un mouvement minoritaire refusant tout dialogue en
contradiction avec ses idées. Cette discordance va entraîner naturellement la
naissance d’un conflit auau seinsein desdes individus.individus.
Le conflit va générer le débat (de par la captation et la réaction des
individus sur le sujet abordé), et le débat va engendrer la prise de conscience
et le changement progressif.
Cette minorité consistante mais non « rigide » peut forcer les membres de la
majorité à se lancer dans un processus de validation dans le sens où elle
75 « Type de comportement qui se caractérise par la capacité à gérer le conflit
émergent entre la majorité et le minoritaire. Il se traduit par des prises de
position qui cherchent à influencer la majorité tout en résistant à ses
pressions ». (Fischer)
33
oblige la majorité à analyser le contenu de son message de manière
approfondie. Ainsi, Moscovici démontre que le conflit est nécessaire car il
permet de mettre en place à la fois les conditions d’une attention dans la
mesure où le comportement ou l’idée qui le provoquent deviennent plus
saillants dans le champ social et les conditions d’une écoute en exprimant
une idée de manière consistante qui va nourrir le débat public. Pour lui, la
condition d’efficacité de l’influence minoritaire réside dans un système de
réponse consistant qui doit s’accompagner de confiance en soi.
Selon Fischer, « l’étude des minorités permet d’observer que majorité et
minorité ne sont pas deux blocs rigides : leur influence respective est
interactive et peut s’inverser au bénéfice de l’influence minoritaire. Ce ne
sont donc pas les majorités qui détiennent de façon exclusive les systèmes
d’influence ; elles sont à leur tour influencées par l’opinion des minorités
et, en réaction, peuvent modifier leurs propres opinions, valeurs et modes
de comportements ».
Pour faciliter les processus d’influence minoritaire et d’innovation, il faut
donc que le groupe tolère la « déviance » et le « conflit pacifiste » (se
déroulant sur le plan cognitif et non physique). Il faut donc travailler à
instaurer en son sein une véritable culture de l’écoute et de la tolérance
pour prévenir la discrimination, nuisible à l’innovation.
3. Le leader du groupe et son rôle au sein de celui-ci
Tout groupe d’individus doit comporter un leader afin de manager les
personnes, coordonner leurs actions, prendre en charge la direction du
groupe dans le but d’atteindre des objectifs précis et gérer les flux
informationnels et communicationnels permettant de générer l’innovation.
34
Le leader, dans un « esprit collectif primaire » fonde son type de leadership
sur le modèle autoritaire76
et possède un style de management77
autocratique.
Dans ce contexte, le leader utilise une forme de pouvoir abusif basé sur
l’exploitation excessive des éléments suivants :
– La légitimité ;
– La référence. Elle constitue l’identification, l’attraction que la source
exerce sur la cible ;
– La récompense. Le leader a la possibilité de récompenser un individu et
possède un pouvoir sur cette personne ;
– La coercition. Le leader a la possibilité de punir un individu,
matériellement ou psychiquement (sanction financière, sociale telle que le
renvoi / bannissement du groupe,...).
Le pouvoir du leader dans ce contexte est donc basé sur la reconnaissance
du statut d’autorité par la majorité (légitimité), la soumission de celle-ci,
l’état agentique mais aussi le sentiment d’admiration et de fascination
voire de peur vis-à-vis de lui.
Le leader, dans un esprit collectif primaire, fonde usuellement comme nous
l’avons vu son autorité et son pouvoir sur le charisme (pouvoir d’influence) et
sur la soumission naturelle des individus. Son autorité est donc
difficilement contestable car la remettre en cause risquerait d’entraîner
une sanction pour l’individu « déviant » (sanction financière, sociale (ex :
76 Selon Maisonneuve, ce type de leadership vise à influencer autrui
directement et par pression externe ; ce genre contient d’ailleurs deux espèces :
le chef autocratique, s’imposant par intimidation ou sanction sans se
préoccuper des réactions d’autrui et le chef paternaliste, aux visées plus
complexes car il veut à la fois être obéi, respecté et même aimé.
77 A partir de la définition de Blake et Mouton sur les deux dimensions du
comportement du leader : orientation vers la tâche (production) et orientation
vers les relations.
35
l’individu déviant est exclu du groupe car il est considéré comme un marginal,
un perturbateur,...)).
Dans un esprit collectif évolué, le leader idéal sait s’adapter aux situations
et a le sens des responsabilités78
. Il adopte un type de leadership coopératif79
et transformationnel s’inspirant également du type élucidateur80
mais aussi
légèrement du transactionnel dans le seul but que les attentes et objectifs du
groupe demeurent clairs et ne sombrent pas dans une ambiguïté trop grande81
.
Son style de management puise dans le leader social82
, l’intégrateur83
et le
démocratique-persuasif84
. Le leader exploite ainsi à bon escient les
caractéristiques du pouvoir suivantes :
– La légitimité ;
78 Selon l’analyse de Forsyth.
79 Selon Maisonneuve, il consiste à associer autrui sinon aux prises de
décision, du moins à leur préparation et à leurs applications. Ici la distance
entre le leader et les autres est donc beaucoup moins forte. Mais de même que
le degré de coercition varie dans le mode autoritaire, le degré de "permissivité"
peut varier dans le mode coopératif.
80 Toujours selon Maisonneuve, il vise à mettre le groupe en situation de
décider collectivement après une prise de conscience de ses problèmes et
processus. Cette attitude n’est pas à proprement parler un leadership. Elle
exerce une sorte d’influence catalytique en facilitant la mise en œuvre des
ressources internes du groupe.
81 Selon Hellriegel et Slocum dans leur livre Management des organisations.
82 Privilégie l’ambiance et le climat (évitement du conflit). Le rendement n’est
qu’un moyen au service de la recherche de cohésion sociale. On laisse les
subalternes autonomes (source :http://tinyurl.com/6wtcjzg).
83 Suscite l’engagement de son personnel autour des dimensions
productives. Il s’attache à faire participer ses subalternes et à les impliquer
sur les processus de planification et de contrôle des tâches.
84 Caractérisé selon Argyl par trois manières d’agir du leader : la
motivation des individus grâce à l’explication et la persuasion plutôt que
par les ordres, la possibilité donnée aux personnes de participer aux
décisions et l’utilisation des techniques de discussion et de prise de décision
de groupe.
36
– La compétence. Constitue le pouvoir informationnel, la connaissance
présumée de l’individu dans un domaine donné ;
– La référence.
Dans ce contexte, il fonde son autorité non pas sur la fascination et la peur
exercée sur ses membres mais sur le respect, la considération et la prise en
compte des individus dans le processus analytique, réflexif et décisionnel
du groupe. Ce respect et cette considération peuvent être fondés par exemple
sur les compétences de cette personne mais aussi sur sa personnalité (ce qu’il
est) et les actions qu’il effectue (ce qu’il fait).
La vision de Levy-Leboyer85
à propos du leadership alimente ce paradigme.
Ainsi, selon lui, le leadership est un « processus d’influence sociale par lequel
un individu amène un groupe à atteindre des objectifs. Le leadership
n’implique pas seulement le fait de faire faire quelque chose à d’autres
individus, mais également la capacité à changer l’attitude des membres du
groupe, à les mobiliser et à entraîner leur adhésion à des buts communs.
De ce fait le leader doit savoir susciter les motivations et entraîner ceux qui
le suivent bien plus que les diriger de manière autoritaire ».
Le leader au sein d’un « esprit collectif évolué » peut néanmoins utiliser de
manière judicieuse son charisme (qui est une pure construction sociale comme
nous allons le voir) à bon escient, c’est-à-dire pour créer un sentiment de
fierté au sein de son groupe et ainsi faciliter le désir de ses membres de
s’impliquer dans les activités de celui-ci et de le faire évoluer positivement.
Cette fierté peut être due au fait d’appartenir à un groupe attractif et reconnu,
de posséder un leader compétent, charismatique et respecté à la fois à
l’intérieur et à l’extérieur de ce groupe,...L’idéal est donc de trouver un bon
85 Docteur en Psychologie, Lettres et Sciences Humaines.
37
compromis entre sentiment de fierté dû à l’admiration du leader (domaine
du pathos) et attitude réflexive/critique (domaine du logos).
Le leader du groupe doit donc être capable de manager les individus, leur
donner confiance en eux (en valorisant leur estime de soi via une
reconnaissance de leurs actes et de leur importance au sein du groupe86
), briser
leurs peurs/appréhensions notamment vis-à-vis du jugement des autres et de
l’incertitude quant à l’avenir de leurs idées (succès ou échec), les stimuler et
les solliciter régulièrement (ce qui permet de plus d’améliorer la
communication interindividuelle) et accepter d’être contredit par son
groupe (nécessite de l’humilité de sa part). Il doit appliquer une réelle
philosophie d’Intelligence Economique qui, selon Bernard Besson, « honore la
curiosité et accorde de l’importance aux talents délaissés ou sous-estimés. En
tant qu’intelligence collective, elle offre aux individus, salariés et citoyens, une
forme de reconnaissance inattendue au service de la collectivité ». Il doit
donc travailler via ce processus à optimiser la confiance en soi et l’estime de
soi des individus.
Offrir un soutien social87
aux individus peut également être utile pour
favoriser l’engagement, la prise de position des membres et la proposition
86 Besson souligne qu’une organisation doit pour se doter d’une culture
favorable à la pensée inventive démontrer que les innovations, petites ou
grandes, existent dans tous les domaines et sont à la portée de chacun.
L’innovation devient donc l’histoire commune aux membres de celle-ci.
87 L’individu est conforté dans ses croyances par d’autres personnes. House
définit quatre fonctions du soutien :
– Le soutien émotionnel : exprimer à une personne des affects ressentis à
son égard et qui lui apporte des sentiments d’assurance, protection… ;
– Le soutien d’estime : il consiste à rassurer une personne concernant ses
compétences et sa valeur ;
– Le soutien informatif : il implique des conseils, suggestions ou
propositions ;
– Le soutien matériel : il implique une assistance comme des services
rendus dans des moments critiques.
38
de nouvelles idées et de ce fait, enrayer le phénomène de « spirale du
silence »88
. Ainsi, un individu aura naturellement tendance à
s’auto-censurer au sein d’un groupe s’il se sent entièrement responsable de
ses idées (il peut ainsi éviter de proposer de nouvelles idées s’il juge cette
démarche risquée pour sa personne). Le leader peut donc très bien rassurer les
membres du groupe en les assurant de son soutien en prenant l’entière
responsabilité des idées proposées, ce quel que soit le destin de celles-ci
(qu’elles mènent à un succès ou à un échec). Un individu qui se sent délesté de
toute responsabilité par rapport à ses idées et prises de position (tant qu’elles
ont pour but de faire avancer positivement le groupe bien entendu) sera ainsi
beaucoup plus susceptible de se désinhiber et d’oser produire de nouvelles
idées en proposant de nouvelles possibilités au groupe. Pour générer un conflit
cognitif nécessaire à l’émergence de l’innovation, il faut donc que l’individu
« ose » adopter des comportements pouvant aller à l’encontre des normes,
règles, croyances et valeurs jusqu’alors préétablies. Le leader se doit donc
d’atténuer la dissonance cognitive de l’individu et plus généralement les
conflits de type intra-individuel89
en lui fournissant des cognitions
« désengageantes » de par la prise en charge des responsabilités liées à ses
Pour être perçus comme positifs, ces différents types de soutien social
doivent lui sembler cohérents avec leur source (famille, amis, professionnels
de santé,…) et en adéquation avec ses besoins et attentes.
88 Selon Noëlle-Neumann, « un individu, pour ne pas se retrouver isolé,
peut renoncer à son propre jugement. C’est là une condition de la vie dans
une société humaine. (…) Cette peur de l’isolement (non seulement la peur
qu’a l’individu d’être mis à l’écart, mais aussi le doute sur sa propre capacité
de jugement) fait, selon nous, partie intégrante de tous les processus
d’opinion publique. Là est le point de vulnérabilité de l’individu ; c’est là que
les groupes sociaux peuvent le punir de ne pas avoir su se conformer. Il y a un
lien étroit entre les concepts d’opinion publique, de sanction, et de
punition ».
89 Selon Galtung.
39
actes et l’acceptation du fait que l’« innovation naît toujours de la
désobéissance90
».
Encourager la distance de rôle91
pour désinhiber les individus peut s’avérer
judicieux. Il peut être intéressant d’organiser régulièrement au sein d’un
groupe des « jeux de rôle » en amenant les individus à adopter des
comportements sociaux bien différents de ceux qu’ils endossent
habituellement (par exemple des jeux de rôle contre-attitudinels92
), les
habituer à « jongler » entre différents rôles et ainsi briser leurs
peurs/appréhensions face au jugement et aux attentes des autres. Ce travail
de « jonglerie » peut également permettre aux individus d’élargir leur point de
vue, leur analyse et leur perception sur leur environnement nécessaire à
l’optimisation de la stratégie d’innovation au sein de l’organisation.
Ces jeux de rôle peuvent être très utiles pour désinhiber les individus et les
amener à relativiser leurs attitudes notamment en public par l’adoption de
nouveaux comportements et ainsi limiter le phénomène naturel de
rationalisation et de justification en cas de « dissonance cognitive ». Cette
désinhibition ne peut être que bénéfique pour le processus d’innovation car elle
permet de lutter contre l’auto-censure qui est, selon Besson, « une véritable
plaie ». Les individus doivent oser adopter des rôles différents de ceux
usuellement attendus par les autres. Surprendre le groupe via l’exploitation
de ce « conflit » peut être un bon moyen pour stimuler la créativité et
l’émergence de nouvelles idées.
Le leader doit pour terminer respecter le besoin naturel d’intimité des
individus, et faire attention à ne pas forcer les membres du groupe à être en
90 Expression de Michel Millot, professeur et consultant en design.
91 Ecart entre le rôle joué par l’individu et le rôle attendu par les autres.
92 Qui rentrent en opposition avec les attitudes et les croyances usuelles de
l’individu.
40
permanence en contact les uns avec les autres. Il doit donc encourager la
solidarité et les interactions au sein du groupe mais ne doit pas l’imposer à
tout prix car cela générerait des effets largement contre-productifs
(générerait de la frustration et de l’agacement chez les individus et donc
dégraderait les relations et le travail produit). La « dictature de la solidarité »
doit donc être, au même titre que la culture de l’individualisme, évitée.
Au contraire, il est préférable d’amener les individus à s’engager
eux-même librement93
dans cette voie en leur exposant les différents
avantages qu’ils ont à collaborer, à s’entraider et à co-construire de
l’intelligence (ce qui aura également pour but d’anticiper et prévenir les
conflits comme nous l’analyserons prochainement).
Enfin, le leader doit laisser s’exprimer les individus au sein du groupe et
ne doit surtout pas chercher à les censurer. Comme l’ont démontré
Wicklund et Brehm94
, les individus peuvent adopter un état de résistance
face à cette pression sociale qui déclenche en eux des motivations liées par
exemple à leurs croyances personnelles, au sentiment de leur indépendance
à conserver, aux valeurs qu’ils défendent ou bien à leurs engagements
divers. Cette liberté d’expression autorisée au sein du groupe sera non
seulement indispensable pour désinhiber les individus et les amener à devenir
des membres actifs au sein de celui-ci, mais aussi pour anticiper et prévenir
les potentiels conflits liés à la frustration des individus qui se sentiraient
« étouffés » par le groupe.
93 Selon Joule et Beauvois, l’engagement volontaire et « libre » d’un individu
génère des effets beaucoup plus forts chez cet individu que si celui-ci subit une
contrainte ou pression externe.
94 Chercheurs ayant étudié l’effet de réactance chez les individus.
41
4. La motivation intrinsèque comme moteur de l’innovation
De nombreux chercheurs comme Dan Ariely95
avec l’aide de collègues du
MIT (Massachusetts Institutes of Technology)96
ont effectué des expériences
pour déterminer comment optimiser l’émergence de l’innovation et de la
créativité chez les individus. Il est important de souligner que ces expériences
ont été menées dans le monde entier sur des groupes d’individus issus de
cultures très variées97
. L’ensemble de ces études ont mené à la conclusion que
les récompenses ou les menaces (motivation extrinsèque) réduisent le champ
de vision, de pensée et de perception des individus et nuisent à l’émergence
de l’innovation et de la créativité. La motivation extrinsèque fonctionne
uniquement lorsque les tâches à effectuer sont de nature mécanique et non
véritablement réflexives et analytiques. Le fait de motiver financièrement ou
matériellement les individus, au lieu d’optimiser la créativité et la
génération d’idées nouvelles nuit donc clairement à ce processus
d’innovation, ce qui bouleverse clairement les anciens paradigmes
managériaux. Le management dans sa conception traditionnelle développée
lors du 20ème siècle (basée sur un fonctionnement hiérarchique et sur la
motivation extrinsèque pour stimuler les individus) est ainsi très bon pour
obtenir de l’obéissance de la part des individus. Cependant il est préférable
pour produire de la vraie « intelligence collective » de privilégier l’autonomie
et l’engagement des individus plutôt que la contrainte représentée par le
système de récompense-sanction.
95 Professeur américain en psychologie et économie comportementale.
96 ARIELY Dan, GNEEZY Uri, LOWENSTEIN George, MAZAR Nina,
Federal Reserve Bank of Boston Working Paper no. 05-01 - July 2005, NY
Times, 20 Nov. 08.
97 Ce qui renforce considérablement la pertinence des résultats obtenus.
42
Daniel Pink98
analyse comment optimiser l’émergence de ces processus
positifs en se basant sur des expériences en Sciences Humaines menées sur le
sujet. Il dégage, à partir des résultats obtenus, un nouveau système de
fonctionnement basé sur trois principes fondamentaux de motivation
intrinsèque prônant une meilleure prise en compte des désirs profonds de
l’individu99
:
– L’autonomie : le désir de diriger nos propres vies ;
– La maîtrise : le désir de s’épanouir dans quelque chose qui compte
pour nous ;
– Le but : le sentiment que ce que nous faisons s’inscrit dans quelque
chose de plus important que nous.
Il rajoute que la plupart des problèmes nécessitant de faire appel à
l’innovation et à la créativité ne peuvent généralement être résolus qu’en
adoptant un point de vue extérieur à la situation. La motivation intrinsèque
selon lui permet d’élargir les capacités d’analyse et de réflexion des
98 Auteur et journaliste américain ayant travaillé de 1995 à 1997 pour le
Vice-Président Al Gore en tant que speechwriter.
99 Un exemple clair est donné avec l’encyclopédie Wikipedia. Au cours des
années 90, Microsoft éditait l’encyclopédie Encarta en payant cher des
professionnels qualifiés pour produire du contenu de qualité (environ
40 000 articles). En 2001 est arrivé un nouveau service en ligne, Wikipedia
(www.wikipedia.org/), géré par la Wikimedia Foundations. Ce service est basé
sur le modèle de la libre contribution des internautes sans aucune récompense
pour le travail fourni, mais seulement sur le plaisir des individus à produire
du travail non-rémunéré (la philosophie de ce projet est basée sur la
motivation intrinsèque et pas sur l’extrinsèque) qui vienne enrichir une
dynamique mondiale basée sur l’intelligence collective des participants.
Wikipedia a réussi à supplanter Encarta (qui s’est arrêtée en 2009) et est
aujourd’hui l’encyclopédie la plus complète au monde. De nombreux tests
s’accordent à dire qu’elle ne comporte pas beaucoup plus d’erreurs que les
encyclopédies traditionnelles, et serait même plus fiable pour les informations
d’actualité! ! (source :http://www.protegez-vous.ca/technologie/wikipedia-une-
encyclopedie-fiable.html).
43
individus, favorisant l’émergence de nouvelles solutions. Selon Pink, la seule
contrainte qui ne nuise pas à ce processus est de dire aux individus que le
travail doit être fait (fixation d’objectifs). A partir de cet objectif, les
individus qui se voient conférés une autonomie sur l’organisation et leurs
méthodes de travail sont généralement bien plus satisfaits et heureux de
participer à ces tâches et on assiste à une amélioration claire de la qualité
du travail produit ainsi que de l’engagement des individus par rapport à
leur travail.
Le leader doit donc préférer la motivation intrinsèque dans son mode de
management afin de favoriser l’émergence de l’innovation et de la
créativité au sein de son groupe et donner envie aux individus de s’engager
pleinement dans l’évolution positive de celui-ci.
5. Le charisme, une construction sociale
Le charisme, nécessaire à la stratégie de leadership n’est pas un trait de
personnalité inhérent à l’individu mais une construction sociale.
Dans un article consacré à Steve Jobs publié sur le site de datajournalism
Owni100
, Denis Colombi101
analyse le concept de charisme via l’étude du
co-fondateur d’Apple, ancien véritable ambassadeur de la marque dans le
monde. Selon lui, « comme tout charisme, celui de Steve Jobs n’a pas besoin
de résider dans des capacités exceptionnelles réelles. Il suffit que les autres,
et plus particulièrement un petit groupe actif rassemblé autour du leader,
soient convaincus de l’exceptionnalité de celui-ci. Si nous analysions les
situations d’un individu en tenant compte de toutes les interactions ayant
100 http://owni.fr/2011/10/06/le-charisme-d-un-leader-economie-steve-jobs-ap
ple/
101 Agrégé de sciences sociales, professeur de sciences économiques et
sociales, doctorant en sociologie.
44
autorisé l’émergence d’un Jobs, c’est tout un groupe qui devrait être
valorisé. Comme écrivait Proudhon, il y a dans le groupe quelque chose de
plus, une « propriété » supplémentaire, dont la sommation simple des capacités
des individus qui le compose ne pourra jamais tenir compte… ».
La prise en compte de l’origine de ce « pouvoir d’influence » par les
membres du groupe peut être très utile pour leur permettre de relativiser et
atténuer leur fascination (basée sur l’affect) et donc débrider la réflexion de
leur part, encourageant ainsi le processus d’innovation.
6. Pourquoi et comment influencer le leader afin de
produire une innovation nécessaire mais non sollicitée par
la hiérarchie ?
Le leader étant un être humain, il est soumis à de nombreux « pièges »
psychologiques et biais cognitifs qui peuvent fausser ses capacités
perceptives, réflexives et analytiques et ainsi nuire au bon fonctionnement du
processus d’innovation dans l’organisation. Ces pièges peuvent-être par
exemple :
– Le piège abscons102
;
102 Le piège abscons est un piège psychologique qui se crée dans l’esprit d’un
individu lorsque celui-ci est engagé dans une série d’actes coûteux. Si ces actes
ne produisent pas de résultats attendus et espérés par l’individu, celui-ci aura
énormément de mal à renoncer et à remettre en cause son engagement, car il
remettrait alors en cause l’intégralité de ses efforts et de son engagement
matériel ou temporel qu’il a concédé pour parvenir à ce but. Par exemple, un
joueur de loto jouant depuis de nombreuses années et n’ayant jamais gagné de
sa vie aura de fortes chances de persévérer dans ce comportement car
abandonner reviendrait à reconnaître qu’il a joué pour rien depuis tout ce
temps. Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois analysent ce phénomène
psychologique inhérent à l’individu en utilisant l’exemple d’un couple qui
refuse de se séparer : « les raisons de poursuivre la cohabitation, sinon
l’alliance, furent nombreuses. Il y eut d’abord les amis communs, puis vinrent
45
– Le syndrome du lampadaire : l’individu se persuade que la solution se
situe dans son environnement proche et s’interdit d’imaginer d’autres
possibles ;
– Le syndrome de la grenouille : l’individu se focalise sur un point
particulier jusqu’à en oublier les raisons, et manque ainsi l’objectif principal ;
– La fixation du détail : l’individu apporte une réponse à tout prix pour
faire face à une situation d’urgence alors que l’enjeu est ailleurs et que la
décision sera contre productive ;
– La fuite en avant : l’individu construit l’avenir à partir d’une projection
du passé, en se référant à des situations déjà vécues pour lesquelles des parades
ont été bénéfiques. Il peut donc, comme tout être humain, ne pas être
rationnel dans ses prises de décision.
Voici d’autres facteurs pouvant affecter sa rationalité décisionnelle décrits
par Jean-Luc Hannequin103
:
– L’acceptable : il est parfois plus facile de raisonner à partir d’éléments
socialement acceptables plutôt que d’adopter un raisonnement à partir
d’éléments factuels ;
– La pression : les situations de contraintes fortes conduisent à s’arrêter sur
des détails, à privilégier des éléments de formes ou de présentation ;
– Le raccourci : l’individu pense aller à l’essentiel souvent par manque de
temps, de motivation ou de ressource suffisante (connaissances et
compétences).
l’éducation des enfants et la maison achetée à crédit, jusqu’à ce que ne
demeure que la plus lourde d’entre elles : l’inaptitude à vivre autre chose. A ne
pas reconnaître cette raison, ils évitent ainsi de reconnaître que les précédentes
n’étaient en définitive que les éléments d’un piège abscons ou d’une
dramatique escalade d’engagement ».
103 Spécialiste en Intelligence Economique et Innovation et Directeur du
Centre Européen d’Entreprise et d’Innovation d’Ille et Vilaine (Créat’IV).
46
Le leader peut également emprunter par mégarde des « fausses routes » qui
peuvent s’avérer très dommageables pour le groupe si elles ne sont pas évitées.
Celles-ci peuvent être la conduite au rétroviseur104
, le risque d’endogamie105
,
le mirage de la tendance106
et le mythe du champion107
.
Le leader peut donc, de manière tout à fait naturelle car humaine, adopter
des décisions non rationnelles influencées par sa propre perception
forcément subjective car générée par ses propres mécanismes psychologiques et
cognitifs. Il est donc important pour limiter ce risque que celui-ci ne soit pas
aveuglé par ses propres convictions et soit à l’écoute des autres membres
du groupe.
Cet aveuglement pourra le conduire à adopter des raisonnements par
schéma et routine, avec une application de solutions « ordinaires » ou
prendre des décisions en réaction à une situation plutôt qu’à partir d’une
analyse complète de l’environnement et du contexte. Les membres du
groupe doivent donc être attentifs et « pro-actifs » dans la stratégie du
groupe, en proposant de nouvelles idées et solutions pouvant améliorer le
processus décisionnel géré par le leader (par exemple en apportant de
nouvelles informations comblant des « zones d’ignorance108108
» mises en
évidence ou soulever de nouvelles questions générant de nouveaux besoins
informationnels et cognitifs pour le groupe).
104 Construire l’avenir à partir d’une projection du passé, en se référant à des
situations déjà vécues pour lesquelles des parades ont été bénéfiques.
105 Focaliser son attention sur les concurrents, innover par imitation, suivre
l’effet de mode, rechercher les consensus.
106 L’individu analyse une information déjà obsolète.
107 Le charisme d’une personnalité devient la norme, un standard, un modèle
de réussite.
108 « Informations inconnues et ignorées ». (Hayek)
47
Analysons maintenant comment les membres du groupe peuvent amener
le leader à modifier sa perception vis-vis de son environnement et
influencer ses décisions dans le but d’amener le groupe à évoluer positivement.
Tout d’abord, il peut être utile de sensibiliser le leader à ses propres failles
et biais cognitifs. Le but sera donc d’amener naturellement celui-ci à une
véritable prise de conscience par rapport à ses propres faiblesses
psychologiques et cognitives (qui constituent le premier pas vers la lutte
contre celles-ci), puis à l’importance des différents risques qui peuvent être
encourus par le groupe. Utiliser des exemples d’organisation ayant subi
des préjudices importants pour cause de mauvaise perception de son
environnement ayant généré des mauvaises décisions peut aider à faire
passer le message.
Ensuite, il peut être utile de sensibiliser le leader au fait que l’ignorance
au sein d’un groupe a un coût réel (temps, ressources
humaines/financières,...) en répertoriant des cas concrets de besoins
informationnels non comblés pouvant engendrer de fortes dépenses pour
pallier ces manques.
La crise étant naturelle et arrivant tôt ou tard, il n’est en règle générale pas
difficile de le sensibiliser à ses conséquences potentiellement dramatiques pour
le groupe ou l’organisation. Ainsi, générer un sentiment de peur ou
d’impuissance face à une crise mal gérée au sein du groupe et générant des
préjudices très importants, peut être un très bon moyen de sensibiliser la
hiérarchie à l’importance de la prise en compte de certaines idées ou
problématiques qui auraient été oubliées ou négligées. Pour optimiser ce
processus de sensibilisation et amener à un changement réel et profond, il faut
impliquer clairement le leader dans le travail de lutte contre des crises
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Comment créer un contexte social favorable à l'intelligence collective et l'innovation thomas bonnecarrere

  • 2. Comment créer un contexte social favorable à l’intelligence collective et l’innovation ?
  • 3. Thomas Bonnecarrere Comment créer un contexte social favorable à l’intelligence collective et l’innovation ? Analyse de l’esprit collectif évolué et de l’émergence des nouvelles idées au sein d’un groupe d’individus Intelligence Collective, Innovation, Motivation, Société, Pouvoir, Information, Communication, Psychologie Sociale
  • 4. Vous souhaitez soutenir l'auteur de ce livre ? Vous pouvez commander un exemplaire physique à cette adresse : http://www.atramenta.net/books/comment-creer-un-contexte-soci al/170 Cette création est mise à disposition selon le Contrat Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported disponible en ligne http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/ ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California 94105, USA. La connaissance est faite pour être partagée. L’auteur vous encourage à diffuser ce document. Illustration de la couverture : Water brushes par Dirk Wüstenhagen
  • 5. A Bruno, pour son éternel enthousiasme et son soutien ainsi qu’à tous les amoureux du partage de la connaissance
  • 6. Fondateur de l’IFIC International (Institut Francophone de l’Intelligence Collective) Nous sommes en train de vivre une révolution extraordinaire dont nous avons à peine conscience. Le chaos dans lequel nous vivons préfigure de grands changements et des étapes d’adaptation sans précédents dans l’histoire de l’homme. La complexité et l’incertitude de notre environnement font naître de nouvelles opportunités qui, si elles sont saisies, peuvent permettre à nos sociétés de créer de nouveaux modes d’organisation à mêmes de relever le formidable défi qui nous unit tous en ce début du 21ème siècle. Je suis résolument optimiste quant à notre avenir. Il est cependant nécessaire pour réaliser ces transformations de faire appel à l’ensemble de nos savoir-être et savoir-faire. La cognition collective ou le savoir-faire ensemble devient un enjeu majeur pour nos économies de demain. La mobilisation de l’intelligence collective développe une force réellement capable de penser « hors du cadre » et d’imaginer « d’autres possibles ». Cette mobilisation des intelligences et des volontés ne peut cependant s’effectuer qu’en réformant nos schémas mentaux et donc nos anciennes chaînes de commandement de nos systèmes pyramidaux qui privilégient les savoirs issus du « haut » et délaissent une grande quantité d’autres intelligences du « bas ». C’est l’objectif poursuivi par Thomas dans cet ouvrage. J’ai dévoré ce concentré d’analyse sur les phénomènes et mécanismes psychologiques, cognitifs et sociologiques concernant l’émergence d’un nouveau mode de pensée. En proposant un nouveau paradigme à propos de la mobilisation et du développement de l’intelligence collective et de l’innovation, il tente de donner des clés de compréhension pour appréhender ces phénomènes collectifs. J’ai trouvé dans ce livre un très beau support d’inspiration et de réflexion pour tous ceux qui souhaitent développer ces thématiques d’intelligence et Préface de Philippe CLEMENT
  • 7. d’innovation. Thomas est un aventurier de la psyché groupale et voyage dans des zones non conscientes et en émergence. C’est un chercheur et c’est donc tout naturellement que je lui ai proposé d’intégrer l’IFIC, afin d’allier nos talents et compétences et explorer les nouvelles voies prometteuses qui s’offrent à nous, grâce à notre réseau de chercheurs et d’experts internationaux. En espérant que ce livre vous permette également de nourrir vos propres réflexions et vous donne envie, à vous aussi, de participer à cette extraordinaire aventure qu’est l’intelligence collective. IFIC : http://www.institutific.com
  • 8. le« La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans tous les recoins de l’esprit » John Maynard Keynes « La créativité individuelle peut être détruite par une incitation au conformisme...Les injonctions à agir rationnellement inhibent les aptitudes à se comporter de manière créative » Harold J. Leavitt
  • 9. I. Réflexions initiales 1 II. Analyse de quelques concepts fondamentaux 11 1. Analyse du concept d’individu 11 2. Analyse du concept de groupe 17 A. L’identité sociale et les relations intergroupes 18 B. Les statuts et rôles 21 C. La cohésion 22 D. Les interactions 23 E. Les décisions de groupe 27 III. Réflexions et analyses approfondies 31 1. L’organisation comme individu 31 2. De la nécessité du dialogue...et du conflit dans l’innovation 32 3. Le leader du groupe et son rôle au sein de celui-ci 34 4. La motivation intrinsèque comme moteur de l’innovation 42 5. Le charisme, une construction sociale 44 6. Pourquoi et comment influencer le leader afin de produire une innovation nécessaire mais non sollicitée par la hiérarchie ? 45 IV. Le management de l’intelligence collective, des connaissances, de l’ignorance et des antagonismes 50 1. Le management de l’intelligence collective 50 2. Les communautés de pratique 52 3. Exploiter la mémoire, l’analyse et le réseau 53 Sommaire
  • 10. A. La mémoire de l’organisation 53 B. Le réseau 55 C. L’analyse 59 D. Prévenir et manager les antagonismes 62 4. Valoriser les échecs pour désinhiber les individus et optimiser le processus d’innovation 72 5. De la nécessité de l’anonymat pour favoriser la proposition de nouvelles idées et lutter contre la polarisation des attitudes 73 Conclusion 77 Bibliographie 78
  • 11. Réflexions initiales Nous allons à travers ce document tenter d’analyser en détail quels phénomènes et mécanismes psychologiques, cognitifs et sociologiques entrent en jeu dans la génération du processus d’innovation et l’émergence de nouvelles idées au sein d’un groupe d’individus1 . Nous partirons d’un premier constat faisant émerger un paradoxe au niveau des « effets collectifs » issus des groupes d’individus, que nous nommerons « paradoxe groupal ». L’individu est ainsi plus intelligent en groupe (génération d’une « intelligence collective2 », de l’innovation/créativité qui constituent des effets bénéfiques). Cependant, l’individu plongé dans un groupe est également amené à perdre ses facultés intellectuelles et réflexives de par des phénomènes inconscients comme l’influence sociale3 , le conformisme4 , la preuve sociale5 , la contagion sociale6 , l’état agentique7 ou 1 Nous précisons que la notion de groupe dans notre analyse fera référence à un groupe « secondaire » (un groupe structuré à l’intérieur d’une organisation sociale où les relations sont davantage déterminées par des codes et où les membres ont entre eux des relations plus ou moins imposées pendant la durée où ils sont ensemble) et « formel » (les membres y ont une place assignée et des rôles prescrits notamment par une structure hiérarchique). Nous rajouterons que certaines parties de ce document seront plus adaptées aux organisations/entreprises, même si elles peuvent très bien être transposées dans les autres genres de groupes humains. Enfin, nous soulignerons que certaines parties feront références à des relations intergroupes (notamment dans la notion de « management des antagonismes ») qui feront en fait référence à des sous-groupes générés au sein du groupe global que nous nous proposons d’étudier. 2 Nous analyserons ce concept prochainement. 3 « Processus régissant les modifications de perception, de jugement, d’opinion, d’attitude ou de comportement d’un individu, provoquée par sa connaissance des perceptions, jugements, opinions d’autres individus ». (Doise) 1
  • 12. la pensée groupale8 qui influencent son comportement, ses attitudes et donc sa perception vis-à-vis de son environnement et de lui-même. Un individu en groupe est donc pour résumer à la fois plus intelligent (combinaison de toutes les intelligences pour créer une forme de connaissance plus évoluée) mais aussi plus « stupide » (il perd ses facultés critiques et réflexives au profit de l’acceptation de normes et règles imposées par le groupe et d’une opinion majoritaire qui n’a pas forcément toujours « raison » (cf. expérience de Asch sur le conformisme9 ). L’individu plongé en contexte social ou groupal devient selon notre thèse une partie intégrante de ce que nous appellerons un esprit collectif (esprit basé 4 « Attitude sociale qui consiste à se soumettre aux opinions, règles, normes, modèles qui représentent la mentalité collective ou le système des valeurs du groupe auquel on a adhéré, et à les faire siens » (Mucchielli) ; « Modification de croyances ou de comportements par laquelle un individu répond à divers types de pressions d’un groupe, en cherchant à se mettre en accord avec les normes ambiantes par l’adoption de comportements approuvés socialement ». (Fischer) 5 « Habituellement, quand un grand nombre de gens fait quelque-chose, c’est que c’est la meilleure chose à faire ». (Cialdini) 6 « Phénomène par lequel des sentiments, des opinions ou des comportements initialement exprimés par un ou quelques individus se propagent à tout groupe dans un contexte social donné ». (Fischer) 7 Ce phénomène a été étudié par Milgram dans sa célèbre expérience sur la soumission à l’autorité. Dans un contexte de soumission face à une autorité légitime, l’individu se déresponsabilise de ses comportements et est plus enclin à poursuivre ceux-ci si la source d’autorité lui assure qu’elle endosse l’entière responsabilité les concernant. Il devient, selon Milgram, l’« agent exécutif d’une volonté étrangère ». 8 « Tout se passe comme si les rapports d’amitié, la solidarité ou l’esprit de corps qui règnent dans les groupes incitaient les individus à adopter cette pensée non critique et groupale au détriment de la pensée indépendante et critique. Elle y sera source d’illusions, d’impudences et d’idées toutes faites. Et aura pour résultat une moindre efficacité intellectuelle, une moindre prise sur la réalité, un affaiblissement des jugements moraux ». (Moscovici) 9 Consultable à cette adresse : http://www.youtube.com/watch? v=pUC3d-Qu3KU 2
  • 13. sur la fusion de l’ensemble des esprits individuels présents), inspiré de l’expression « âme collective » mise en évidence par les travaux de Gustave Lebon10 et Emile Durkheim11 . Nous partirons du principe dans notre analyse que le groupe constitue une entité supérieure à la somme des individus qui le composent. Nous garderons également à l’esprit que pour favoriser le processus d’innovation et d’intelligence collective au sein d’un groupe, il faut à tout prix éviter une uniformisation et polarisation12 des attitudes des individus pouvant être générée par une grégarisation13 de ceux-ci. Nous allons distinguer deux sortes d’esprit collectif générés par un contexte de groupe. Le premier, que nous nommerons esprit collectif primaire n’est pas vraiment favorable à l’émergence de l’innovation et de l’intelligence collective car basé sur la soumission, l’acceptation de l’existant et l’absence de conflit cognitif (favorisant la perte de conscience et de réflexion individuelle). Le deuxième que nous nommerons esprit collectif évolué est quant à lui favorable à la remise en cause de l’existant, à la proposition et prise en compte de nouvelles idées, à l’émergence d’un 10 « Évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l’individu en foule. Il n’est plus lui-même, il est devenu un automate que sa volonté ne guide plus ». (Lebon) 11 « En s’agrégeant, en se pénétrant, en se fusionnant, les âmes individuelles donnent naissance à un être, psychique si l’on veut, mais qui constitue une individualité psychique d’un genre nouveau ». (Durkheim) 12 Phénomène par lequel les opinions des individus d’un groupe deviennent de plus en plus extrémistes au fur et à mesure que l’attention de ces derniers se focalise sur les différences qu’ils perçoivent entre leur propre groupe et les autres. 13 Tendance instinctive qui pousse des individus d’une même espèce à se rassembler et à adopter un même comportement (source : http://www.cnrtl.fr/definition/gr%C3%A9garisation). 3
  • 14. « conflit cognitif » et donc à l’innovation. Nous allons donc étudier au travers de ce document comment manager un groupe d’individus afin de parvenir à générer un contexte favorable à l’innovation via la formation d’un esprit collectif évolué14 . Voici en résumé les différentes caractéristiques de ces deux types d’esprit : Esprit collectif primaire Esprit collectif évolué Peu de conflit cognitif. Le groupe est régi par une majorité établie exerçant une forte pression sur les individus (pression majoritaire) via des normes15 rigides favorisant une uniformisation des comportements et attitudes. Conflit cognitif permanent (proposition incessante de nouvelles idées par les individus). Les individus analysent, critiquent et remettent en cause en permanence la majorité et les représentations sociales16 . L’influence minoritaire est favorisée et encouragée dans le groupe par des normes souples favorisant l’impact social17 . Les 14 Nous préciserons qu’il peut bien entendu y avoir d’autres formes d’esprit collectif, dont les caractéristiques empruntent à la fois au primaire et à l’évolué. Nous nous focaliserons cependant ici uniquement sur les deux esprits collectifs décrits dans ce document, notre but étant d’analyser comment optimiser les processus d’intelligence collective et d’innovation, véritablement favorisés au sein d’un esprit collectif évolué. 15 « Type de pression cognitive et psychosociale se référant à des valeurs dominantes et des opinions partagées dans une société. Elle s’exprime sous forme de règles de conduite plus ou moins explicites en vue d’obtenir des comportements appropriés socialement ». (Fischer) 16 « Système de valeurs, de notions et de pratiques relatives à des objets, des aspects ou des dimensions du milieu social qui permet non seulement la stabilisation du cadre de vie des individus et des groupes mais qui constitue également un élément d’orientation de la perception des situations et d’élaboration des réponses » (Moscovici). Jodelet résume ce concept par « une forme de pensée sociale ». 4
  • 15. individus produisent de l’analyse, de la réflexion, de la critique par rapport aux différentes normes et rôles sociaux18 ainsi que des idées nouvelles. Ils conservent leur individualité, leurs capacités cognitives et inventives et disposent d’une vision /perception élargie Union idéologique prônée au sein du groupe (les individus obéissent à une idéologie dominante) et division physique (individu isolé) qui a pour effet de rendre la divergence d’opinion difficile Diversité idéologique encouragée pour optimiser la lecture collective19 et union physique (solidarité au sein des membres) encouragée mais non forcée qui a pour but de faciliter la divergence d’opinion Déviance20 proscrite. Effet de polarisation21 favorisé Déviance encouragée. Effet de polarisation atténué Pas de management de l’intelligence collective Management de l’intelligence collective 17 Nous analyserons cette théorie prochainement. 18 Nous analyserons prochainement comment favoriser cette prise de recul sur les rôles par les individus, indispensable pour éviter une intériorisation trop forte de ceux-ci pouvant potentiellement générer des effets fortement négatifs (cf. expérience de Zimbardo sur la prison de Stanford consultable ici : http://www.youtube.com/watch?v=FkmQZjZSjk4). 19 Nous analyserons cette pratique prochainement. 20 « Résistance individuelle aux pressions sociales, qui s’exprime par le développement d’une motivation négative liée au sentiment d’une perte de son indépendance et qui se traduit par une tendance à vouloir retrouver sa liberté perdue ». (Fischer) 21 Nous analyserons ce concept prochainement. 5
  • 16. L’information et sa maîtrise est le fruit de l’exercice de l’autorité22 (provoque une uniformisation des perceptions et donc des réalités individuelles L’information est pluraliste (permet une diversité des représentations et réalités) et sa maîtrise est pratiquée collectivement (chaque membre est encouragé à avoir un rôle dans ce processus) La communication interindividuelle est restreinte ou mal optimisée et est basée sur une conception « technique »23 . Structure de communication24 centralisée La communication interindividuelle est largement favorisée. Les individus sont encouragés à dialoguer et échanger des points de vue afin d’optimiser la négociation et la cohabitation25 au sein du groupe (conception anthropologique de la communication). Structure de communication décentralisée 22 Selon Dominique Wolton, fondateur et directeur de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS (ISCC), la maîtrise de l’information est fondamentale aussi bien pour les pouvoirs que pour les contre-pouvoirs à l’échelle du monde car elle permet de créer une représentation de la réalité. Elle ne joue cependant pas un rôle automatique dans les rapports de force car il reste un nombre important de résistances chez les récepteurs. Wolton parle ainsi de « récepteur-acteur ». 23 Une définition de ce terme sera donnée prochainement. 24 Nous analyserons ce concept prochainement. 25 Selon les analyses de Wolton, Libaert et d’Almeida que nous présenterons prochainement. 6
  • 17. Culture basée sur des certitudes profondes et la non remise en question des savoirs existants considérés comme « absolus » Culture de l’ignorance et de l’étonnement au sein du groupe (recherche constante de nouveaux problèmes et de solutions26 ) Autorité du leader basée sur la fascination, le charisme et la peur. Forme de pouvoir abusif27 Autorité du leader basée sur les compétences, la considération et le respect. Forme de pouvoir modéré Style de management et de leadership autocratique et transactionnel28 Style de leadership consultatif et transformationnel et style de management puisant dans le leader social, l’intégrateur et le démocratique-persuasif Système de fonctionnement basé sur l’obéissance29 et la récompense/sanction (motivation extrinsèque) et la compétition intragroupe bridant l’imagination et la créativité des individus Système de fonctionnement basé sur l’engagement volontaire, l’autonomie, la maîtrise et le but30 (motivation intrinsèque) et la coopération intragroupe débridant l’imagination et la créativité des individus Pas de management des antagonismes31 Management des antagonismes 26 Selon le cycle de « question-réponse » mis en évidence par Bernard Besson, expert en Intelligence Economique que nous analyserons prochainement. 27 Nous définirons cette notion prochainement. 28 Nous aborderons ce concept ainsi que les autres styles de management / leadership prochainement. 29 « Modification du comportement à travers laquelle un individu répond par la soumission à un ordre qui lui vient d’un pouvoir légitime ». (Fischer) 30 Selon la définition de Daniel Pink que nous allons étudier prochainement. 7
  • 18. Groupe soudé par des stéréotypes et la discrimination32 par rapport aux individus déviants ou appartenant à un autre groupe Groupe soudé par des valeurs communes, un respect et une écoute mutuelle Un exemple d’esprit collectif primaire Prenons un exemple on ne peut plus explicite d’esprit collectif primaire qu’est une société totalitaire. Dans ce genre de société (qui est, comme le souligne Tönnies33 un groupe d’individus ayant pris conscience de lui-même et qui a décidé de vivre en accord avec un projet collectif), les individus sont unis autour d’une idéologie forte. La remise en cause de cette idéologie et de ce fait de l’ensemble des « représentations sociales » est donc proscrite (condamnée socialement). Le conflit cognitif est ainsi peu favorisé et le phénomène d’innovation ne peut être généré que très difficilement. Ces individus, bien qu’étant unis autour d’une même idéologie, sont isolés et l’individualisme est d’ailleurs fortement prescrit (valorisé socialement). La solidarité est une valeur qui n’est pas du tout mise en avant au sein de la société, rendant ainsi difficile la formation de groupes contestataires ou « divergents » par rapport à l’ordre établi. De plus, l’émergence de nouvelles idées est d’autant plus difficile que ce genre de société base la plupart de ses discours sur l’affect/émotion (pathos) comme l’appel à la peur ou au sentiment d’insécurité et non sur la réflexion (logos). Les individus sont ainsi habitués à percevoir leur environnement via le prisme de leurs émotions et non via une approche posée, analytique, critique et réflexive nécessaire à 31 Nous étudierons comment effectuer cette pratique ultérieurement. 32 Nous analyserons ces trois concepts prochainement. 33 Sociologue et philosophe allemand. 8
  • 19. l’innovation. L’information, qui possède le pouvoir d’« influencer la réalité » dans l’esprit des individus de par les représentations mentales et les réflexions qu’elle développe chez eux34 et sa maîtrise n’est pratiquée que par l’autorité ou des médias (diffuseurs d’information) opérant une sélection dans celle-ci (manipulation analysée par la théorie de l’« agenda setting » de McCombs et Shaw35 ). Ces diffuseurs n’impliquent pas non plus les individus dans le processus de collecte, d’analyse, de traitement de l’information et d’émergence de nouvelles idées. La communication interindividuelle est restreinte et centralisée, bridant ainsi les processus de négociation et de cohabitation pouvant potentiellement remettre en cause les représentations sociales. Les conflits intergroupes sont exploités par l’autorité pour générer chez les individus un meilleur « esprit de groupe » et une conformité plus grande aux normes36 . Les leaders agissent en autocrates, le conflit leur permettant d’imposer des règles et consignes claires et précises et d’obtenir un respect des normes plus important37 . Enfin, les individus déviants et réactants38 ne sont pas intégrés dans les discussions, négociations et réflexions collectives. Ils sont rejetés voire diabolisés et combattus pour 34 Nous n’irons pas jusqu’à dire « créer la réalité » car comme nous l’avons vu, l’individu est un être complexe doté de résistances mentales et non un simple récepteur passif. 35 Selon ces deux chercheurs, les médias de masse (diffuseurs d’information) exercent un effet sur la formation de l’opinion publique en attirant l’attention de l’audience sur certains événements et en négligeant d’autres. De ce fait, ils ne fabriquent pas l’opinion mais l’influencent en orientant la perception (et donc la « réalité ») des individus de par le choix des informations traitées. 36 Selon les analyses d’Hinkle et Schopler. 37 Selon les analyses de Fiedler et Chemers. 38 Nous analyserons ces concepts prochainement. 9
  • 20. maintenir le système en place et la cohésion sociale fondés sur l’ensemble des règles, normes et valeurs préétablies qui sont imposées aux individus. Le groupe « idéal39 » dans le cadre d’une stratégie d’innovation est donc un groupe « ouvert d’esprit » qui se permet d’imaginer une multitude de futurs possibles et non un groupe qui se focalise uniquement sur une voie, refusant d’imaginer d’autres possibilités d’évolution. Pour résumer : ➢ Dans un esprit collectif primaire, le futur du groupe est déterminé uniquement par le leader, seul maître de l’évolution de celui-ci ➢ Dans un esprit collectif évolué, les membres du groupe ont la possibilité d’influencer la stratégie organisationnelle et ce, quel que soit leur statut au sein de celui-ci. Le leader écoute donc les idées des membres et les prend potentiellement en compte dans la stratégie et le processus décisionnel Analysons maintenant de manière détaillée les différents concepts qui doivent être analysés et pris en compte dans ce processus complexe de création d’un contexte favorable à l’innovation. 39 Nous employons dans le cadre de cette étude le terme « idéal » pour qualifier le groupe dont le but est d’accomplir des actions nécessitant de produire de l’innovation et de l’intelligence collective pour atteindre ses objectifs. Cette vision visant à innover sans cesse pour faire face à un environnement en perpétuel changement est, comme nous allons l’analyser, parfaitement adapté aux enjeux du 21ème siècle. L’esprit collectif primaire est quant à lui adapté à des groupes dont le seul objectif est la simple production par les membres de tâches mécaniques et ne nécessitant pas de réflexion de leur part (vision machiniste et productiviste). 10
  • 21. II. Analyse de quelques concepts fondamentaux 1. Analyse du concept d’individu Un individu est un être doté de cognitions40 (croyances, codes moraux, valeurs41 ,...) issues pour la plupart d’une culture42 provenant de son éducation et de son expérience (composée de succès et d’échecs). Ces cognitions génèrent ses propres paradigmes43 , sa propre perception et interprétation qu’il produit sur lui-même ainsi que sur son environnement proche et lointain et de ce fait sa réalité propre. Il cherche en général à maintenir un équilibre entre ces différentes cognitions en adoptant une attitude (domaine de la pensée) et en produisant des comportements (domaine de l’action) conformes à celles-ci. 40 « Connaissance, opinion ou croyance sur l’environnement, sur soi-même ou sur son propre comportement ». (Festinger) 41 « Principes qui orientent l’action d’un individu, d’un groupe. Elles sont influencées par les systèmes éthiques, moraux, et religieux qui ont cours dans le groupe auquel l’individu appartient » (Colmant). Elles constituent un ensemble cohérent hiérarchisé, sont purement subjectives et varient selon les cultures. « Les valeurs représentent des manières d’être et d’agir qu’une personne ou qu’une collectivité reconnaissent comme idéales et qui rendent désirables et estimables les êtres ou les conduites auxquelles elles sont attribuées. Elles sont appelées à orienter l’action des individus dans une société en fixant des buts, des idéaux. Elles constituent une morale qui donne aux individus les moyens de juger leurs actes et de se construire une éthique personnelle ». (Fischer) 42 « Processus par lesquels les valeurs, les normes et les aptitudes sont transmises dans le cadre de la famille et de l’entourage » ou « héritage social ». (Colmant) 43 Ici dans le sens « représentation du monde ». 11
  • 22. L’individu possède un soi44 , un idéal de soi et soigne en règle générale sa présentation de soi45 en société. La perception et l’imagination de l’individu est ainsi largement influencée par l’ensemble de ses cognitions. Celui-ci a de fait tendance à enfouir mentalement ses échecs (qui constituent des éléments peu agréables dans l’esprit de l’individu) et préfère se focaliser sur ses réussites (mentalement plus faciles à supporter et valorisantes pour son estime de soi)46 . Selon le concept d’attribution causale d’Heider, « les individus se comportent en analystes naïfs ou en scientifiques spontanés en cherchant les causes inobservables des actions observables ». Une personne utilise ainsi en règle générale deux types d’explications dans ses jugements intra et interpersonnels : – L’explication dispositionnelle, centrée sur les propriétés psychologiques de l’individu (l’intention, la capacité, la responsabilité,...) ; – L’explication situationnelle, centrée sur le contexte de l’événement (caractéristiques de la situation, difficulté de la tâche, chance,...). 44 Selon Fischer, « le Soi ou identité personnelle constitue l’image que nous avons de nous-même. Ce concept se compose de deux aspects : l’estime de soi et la conscience de soi. La conscience de soi se distingue elle-même en conscience de soi personnelle et conscience de soi publique. Une des expressions de la conscience de soi publique est la présentation de soi qui revêt dans un certain nombre de cas des formes stratégiques ». 45 Selon Goffman, c’est l’image qu’un individu souhaite donner aux autres. Elle permet de gérer les relations interindividuelles car elle permet aux autres de mieux cerner notre identité et de savoir comment ils doivent nous considérer. Il est important de retenir que l’attitude et le comportement des individus vis-à-vis de nous dépendent en très grande partie de l’impression qu’ils ont envers nous. 46 Nous relativiserons toutefois ces propos car la culture de l’individu joue un grand rôle dans ces phénomènes psychologiques inconscients (les échecs sont par exemple bien mieux acceptés dans la culture anglo-saxonne). 12
  • 23. Par nature, un individu adopte dans ses jugements un « biais d’auto-favoritisme ». Il va ainsi privilégier la plupart du temps les explications dispositionnelles pour expliquer ses réussites (ex : j’ai réussi grâce à mon travail/ma persévérance,...) et à l’inverse ses échecs par des explications situationnelles (ex : si je n’ai pas réussi, c’est à cause des autres, de la malchance,...). Il choisit donc très souvent les explications qui l’arrangent le plus pour ne pas ressentir de malaise intérieur et préserver son estime de soi. La peur (du jugement des autres, de la sanction sociale ou autre) est un sentiment naturel chez l’être humain mais qui est malheureusement extrêmement néfaste à l’innovation. Elle nuit ainsi très sérieusement à la réflexion (bride les capacités analytiques et réflexives des individus) ainsi que la créativité et l’émergence des idées nouvelles. Celle-ci doit donc être combattue afin que les individus puissent laisser libre cours à leur intelligence inventive et créative et imaginer de nouveaux « futurs » pour le groupe. Nous allons voir prochainement comment limiter cette émotion. Un individu a naturellement besoin d’estime et de considération pour s’épanouir réellement et optimiser ses capacités d’imagination et de créativité (cf. théorie de Maslow sur la hiérarchie des besoins47 ). Les différents « rôles » qu’un individu adopte en société conditionnent largement sa perception et donc sa réflexion et ses actions. Une trop forte soumission à la pression sociale et au rôle attendu48 peut ainsi amener l’individu à modifier 47 Selon Maslow, il existe une hiérarchie dans les besoins d’un individu. Ces besoins vont du plus « vital » (se nourrir,...) au plus évolué comme l’épanouissement personnel). Nous préciserons toutefois que ce modèle possède de nombreuses limites et n’est absolument pas absolu et irréfutable. Ainsi, il n’a étudié dans ses recherches qu’une population occidentale et instruite pour construite cette théorie. 48 Nous aborderons ce concept ultérieurement. 13
  • 24. de lui-même et de manière totalement inconsciente sa propre attitude (et donc sa perception du monde et de lui-même) via une intériorisation trop forte des attentes normatives (avec des questions auto-régulatrices de type « Comment suis-je sensé percevoir/comprendre ceci ? », « Mon attitude est-elle « normale » ? »,...). Il est donc véritablement nécessaire de s’affranchir des attentes sociales et normatives pour produire des idées qui soient véritablement le fruit des réflexions individuelles et pas le fruit de ses attentes sociales ou de pseudo-réflexions individuelles influencées inconsciemment par les autres. Selon Brehm, l’individu possède une palette de comportements qu’il peut utiliser dans l’immédiat ou plus tard. Il s’agit de potentiels qui ont trait à sa manière de vivre la liberté et toute atteinte au sentiment qu’il peut en avoir produira une réaction par laquelle il cherchera à la retrouver. Cet effet de « réactance » devra être pris en compte dans notre stratégie managériale. L’individu peut également se dépersonnaliser (perdre son caractère « unique ») et se déresponsabiliser lorsqu’il est plongé dans un groupe. Festinger, Pepitone et Newcomb suggèrent ainsi que l’individu se sent moins responsable de ses actes lorsqu’il est en groupe, car il ne ressent pas ses comportements comme individuels (différents de ceux des autres et identifiés comme tels). Zimbardo énumère différentes caractéristiques de la dépersonnalisation comme l’anonymat ou la similitude dans l’habillement qui constituent un « obstacle au désir d’être repéré comme unique ». Il est important de souligner que cette impossibilité de repérer son caractère unique peut accroître le comportement agressif d’un individu en l’amenant à adopter un comportement « déviant » pour se particulariser au sein du groupe. 14
  • 25. L’individu peut ne pas être rationnel dans sa prise de décision, et adopter des comportements et attitudes influencés par : – L’acceptable : il est parfois plus facile de raisonner à partir d’éléments socialement acceptables plutôt que d’adopter un raisonnement à partir d’éléments factuels ; – La pression : les situations de contraintes fortes conduisent à s’arrêter sur des détails, à privilégier des éléments de formes ou de présentation,... ; – Le raccourci : par manque de temps, de motivation, de ressources suffisantes (connaissances et compétences), on pense aller à l’essentiel ; Ses prises de décision peuvent de plus être réalisées en réaction à une situation plutôt qu’à partir d’une analyse complète du contexte induisant des raisonnements par schéma et routine qui conduisent à des solutions « ordinaires ». L’individu est également un être rationalisant49 (à défaut d’être rationnel !) qui cherche à préserver un équilibre interne ou une « consonance » entre ses différentes cognitions. Ces cognitions se divisent en trois degrés : – La cognition neutre : elle n’a pas de lien véritable avec les autres cognitions ; – La cognition consonante : elle s’accorde avec d’autres cognitions de l’individu (ex : je suis écologiste et je trie mes déchets) ; – La cognition dissonante : elle ne s’accorde pas avec d’autres cognitions (ex : je suis écologiste et je prends une voiture pour faire 500 mètres). En cas de non conformité entre ces différentes cognitions, l’individu ressent un état de tension psychologique que Festinger nomme « dissonance cognitive50 » (ex : un écologiste est amené par un concours de circonstances à produire un comportement contraire à ses croyances et valeurs prônées 49 Selon Festinger, les individus ajusteraient à posteriori leurs opinions, croyances et idéologies au comportement qu’ils viennent de réaliser. 15
  • 26. habituellement. Ce comportement va provoquer chez lui un état de tension car il ne rentre pas en accord avec son attitude usuelle. Il y a donc de fortes chances pour qu’il cherche à justifier ce comportement et essaie de trouver une explication valable pour le rationaliser et retrouver son état initial d’équilibre cognitif. 50 Selon Festinger, c’est la présence simultanée d’éléments contradictoires dans la pensée de l’individu. Cette dissonance est souvent le résultat d’un désaccord entre attitudes (pensées) et comportements (actes). La dissonance cognitive entraîne chez l’individu un état de malaise, une tension psychologique désagréable qu’il va tenter de réduire en instaurant une stratégie permettant de réduire cette tension : – Stratégie de rationalisation : réduire la dissonance tout en conservant attitudes et comportements ; – Ajouter des éléments consonants : justifier le comportement dissonant en ajoutant un élément ; – Minimiser l’importance des éléments dissonants ; –Modification d’un des éléments dissonants : l’individu peut changer de comportement ou d’attitude. Zajonc résume la théorie de la dissonance cognitive par les neuf propositions suivantes : – La dissonance cognitive est un état pénible ; – L’individu essaie de réduire ou d’éliminer la dissonance cognitive et d’éviter tout ce qui l’augmenterait ; – Dans un état de consonance cognitive l’individu éviterait tout ce qui pourrait produire de la dissonance ; – L’intensité de la dissonance cognitive varie en rapport direct avec l’importance des cognitions concernées ou la proportion de cognitions ayant une relation dissonante ; – L’intensité des tendances décrites en 2 et 3 est en rapport direct avec l’intensité de la dissonance ; – La dissonance cognitive peut être réduite ou éliminée soit en ajoutant de nouvelles cognitions ou bien en changeant des cognitions existantes ; – Ajouter de nouvelles cognitions réduit la dissonance quand les nouvelles cognitions renforcent les éléments consonants et diminuent donc la proportion des éléments cognitifs qui sont dissonants ou bien quand les nouvelles cognitions diminuent l’importance des éléments cognitifs en état 16
  • 27. 2. Analyse du concept de groupe Analyser ce concept fondamental ainsi que l’ensemble de ces composantes nous permettra par la suite d’aborder des analyses visant à optimiser les effets collectifs produits par le groupe puisant ou faisant un lien étroit avec les différents concepts que nous allons présenter maintenant. Posons d’abord une définition globale de ce concept. Dans le domaine de la Psychologie Sociale, le groupe peut être défini51 comme un « ensemble d’individus qui se perçoivent comme membres d’une même catégorie, qui attachent une certaine valeur émotionnelle à cette définition d’eux-mêmes et qui ont atteint un certain degré de consensus concernant l’évaluation de leur groupe et de leur appartenance à celui-ci ». Il est important de souligner que le groupe n’est pas une simple foule ou agrégat52 social. Nous retiendrons que le groupe de dissonance ; – Changer des cognitions existantes réduit la dissonance quand leur nouveau contenu les rend moins inconsistants ou que leur importance diminue ; – Cette augmentation ou ce changement de cognitions peut se faire en changeant les aspects cognitifs de l’environnement, "par l’action". Source : GOSLING Patrick, RIC François, Psychologie sociale, Volume 2, Bréal. 51 Selon la définition de Tajfel et Turner. 52 « Au sens ordinaire, le mot foule représente une réunion d’individus quelconques, quels que soient leur nationalité, leur profession ou leur sexe, quels que soient aussi les hasards qui les rassemblent. Au point de vue psychologique, l’expression foule prend une signification tout autre. Dans certaines circonstances données, et seulement dans ces circonstances, une agglomération d’hommes possède des caractères nouveaux fort différents de ceux de chaque individu qui la compose. La personnalité consciente s’évanouit, les sentiments et les idées de toutes les unités sont orientés dans une même direction. Il se forme une âme collective, transitoire sans doute, mais présentant des caractères très nets. La collectivité devient alors ce que, 17
  • 28. implique une prise de conscience par les individus de l’appartenance à celui-ci ainsi qu’un système d’échanges entre ces personnes. A. L’identité sociale et les relations intergroupes L’identité sociale constitue, selon Fischer, un « processus psychologique de représentation qui se traduit par le sentiment d’exister en tant qu’être singulier et d’être reconnu comme tel par autrui. Il donne lieu à une estime de soi et à une conscience de soi ». Elle met en évidence que la perception que l’individu a de lui est déterminée par son appartenance au groupe. De ce fait, les relations intergroupes sont marquées par cette conscience d’appartenance. Selon Frédérique Autin, la catégorisation sociale est « un outil cognitif qui segmente, classe et ordonne l’environnement social et qui permet aux individus d’entreprendre diverses formes d’actions sociales »53 . Elle rajoute que la catégorisation sociale définie également la place de chacun dans la société. On parle d’appartenance groupale lorsque les individus se définissent eux-mêmes et sont définis par les autres comme membres du groupe. Les groupes sociaux fournissent donc à leurs membres une identification sociale appelée « identité sociale ». L’identité sociale est définie comme la partie du concept de soi d’un individu qui résulte de la conscience qu’à l’individu d’appartenir à un groupe social ainsi que de la valeur et de la signification émotionnelle qu’il attache à cette appartenance. faute d’une expression meilleure, j’appellerai une foule organisée, ou, si l’on préfère, une foule psychologique. Elle forme un seul être et se trouve soumise à la loi de l’unité mentale des foules ». (Le Bon) 53 Source : www.prejuges-stereotypes.net/.../autinIdentiteSociale.pdf 18
  • 29. Tajfel54 a étudié les relations intergroupes en se basant sur cette théorie de l’identité sociale55 . Il a ainsi mis en évidence que les relations entre les groupes d’individus se fondent sur cette prise de conscience qui induit chez les individus une catégorisation56 . Cette catégorisation va générer de la discrimination au sein des relations entre les groupes. La discrimination constitue selon Fischer un « comportement qui se traduit par un traitement méprisant et vexatoire d’individus ou de groupes qui sont l’objet de préjugés ». Ainsi, « le préjugé agit comme un cadre de référence et la discrimination est considérée comme un processus d’opérationalisation ». Ses travaux lui ont permis de mettre en évidence ce qu’il nomme « paradigme des groupes minimaux » où il démontre que le seul fait d’appartenir à un groupe est une condition suffisante pour que les individus produisent des comportements discriminatoires par rapport à d’autres groupes. Les catégorisations se divisent en deux catégories57 : – La catégorisation simple. Il existe une dichotomie entre la catégorie d’appartenance de l’individu et l’autre catégorie. Le fait d’appartenir à un groupe implique ainsi la non appartenance à l’autre (ex : sexe masculin et féminin) ; 54 TAJFEL Henri, BILLIG Michael, BUNDY Robert, FLAMENT Claude, Social categorisation and intergroup behaviour, European Journal of Social Psychology, pp. 149-178 cité et traduit par Geneviève Vinsonneau, Inégalités sociales et procédés identitaires, Armand colin. Document consultable ici : http://tinyurl.com/7knteal 55 Comme nous venons de le voir, la perception que l’individu a de lui est déterminée par son appartenance de groupe. Ainsi, les relations intergroupes sont marquées par cette « conscience d’appartenance ». 56 « Processus socio-cognitif par lequel l’individu découpe et organise différents ensembles sociaux en les classant dans des catégories qui vont accentuer les différences perçues entre lui et les autres groupes ». (Fischer) 57 Selon l’analyse de Deschamps et Doise. 19
  • 30. – La catégorisation croisée. Il existe une dichotomie entre sa première catégorie d’appartenance (selon une première catégorisation) qui ne se recouvre pas mais qui croise avec sa catégorie d’appartenance et l’autre catégorie selon une seconde catégorisation (ex : deux groupes de personnes composés chacun d’hommes et de femmes qui s’opposent d’un point de vue idéologique). Doise a également étudié les relations intergroupes et a mis en évidence un phénomène de « différenciation catégorielle ». Selon lui, « les membres appartenant à un même groupe ont tendance à se percevoir comme étant plus semblables entre eux et comme plus différents lorsqu’ils se comparent aux membres d’un autre groupe ». Il démontre également que les différenciations au niveau de la perception induisent des différenciations au niveau des jugements intergroupes et s’expriment par des comportements discriminatoires vis-à-vis des autres groupes. Le processus naturel de catégorisation sociale va générer dans l’esprit des individus des stéréotypes et des préjugés. Les stéréotypes constituent, selon Leyens, des croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles d’un groupe de personnes. Pour Lippmann, ils désignent les catégories descriptives simplifiées basées sur des croyances et par lesquelles nous qualifions d’autres personnes ou d’autres groupes sociaux. Les stéréotypes peuvent générer des effets négatifs car, comme le soutiennent certains chercheurs comme Leyens, ils auraient un effet direct sur les performances du groupe et notamment quand ils sont rendus saillants, activés58 . Les préjugés constituent quant à eux une « attitude de l’individu comportant une dimension évaluative, souvent négative, à l’égard de types 58 Source :http://www.psychologie-sociale.com/index.php? option=com_content&task=view&id=42&Itemid=28 20
  • 31. de personnes ou de groupes, en fonction de sa propre appartenance sociale. C’est donc une disposition acquise dont le but est d’établir une différenciation sociale »59 . Rosenberg et Abelson rajoutent que le préjugé présente les caractéristiques de toute attitude et se compose d’une dimension cognitive et d’une dimension comportementale. Ainsi, il est le fruit d’une combinaison entre une croyance et une valeur. Fischer complète cette analyse en disant que le stéréotype se caractérise par son uniformité tandis que le préjugé a un caractère d’appréciation plus vaste qui intègre un ensemble de stéréotypes divers relatifs à la race, au sexe, à la religion ou à une classe sociale donnée. Si le stéréotype est plutôt descriptif et collectif, le préjugé serait plus individuel et normatif. Le préjugé exprime ainsi le caractère structural des représentations sociales, tandis que les stéréotypes désignent leur caractère fonctionnel. B. Les statuts et rôles Fischer nous donne une définition de ces deux concepts. Selon lui, le statut désigne la position objective occupée en fonction du niveau social. Il englobe un ensemble de caractéristiques objectives qui déterminent la place d’un individu sur une échelle sociale. Le rôle peut être considéré comme l’aspect dynamique et subjectif du statut. Il désigne un modèle de conduite prescrite à un individu, lié aux exigences du statut, en fonction des attentes du groupe. Les rôles se composent ainsi : – Le rôle « prescrit ». Rôle qui est socialement demandé à une personne compte tenu du statut qui est le sien ; – Le rôle « attendu ». Rôle qui est attendu de la part des individus ; 59 Selon la définition de Fischer. 21
  • 32. – Le rôle « voulu ». Rôle souhaité par l’individu ; – Le rôle « joué ». Rôle qui est finalement interprété et joué par l’individu. Selon Fischer, le rôle et le statut ne sont pas des données immuables. Ils évoluent dans le temps en suivant le fonctionnement de chaque groupe particulier. L’individu peut cependant volontairement ou involontairement ne pas se soumettre à son ou ses rôles socialement prescrits, créant ainsi une divergence entre les attentes du groupe et son comportement réel. On parle alors de « conflit de rôle », que Kahn divise en quatre types : – Le conflit personnel. Se produit quand les attentes d’un individu sont incompatibles avec les valeurs du groupe dans lequel il évolue ; – Le conflit intra-émetteur. L’émetteur énonce des directives contradictoires à quelqu’un qui se voit forcé de contrevenir à une partie des demandes ; – Le conflit inter-émetteurs : se produit quand des demandes contradictoires sont adressées à un individu par un ou plusieurs émetteurs ; – Le conflit inter-rôles : est généré par la présence de deux émetteurs qui obligent un individu à se conformer à un autre. C. La cohésion La cohésion dans un groupe peut désigner plusieurs éléments : la force d’attraction, le moral du groupe ou encore la coordination des efforts de ses membres. Celle-ci peut être influencée par plusieurs facteurs : – L’homogénéité. Les membres d’un groupe sont d’avantage attirés par les personnes d’un statut équivalent. Les différences de statut font 22
  • 33. apparaître les différences d’intérêt et diminuent le niveau d’adhésion au groupe60 ;; – La menace externe. La menace aide un groupe à clarifier ses objectifs et incite ses membres à conjuguer leurs efforts vers un but commun61 ;; – La compétition intergroupes augmente la cohésion, alors que la compétition intragroupes la diminue. D. Les interactions Les interactions sociales constituent les systèmes et les types d’échange d’informations entre les individus d’un groupe. Bales propose une analyse des interactions au sein d’un groupe via la mise en évidence de plusieurs catégories62 : – Catégories centrées sur les relations interpersonnelles (socio-affectives), manifestations positives : 1 – Manifestation de solidarité, de sympathie, aide 2 – Détente et relâchement de tension 3 – Manifestation d’un accord – Catégories centrées sur le travail, manifestations positives : 4 – Suggestions 5 – Intervention exprimant l’avis, l’opinion 6 – Intervention directive, donnant des informations ou une orientation de travail 60 Selon l’analyse d’Adams. 61 Selon l’analyse de Stein. 62 Source : http://www.definitions-de-psychologie.com/fr/-20.html. 23
  • 34. – Catégories centrées sur le travail, manifestations négatives : 7 – Demande d’informations 8 – Demande d’avis, d’opinions 9 – Demande de suggestions – Catégories centrées sur les relations interpersonnelles, manifestations négatives : 10 – Manifestation de désaccord 11 – Manifestation de stress ou de gêne, de tension 12 – Attaque relationnelle, manifestation d’animosité Nous noterons toutefois que cette analyse est soumise à critique. Certains chercheurs soulignent ainsi que celle-ci ne permet pas de traiter les variables agissant sur les communications et ne traite que des interactions explicites, ne prenant pas en compte le niveau « latent » des interactions. Elle permet néanmoins d’offrir une bonne grille de lecture pour analyser les différentes interactions au sein d’un groupe. Analysons à présent le concept de pouvoir63 . Analyser ce concept est ici indispensable car inhérent à tout activité sociale. Pour Dahl, le pouvoir constitue une relation interindividuelle asymétrique entre des individus qui présentent une inégalité de ressources ou de capacités. C’est selon lui la « capacité d’une personne A d’obtenir qu’une personne B fasse quelque 63 Nous préciserons que nous analyserons ce concept selon sa conception relationnelle et non selon la théorie juridique traditionnelle qui définit le pouvoir comme une substance (que l’on a ou que l’on peut donc posséder). 24
  • 35. chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A »64 . Dahl souligne que la relation est toujours interactive, car il considère que la personne B participe aussi à l’exercice du pouvoir dans la manière dont elle réagit. Pour Crozier, « le pouvoir est une relation et non un attribut des acteurs ». Il est donc une « relation réciproque mais déséquilibrée ». Il rajoute que le pouvoir est « un rapport de force, dont l’un peut retirer davantage que l’autre mais où, également, l’un n’est jamais totalement démuni face à l’autre ». Selon Foucault, « le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert, s’arrache ou se partage, quelque chose qu’on garde ou qu’on laisse échapper mais s’exerce à partir de points innombrables, et dans le jeu de relations inégalitaires et mobiles ». Weber a mis en évidence un ensemble de concepts relatifs au pouvoir65 : – La puissance (Macht) : « toute chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance » ; – La domination (Herrschaft) : « chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé » ; Braud affirme que « le pouvoir exercé par un chef hiérarchique sur ses subordonnés n’est pas le même que celui du journaliste influent sur ses lecteurs ; l’ordre donné par un officier à ses hommes n’est pas assimilable aux suggestions faites par un conseiller à son ministre. Et pourtant dans tous les 64 DAHL Robert, « The concept of power », 1957. Consultable à cette adresse : http://tinyurl.com/7pqu98j 65 WEBER Max, Economie et société, Pocket, 2003, 410 p. 25
  • 36. cas, il y a capacité d’obtenir d’autrui quelque chose qu’il n’aurait pas fait autrement »66 . Il distingue ainsi deux sortes de pouvoir67 : – Le pourvoir d’injonction. Constitue un type de pouvoir avec emploi de la coercition. Il relève de la norme juridique, de la prescription morale ou de l’injonction de fait (cette dernière se produit lorsqu’un individu adopte un comportement qui correspond aux attentes implicites d’un autre individu). Il amène à distinguer deux garanties d’effectivité qui sont souvent étroitement articulées : 1. la coercition matérielle, qui renvoie aux textes législatifs ou réglementaires 2. la coercition psychique, qui renvoie à la condamnation morale – Le pouvoir d’influence. Constitue un type de pouvoir sans emploi de la coercition. Il repose soit sur la persuasion, la manipulation ou l’autorité. Son efficacité n’est pas garantie par des sanctions mais elle s’accompagne de moyens incitatifs (ex : gratifications, symboliques ou matérielles) ou utilise l’affect / pathos (ex : crainte ou respect). Analysons pour terminer la notion de légitimité inhérente à celle de pouvoir. La légitimité constitue les valeurs normatives. L’étendue du pouvoir dépend ainsi des caractéristiques de la source et de l’intériorisation de ces valeurs par la cible (le leader peut effectuer certaines actions car son statut lui confère ce droit aux yeux des membres du groupe). Weber construit également trois types idéaux de légitimité : 66 BRAUD Philippe, Du pouvoir en général au pouvoir politique, Traité de Science Politique, 1987 67 Source : http://www.le-politiste.com/2011_05_01_archive.html 26
  • 37. – La légitimité traditionnelle : repose sur « la validité de ce qui a toujours été » (croyance dans la sainteté des traditions) ; – La légitimité charismatique : repose sur les qualités exceptionnelles reconnues à un héros ou à un chef ; – La légitimité légale-rationnelle : repose sur la croyance dans la légalité des règlements. E. Les décisions de groupe Le processus décisionnel au sein d’un groupe a été largement étudié dans le domaine de la Psychologie Sociale. Celle-ci met en évidence plusieurs éléments à prendre en compte dans l’analyse de ce processus. Tout d’abord, les facteurs de la décision, composés notamment de la structure de communication, du style de tâche et du style de leadership. La structure de communication représente selon Fischer le type de réseau d’échanges qui préside à la communication entre les membres, en vue de réaliser leurs tâches. Les recherches menées par Bavelas et Leaviti sur les structures de communication ont servi de référence pour étudier leur influence sur les prises de décision et démontré que la structure de communication est définie par la nature de la tâche à accomplir. Ainsi, si celle-ci est simple, la structure de communication centralisée peut être efficace. Si elle est complexe, alors il est préférable d’opter pour une structure de communication décentralisée. Le type de tâche constitue la réalisation d’une activité comportant souvent un problème à résoudre. On distingue selon Steiner les tâches additives (qui sont à la charge de l’ensemble des membres du groupe), les tâches conjointes (qui supposent l’interdépendance), les tâches disjointes 27
  • 38. liées à la différenciation des apports de chacun et les tâches combinatoires qui impliquent une coordination. Le style de leadership (ou type d’autorité) joue également un rôle important dans le processus de prise de décisions. Analysons ce concept. Pour Hemphill et Coons, le leadership constitue le comportement d’une personne dirigeant les activités d’un groupe dans le but d’atteindre un objectif commun. Pour Barrow, c’est un style comportemental visant à influencer des individus ou des groupes afin d’atteindre des objectifs fixés. Enfin, pour Chemers, c’est un processus d’influence sociale au cours duquel une personne est capable de s’assurer le concours d’autrui pour l’exécution d’une tâche collective. De nombreux chercheurs ont étudié l’influence du style de leadership dans le fonctionnement des groupes. Un modèle démontrant le lien entre trois styles de leadership et le type de décision de groupe qui en résulte a été développé par Vroom et Yetton : – Le modèle autocratique, basé sur une prise de décision centralisée pouvant se traduire par un recueil d’informations ponctuelles, avant prise de décision par le leader ; – Le modèle consultatif, fait précéder la décision d’échanges, pour évaluer divers aspects du problème. La décision finale revient cependant au leader ; – Le modèle facilitatif, se traduit par une prise de décision en groupe. Deux autres styles de leadership ont également été mis en évidence : le leadership transactionnel et transformationnel. Le leadership transactionnel passe, selon Hellriegel et Slocum68 , par la motivation et la direction des subordonnés au moyen de pratiques 68 HELLRIEGEL Don, SLOCUM John, Management des organisations, De Boeck, 2006, 727 p. 28
  • 39. contingentes fondées sur la récompense. « Le leader transactionnel tend à donner la priorité à la tactique de la carotte (mais parfois du bâton) à définir les attentes et les objectifs de résultats et à traiter ses troupes en fonction des résultats ». Ces deux chercheurs rajoutent que ce modèle se compose de trois éléments principaux qui amènent les subordonnés à atteindre les objectifs de résultat : – Récompenses contingentes. Le leader identifie un itinéraire qui relie la réalisation des objectifs aux récompenses, échange des promesses de soutien et des ressources à cette fin, conclut des accords mutuellement satisfaisants, négocie l’octroi de moyens, échange de l’assistance contre du travail et dispense des éloges pour un travail réussi ; – Management actif par exception. Le leader contrôle le résultat de ses subordonnés, prend des mesures coercitives en cas de divergence par rapport aux normes et applique des règles pour empêcher les erreurs ; – Management passif par exception. Le leader intervient quand les problèmes deviennent sérieux mais peut attendre, pour agir, que les problèmes soient portés à son attention. Le « leadership transformationnel » ou « transformateur », mis en évidence par Burns69 et complété par les analyses de Bass70 . Ces chercheurs ont utilisé ce concept pour décrire des situations où « l’émulation entre les leaders et les suiveurs accroît leur motivation et leur moralité ». « Transformationnel » qualifie donc le style des leaders qui réussissent à mobiliser et inciter leurs collaborateurs à se dépasser (ce qui nécessite de travailler la motivation et l’engagement des individus comme nous allons l’étudier prochainement). Le leader transformationnel doit parvenir à modifier 69 BURNS James, Leadership, New-York : Harper & Row, 1982, 544 p. 70 BASS Bernard, From transactional to transformational leadership : Learning to share the vision, Organizational Dynamics, Winter, pp. 19-31 29
  • 40. à la fois les comportements des collaborateurs, mais aussi et surtout leurs perceptions et croyances. Nous étudierons également prochainement comment opérer ce genre d’influence. Ce style de leadership repose sur 4 composantes décrites par Matthieu Poirot, Psychologue Social et Docteur en management71 : – Le charisme idéalisé : le leader suscite l’adhésion et le respect par l’exemplarité de ses comportements. Il fait ce qui est juste et non seulement ce qui est rentable ou pratique ; – La motivation par stimulation : le leader propose une vision motivante (souvent un idéal), établit des normes de travail élevées et réussit à convaincre ses collaborateurs de se dépasser. Il cherche à augmenter la confiance en soi de ses collaborateurs en se montrant optimiste et enthousiaste pour leur travail ; – La responsabilisation intellectuelle : le leader va stimuler la réflexion de ses collaborateurs afin de les aider à voir les problématiques sous un angle nouveau et à trouver par eux-mêmes les solutions aux problèmes ; – La considération individuelle : le leader prend le temps de connaître à minima les attentes et situations de chacun de ses collaborateurs. Il prodigue des conseils personnalisés et met en avant ce qu’il apprécie particulièrement dans le travail de chacun. Il trouve le temps dans son agenda de faire un travail en face à face pour soutenir individuellement la progression de ses collaborateurs. Poirot rajoute que la plupart des recherches menées sur cette théorie du leadership transformationnel mettent en évidence que ce style de leadership est le plus efficace dans un environnement de turbulence et d’adaptation continue, ce qui est donc parfaitement adapté à notre analyse de l’optimisation 71 Source :http://psychologiepositiveautravail.blogspot.com/2010/11/du-manag ement-au-leadership.html 30
  • 41. du processus d’innovation au sein d’un groupe, nécessaire pour faire face à ce genre d’environnement. III. Réflexions et analyses approfondies 1. L’organisation comme individu Une organisation peut-être comparée à un organisme vivant ou, comme le souligne Jacques Moreau72 , à un organisme « socio-vivant ». Comme tout organisme biologique, les cellules la composant (représentées par les individus) ont besoin d’être coordonnées, d’échanger des flux (dans le cas d’une organisation, nous parlerons de flux informationnels et communicationnels), d’interagir et chacune est absolument indispensable pour la survie et le bon fonctionnement de celui-ci. Pour favoriser les échanges entre les différentes « cellules », il faut selon Wolton prendre soin de créer un contexte favorable à la transmission et à la réception de l’information73 au sein de celles-ci. Ainsi, un contexte non favorable (comme dans le cas d’un esprit collectif primaire où les individus sont isolés et où la maîtrise de l’information est pratiquée seulement par l’autorité) entraînerait une rupture entre le contexte et l’état psychologique et cognitif des récepteurs, pouvant nuire fortement à la transmission des informations. Au même titre qu’un individu, l’organisation possède une mémoire (recensant son expérience composée de succès et d’échecs), un réseau relationnel (composé à la fois du réseau interne et externe de par les relations sociales des membres la composant), un besoin d’analyser et de décoder son 72 MOREAU Jacques, L’entreprise est un organisme vivant. Article consultable à cette adresse : http://www.jmn-moreau.com/images/stories/PDF/doc_230407_110240.pdf 73 Nous analyserons prochainement comment développer ce contexte. 31
  • 42. fonctionnement interne (connaissance de soi) ainsi que son environnement proche ou lointain (connaissance des autres et de sa place dans le monde) pour évoluer positivement dans celui-ci74 . Enfin, comme tout individu, une organisation tend à être soumise à des biais cognitifs pouvant perturber ses capacités analytiques, réflexives et décisionnelles. Elle peut ainsi être d’un « cruel conformisme » et se laisser largement influencer par les autres, en négligeant de développer sa propre « personnalité » et vision du monde pourtant nécessaire à l’innovation. Il est toujours plus rassurant de faire comme les autres plutôt que d’affirmer son originalité et sa différence... 2. De la nécessité du dialogue...et du conflit dans l’innovation En règle générale, une idée ne naît jamais à partir des simples réflexions d’un individu isolé. Elle est le fruit d’une interaction entre plusieurs personnes, d’un stimulus extérieur provenant par exemple de dialogues ou d’observations. Il est donc fondamental pour les individus de communiquer et d’interagir entre eux, d’échanger des points de vue afin de s’enrichir mutuellement afin de co-construire de nouvelles idées et de l’intelligence collective. Les individus devront donc être fédérés au sein du groupe ou de l’organisation et non isolés comme dans le cas d’un esprit collectif primaire. L’innovation nécessite également un conflit cognitif pour naître. Moscovici, dans sa théorie des « minorités actives » démontre que ce conflit est la base même du processus d’innovation. Arrêtons-nous tout d’abord sur cette notion de « conflit ». Brown définit le conflit comme un ensemble de comportements qui se traduit tantôt par des 74 Nous analyserons prochainement l’ensemble de ces concepts. 32
  • 43. évaluations, tantôt par des représentations, incompatibles et en opposition avec celles des autres groupes. Le conflit cognitif constitue ainsi une incompatibilité entre les croyances et représentations d’un groupe avec celles d’un autre groupe. Selon Moscovici, une innovation débute toujours par une minorité « active » qui va adopter un « style comportemental75 » bien ordonné. Cette minorité doit ainsi : – Etre constante et « diachronique » (doit perdurer à travers le temps) dans les idées qu’elle défend afin de conserver sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion générale ; – Etre « nomique » (le discours qu’elle prononce doit être clairement défini et différer du discours majoritaire) ; – Etre visible afin de pouvoir être entendue de tous et autonome (doit réellement laisser transparaître son indépendance vis-à-vis du mouvement dominant) ; –– EElle ne doit pas paraître trop « rigide » en apparence pour ne pas donner l’image aux individus d’un mouvement minoritaire refusant tout dialogue en contradiction avec ses idées. Cette discordance va entraîner naturellement la naissance d’un conflit auau seinsein desdes individus.individus. Le conflit va générer le débat (de par la captation et la réaction des individus sur le sujet abordé), et le débat va engendrer la prise de conscience et le changement progressif. Cette minorité consistante mais non « rigide » peut forcer les membres de la majorité à se lancer dans un processus de validation dans le sens où elle 75 « Type de comportement qui se caractérise par la capacité à gérer le conflit émergent entre la majorité et le minoritaire. Il se traduit par des prises de position qui cherchent à influencer la majorité tout en résistant à ses pressions ». (Fischer) 33
  • 44. oblige la majorité à analyser le contenu de son message de manière approfondie. Ainsi, Moscovici démontre que le conflit est nécessaire car il permet de mettre en place à la fois les conditions d’une attention dans la mesure où le comportement ou l’idée qui le provoquent deviennent plus saillants dans le champ social et les conditions d’une écoute en exprimant une idée de manière consistante qui va nourrir le débat public. Pour lui, la condition d’efficacité de l’influence minoritaire réside dans un système de réponse consistant qui doit s’accompagner de confiance en soi. Selon Fischer, « l’étude des minorités permet d’observer que majorité et minorité ne sont pas deux blocs rigides : leur influence respective est interactive et peut s’inverser au bénéfice de l’influence minoritaire. Ce ne sont donc pas les majorités qui détiennent de façon exclusive les systèmes d’influence ; elles sont à leur tour influencées par l’opinion des minorités et, en réaction, peuvent modifier leurs propres opinions, valeurs et modes de comportements ». Pour faciliter les processus d’influence minoritaire et d’innovation, il faut donc que le groupe tolère la « déviance » et le « conflit pacifiste » (se déroulant sur le plan cognitif et non physique). Il faut donc travailler à instaurer en son sein une véritable culture de l’écoute et de la tolérance pour prévenir la discrimination, nuisible à l’innovation. 3. Le leader du groupe et son rôle au sein de celui-ci Tout groupe d’individus doit comporter un leader afin de manager les personnes, coordonner leurs actions, prendre en charge la direction du groupe dans le but d’atteindre des objectifs précis et gérer les flux informationnels et communicationnels permettant de générer l’innovation. 34
  • 45. Le leader, dans un « esprit collectif primaire » fonde son type de leadership sur le modèle autoritaire76 et possède un style de management77 autocratique. Dans ce contexte, le leader utilise une forme de pouvoir abusif basé sur l’exploitation excessive des éléments suivants : – La légitimité ; – La référence. Elle constitue l’identification, l’attraction que la source exerce sur la cible ; – La récompense. Le leader a la possibilité de récompenser un individu et possède un pouvoir sur cette personne ; – La coercition. Le leader a la possibilité de punir un individu, matériellement ou psychiquement (sanction financière, sociale telle que le renvoi / bannissement du groupe,...). Le pouvoir du leader dans ce contexte est donc basé sur la reconnaissance du statut d’autorité par la majorité (légitimité), la soumission de celle-ci, l’état agentique mais aussi le sentiment d’admiration et de fascination voire de peur vis-à-vis de lui. Le leader, dans un esprit collectif primaire, fonde usuellement comme nous l’avons vu son autorité et son pouvoir sur le charisme (pouvoir d’influence) et sur la soumission naturelle des individus. Son autorité est donc difficilement contestable car la remettre en cause risquerait d’entraîner une sanction pour l’individu « déviant » (sanction financière, sociale (ex : 76 Selon Maisonneuve, ce type de leadership vise à influencer autrui directement et par pression externe ; ce genre contient d’ailleurs deux espèces : le chef autocratique, s’imposant par intimidation ou sanction sans se préoccuper des réactions d’autrui et le chef paternaliste, aux visées plus complexes car il veut à la fois être obéi, respecté et même aimé. 77 A partir de la définition de Blake et Mouton sur les deux dimensions du comportement du leader : orientation vers la tâche (production) et orientation vers les relations. 35
  • 46. l’individu déviant est exclu du groupe car il est considéré comme un marginal, un perturbateur,...)). Dans un esprit collectif évolué, le leader idéal sait s’adapter aux situations et a le sens des responsabilités78 . Il adopte un type de leadership coopératif79 et transformationnel s’inspirant également du type élucidateur80 mais aussi légèrement du transactionnel dans le seul but que les attentes et objectifs du groupe demeurent clairs et ne sombrent pas dans une ambiguïté trop grande81 . Son style de management puise dans le leader social82 , l’intégrateur83 et le démocratique-persuasif84 . Le leader exploite ainsi à bon escient les caractéristiques du pouvoir suivantes : – La légitimité ; 78 Selon l’analyse de Forsyth. 79 Selon Maisonneuve, il consiste à associer autrui sinon aux prises de décision, du moins à leur préparation et à leurs applications. Ici la distance entre le leader et les autres est donc beaucoup moins forte. Mais de même que le degré de coercition varie dans le mode autoritaire, le degré de "permissivité" peut varier dans le mode coopératif. 80 Toujours selon Maisonneuve, il vise à mettre le groupe en situation de décider collectivement après une prise de conscience de ses problèmes et processus. Cette attitude n’est pas à proprement parler un leadership. Elle exerce une sorte d’influence catalytique en facilitant la mise en œuvre des ressources internes du groupe. 81 Selon Hellriegel et Slocum dans leur livre Management des organisations. 82 Privilégie l’ambiance et le climat (évitement du conflit). Le rendement n’est qu’un moyen au service de la recherche de cohésion sociale. On laisse les subalternes autonomes (source :http://tinyurl.com/6wtcjzg). 83 Suscite l’engagement de son personnel autour des dimensions productives. Il s’attache à faire participer ses subalternes et à les impliquer sur les processus de planification et de contrôle des tâches. 84 Caractérisé selon Argyl par trois manières d’agir du leader : la motivation des individus grâce à l’explication et la persuasion plutôt que par les ordres, la possibilité donnée aux personnes de participer aux décisions et l’utilisation des techniques de discussion et de prise de décision de groupe. 36
  • 47. – La compétence. Constitue le pouvoir informationnel, la connaissance présumée de l’individu dans un domaine donné ; – La référence. Dans ce contexte, il fonde son autorité non pas sur la fascination et la peur exercée sur ses membres mais sur le respect, la considération et la prise en compte des individus dans le processus analytique, réflexif et décisionnel du groupe. Ce respect et cette considération peuvent être fondés par exemple sur les compétences de cette personne mais aussi sur sa personnalité (ce qu’il est) et les actions qu’il effectue (ce qu’il fait). La vision de Levy-Leboyer85 à propos du leadership alimente ce paradigme. Ainsi, selon lui, le leadership est un « processus d’influence sociale par lequel un individu amène un groupe à atteindre des objectifs. Le leadership n’implique pas seulement le fait de faire faire quelque chose à d’autres individus, mais également la capacité à changer l’attitude des membres du groupe, à les mobiliser et à entraîner leur adhésion à des buts communs. De ce fait le leader doit savoir susciter les motivations et entraîner ceux qui le suivent bien plus que les diriger de manière autoritaire ». Le leader au sein d’un « esprit collectif évolué » peut néanmoins utiliser de manière judicieuse son charisme (qui est une pure construction sociale comme nous allons le voir) à bon escient, c’est-à-dire pour créer un sentiment de fierté au sein de son groupe et ainsi faciliter le désir de ses membres de s’impliquer dans les activités de celui-ci et de le faire évoluer positivement. Cette fierté peut être due au fait d’appartenir à un groupe attractif et reconnu, de posséder un leader compétent, charismatique et respecté à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de ce groupe,...L’idéal est donc de trouver un bon 85 Docteur en Psychologie, Lettres et Sciences Humaines. 37
  • 48. compromis entre sentiment de fierté dû à l’admiration du leader (domaine du pathos) et attitude réflexive/critique (domaine du logos). Le leader du groupe doit donc être capable de manager les individus, leur donner confiance en eux (en valorisant leur estime de soi via une reconnaissance de leurs actes et de leur importance au sein du groupe86 ), briser leurs peurs/appréhensions notamment vis-à-vis du jugement des autres et de l’incertitude quant à l’avenir de leurs idées (succès ou échec), les stimuler et les solliciter régulièrement (ce qui permet de plus d’améliorer la communication interindividuelle) et accepter d’être contredit par son groupe (nécessite de l’humilité de sa part). Il doit appliquer une réelle philosophie d’Intelligence Economique qui, selon Bernard Besson, « honore la curiosité et accorde de l’importance aux talents délaissés ou sous-estimés. En tant qu’intelligence collective, elle offre aux individus, salariés et citoyens, une forme de reconnaissance inattendue au service de la collectivité ». Il doit donc travailler via ce processus à optimiser la confiance en soi et l’estime de soi des individus. Offrir un soutien social87 aux individus peut également être utile pour favoriser l’engagement, la prise de position des membres et la proposition 86 Besson souligne qu’une organisation doit pour se doter d’une culture favorable à la pensée inventive démontrer que les innovations, petites ou grandes, existent dans tous les domaines et sont à la portée de chacun. L’innovation devient donc l’histoire commune aux membres de celle-ci. 87 L’individu est conforté dans ses croyances par d’autres personnes. House définit quatre fonctions du soutien : – Le soutien émotionnel : exprimer à une personne des affects ressentis à son égard et qui lui apporte des sentiments d’assurance, protection… ; – Le soutien d’estime : il consiste à rassurer une personne concernant ses compétences et sa valeur ; – Le soutien informatif : il implique des conseils, suggestions ou propositions ; – Le soutien matériel : il implique une assistance comme des services rendus dans des moments critiques. 38
  • 49. de nouvelles idées et de ce fait, enrayer le phénomène de « spirale du silence »88 . Ainsi, un individu aura naturellement tendance à s’auto-censurer au sein d’un groupe s’il se sent entièrement responsable de ses idées (il peut ainsi éviter de proposer de nouvelles idées s’il juge cette démarche risquée pour sa personne). Le leader peut donc très bien rassurer les membres du groupe en les assurant de son soutien en prenant l’entière responsabilité des idées proposées, ce quel que soit le destin de celles-ci (qu’elles mènent à un succès ou à un échec). Un individu qui se sent délesté de toute responsabilité par rapport à ses idées et prises de position (tant qu’elles ont pour but de faire avancer positivement le groupe bien entendu) sera ainsi beaucoup plus susceptible de se désinhiber et d’oser produire de nouvelles idées en proposant de nouvelles possibilités au groupe. Pour générer un conflit cognitif nécessaire à l’émergence de l’innovation, il faut donc que l’individu « ose » adopter des comportements pouvant aller à l’encontre des normes, règles, croyances et valeurs jusqu’alors préétablies. Le leader se doit donc d’atténuer la dissonance cognitive de l’individu et plus généralement les conflits de type intra-individuel89 en lui fournissant des cognitions « désengageantes » de par la prise en charge des responsabilités liées à ses Pour être perçus comme positifs, ces différents types de soutien social doivent lui sembler cohérents avec leur source (famille, amis, professionnels de santé,…) et en adéquation avec ses besoins et attentes. 88 Selon Noëlle-Neumann, « un individu, pour ne pas se retrouver isolé, peut renoncer à son propre jugement. C’est là une condition de la vie dans une société humaine. (…) Cette peur de l’isolement (non seulement la peur qu’a l’individu d’être mis à l’écart, mais aussi le doute sur sa propre capacité de jugement) fait, selon nous, partie intégrante de tous les processus d’opinion publique. Là est le point de vulnérabilité de l’individu ; c’est là que les groupes sociaux peuvent le punir de ne pas avoir su se conformer. Il y a un lien étroit entre les concepts d’opinion publique, de sanction, et de punition ». 89 Selon Galtung. 39
  • 50. actes et l’acceptation du fait que l’« innovation naît toujours de la désobéissance90 ». Encourager la distance de rôle91 pour désinhiber les individus peut s’avérer judicieux. Il peut être intéressant d’organiser régulièrement au sein d’un groupe des « jeux de rôle » en amenant les individus à adopter des comportements sociaux bien différents de ceux qu’ils endossent habituellement (par exemple des jeux de rôle contre-attitudinels92 ), les habituer à « jongler » entre différents rôles et ainsi briser leurs peurs/appréhensions face au jugement et aux attentes des autres. Ce travail de « jonglerie » peut également permettre aux individus d’élargir leur point de vue, leur analyse et leur perception sur leur environnement nécessaire à l’optimisation de la stratégie d’innovation au sein de l’organisation. Ces jeux de rôle peuvent être très utiles pour désinhiber les individus et les amener à relativiser leurs attitudes notamment en public par l’adoption de nouveaux comportements et ainsi limiter le phénomène naturel de rationalisation et de justification en cas de « dissonance cognitive ». Cette désinhibition ne peut être que bénéfique pour le processus d’innovation car elle permet de lutter contre l’auto-censure qui est, selon Besson, « une véritable plaie ». Les individus doivent oser adopter des rôles différents de ceux usuellement attendus par les autres. Surprendre le groupe via l’exploitation de ce « conflit » peut être un bon moyen pour stimuler la créativité et l’émergence de nouvelles idées. Le leader doit pour terminer respecter le besoin naturel d’intimité des individus, et faire attention à ne pas forcer les membres du groupe à être en 90 Expression de Michel Millot, professeur et consultant en design. 91 Ecart entre le rôle joué par l’individu et le rôle attendu par les autres. 92 Qui rentrent en opposition avec les attitudes et les croyances usuelles de l’individu. 40
  • 51. permanence en contact les uns avec les autres. Il doit donc encourager la solidarité et les interactions au sein du groupe mais ne doit pas l’imposer à tout prix car cela générerait des effets largement contre-productifs (générerait de la frustration et de l’agacement chez les individus et donc dégraderait les relations et le travail produit). La « dictature de la solidarité » doit donc être, au même titre que la culture de l’individualisme, évitée. Au contraire, il est préférable d’amener les individus à s’engager eux-même librement93 dans cette voie en leur exposant les différents avantages qu’ils ont à collaborer, à s’entraider et à co-construire de l’intelligence (ce qui aura également pour but d’anticiper et prévenir les conflits comme nous l’analyserons prochainement). Enfin, le leader doit laisser s’exprimer les individus au sein du groupe et ne doit surtout pas chercher à les censurer. Comme l’ont démontré Wicklund et Brehm94 , les individus peuvent adopter un état de résistance face à cette pression sociale qui déclenche en eux des motivations liées par exemple à leurs croyances personnelles, au sentiment de leur indépendance à conserver, aux valeurs qu’ils défendent ou bien à leurs engagements divers. Cette liberté d’expression autorisée au sein du groupe sera non seulement indispensable pour désinhiber les individus et les amener à devenir des membres actifs au sein de celui-ci, mais aussi pour anticiper et prévenir les potentiels conflits liés à la frustration des individus qui se sentiraient « étouffés » par le groupe. 93 Selon Joule et Beauvois, l’engagement volontaire et « libre » d’un individu génère des effets beaucoup plus forts chez cet individu que si celui-ci subit une contrainte ou pression externe. 94 Chercheurs ayant étudié l’effet de réactance chez les individus. 41
  • 52. 4. La motivation intrinsèque comme moteur de l’innovation De nombreux chercheurs comme Dan Ariely95 avec l’aide de collègues du MIT (Massachusetts Institutes of Technology)96 ont effectué des expériences pour déterminer comment optimiser l’émergence de l’innovation et de la créativité chez les individus. Il est important de souligner que ces expériences ont été menées dans le monde entier sur des groupes d’individus issus de cultures très variées97 . L’ensemble de ces études ont mené à la conclusion que les récompenses ou les menaces (motivation extrinsèque) réduisent le champ de vision, de pensée et de perception des individus et nuisent à l’émergence de l’innovation et de la créativité. La motivation extrinsèque fonctionne uniquement lorsque les tâches à effectuer sont de nature mécanique et non véritablement réflexives et analytiques. Le fait de motiver financièrement ou matériellement les individus, au lieu d’optimiser la créativité et la génération d’idées nouvelles nuit donc clairement à ce processus d’innovation, ce qui bouleverse clairement les anciens paradigmes managériaux. Le management dans sa conception traditionnelle développée lors du 20ème siècle (basée sur un fonctionnement hiérarchique et sur la motivation extrinsèque pour stimuler les individus) est ainsi très bon pour obtenir de l’obéissance de la part des individus. Cependant il est préférable pour produire de la vraie « intelligence collective » de privilégier l’autonomie et l’engagement des individus plutôt que la contrainte représentée par le système de récompense-sanction. 95 Professeur américain en psychologie et économie comportementale. 96 ARIELY Dan, GNEEZY Uri, LOWENSTEIN George, MAZAR Nina, Federal Reserve Bank of Boston Working Paper no. 05-01 - July 2005, NY Times, 20 Nov. 08. 97 Ce qui renforce considérablement la pertinence des résultats obtenus. 42
  • 53. Daniel Pink98 analyse comment optimiser l’émergence de ces processus positifs en se basant sur des expériences en Sciences Humaines menées sur le sujet. Il dégage, à partir des résultats obtenus, un nouveau système de fonctionnement basé sur trois principes fondamentaux de motivation intrinsèque prônant une meilleure prise en compte des désirs profonds de l’individu99 : – L’autonomie : le désir de diriger nos propres vies ; – La maîtrise : le désir de s’épanouir dans quelque chose qui compte pour nous ; – Le but : le sentiment que ce que nous faisons s’inscrit dans quelque chose de plus important que nous. Il rajoute que la plupart des problèmes nécessitant de faire appel à l’innovation et à la créativité ne peuvent généralement être résolus qu’en adoptant un point de vue extérieur à la situation. La motivation intrinsèque selon lui permet d’élargir les capacités d’analyse et de réflexion des 98 Auteur et journaliste américain ayant travaillé de 1995 à 1997 pour le Vice-Président Al Gore en tant que speechwriter. 99 Un exemple clair est donné avec l’encyclopédie Wikipedia. Au cours des années 90, Microsoft éditait l’encyclopédie Encarta en payant cher des professionnels qualifiés pour produire du contenu de qualité (environ 40 000 articles). En 2001 est arrivé un nouveau service en ligne, Wikipedia (www.wikipedia.org/), géré par la Wikimedia Foundations. Ce service est basé sur le modèle de la libre contribution des internautes sans aucune récompense pour le travail fourni, mais seulement sur le plaisir des individus à produire du travail non-rémunéré (la philosophie de ce projet est basée sur la motivation intrinsèque et pas sur l’extrinsèque) qui vienne enrichir une dynamique mondiale basée sur l’intelligence collective des participants. Wikipedia a réussi à supplanter Encarta (qui s’est arrêtée en 2009) et est aujourd’hui l’encyclopédie la plus complète au monde. De nombreux tests s’accordent à dire qu’elle ne comporte pas beaucoup plus d’erreurs que les encyclopédies traditionnelles, et serait même plus fiable pour les informations d’actualité! ! (source :http://www.protegez-vous.ca/technologie/wikipedia-une- encyclopedie-fiable.html). 43
  • 54. individus, favorisant l’émergence de nouvelles solutions. Selon Pink, la seule contrainte qui ne nuise pas à ce processus est de dire aux individus que le travail doit être fait (fixation d’objectifs). A partir de cet objectif, les individus qui se voient conférés une autonomie sur l’organisation et leurs méthodes de travail sont généralement bien plus satisfaits et heureux de participer à ces tâches et on assiste à une amélioration claire de la qualité du travail produit ainsi que de l’engagement des individus par rapport à leur travail. Le leader doit donc préférer la motivation intrinsèque dans son mode de management afin de favoriser l’émergence de l’innovation et de la créativité au sein de son groupe et donner envie aux individus de s’engager pleinement dans l’évolution positive de celui-ci. 5. Le charisme, une construction sociale Le charisme, nécessaire à la stratégie de leadership n’est pas un trait de personnalité inhérent à l’individu mais une construction sociale. Dans un article consacré à Steve Jobs publié sur le site de datajournalism Owni100 , Denis Colombi101 analyse le concept de charisme via l’étude du co-fondateur d’Apple, ancien véritable ambassadeur de la marque dans le monde. Selon lui, « comme tout charisme, celui de Steve Jobs n’a pas besoin de résider dans des capacités exceptionnelles réelles. Il suffit que les autres, et plus particulièrement un petit groupe actif rassemblé autour du leader, soient convaincus de l’exceptionnalité de celui-ci. Si nous analysions les situations d’un individu en tenant compte de toutes les interactions ayant 100 http://owni.fr/2011/10/06/le-charisme-d-un-leader-economie-steve-jobs-ap ple/ 101 Agrégé de sciences sociales, professeur de sciences économiques et sociales, doctorant en sociologie. 44
  • 55. autorisé l’émergence d’un Jobs, c’est tout un groupe qui devrait être valorisé. Comme écrivait Proudhon, il y a dans le groupe quelque chose de plus, une « propriété » supplémentaire, dont la sommation simple des capacités des individus qui le compose ne pourra jamais tenir compte… ». La prise en compte de l’origine de ce « pouvoir d’influence » par les membres du groupe peut être très utile pour leur permettre de relativiser et atténuer leur fascination (basée sur l’affect) et donc débrider la réflexion de leur part, encourageant ainsi le processus d’innovation. 6. Pourquoi et comment influencer le leader afin de produire une innovation nécessaire mais non sollicitée par la hiérarchie ? Le leader étant un être humain, il est soumis à de nombreux « pièges » psychologiques et biais cognitifs qui peuvent fausser ses capacités perceptives, réflexives et analytiques et ainsi nuire au bon fonctionnement du processus d’innovation dans l’organisation. Ces pièges peuvent-être par exemple : – Le piège abscons102 ; 102 Le piège abscons est un piège psychologique qui se crée dans l’esprit d’un individu lorsque celui-ci est engagé dans une série d’actes coûteux. Si ces actes ne produisent pas de résultats attendus et espérés par l’individu, celui-ci aura énormément de mal à renoncer et à remettre en cause son engagement, car il remettrait alors en cause l’intégralité de ses efforts et de son engagement matériel ou temporel qu’il a concédé pour parvenir à ce but. Par exemple, un joueur de loto jouant depuis de nombreuses années et n’ayant jamais gagné de sa vie aura de fortes chances de persévérer dans ce comportement car abandonner reviendrait à reconnaître qu’il a joué pour rien depuis tout ce temps. Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois analysent ce phénomène psychologique inhérent à l’individu en utilisant l’exemple d’un couple qui refuse de se séparer : « les raisons de poursuivre la cohabitation, sinon l’alliance, furent nombreuses. Il y eut d’abord les amis communs, puis vinrent 45
  • 56. – Le syndrome du lampadaire : l’individu se persuade que la solution se situe dans son environnement proche et s’interdit d’imaginer d’autres possibles ; – Le syndrome de la grenouille : l’individu se focalise sur un point particulier jusqu’à en oublier les raisons, et manque ainsi l’objectif principal ; – La fixation du détail : l’individu apporte une réponse à tout prix pour faire face à une situation d’urgence alors que l’enjeu est ailleurs et que la décision sera contre productive ; – La fuite en avant : l’individu construit l’avenir à partir d’une projection du passé, en se référant à des situations déjà vécues pour lesquelles des parades ont été bénéfiques. Il peut donc, comme tout être humain, ne pas être rationnel dans ses prises de décision. Voici d’autres facteurs pouvant affecter sa rationalité décisionnelle décrits par Jean-Luc Hannequin103 : – L’acceptable : il est parfois plus facile de raisonner à partir d’éléments socialement acceptables plutôt que d’adopter un raisonnement à partir d’éléments factuels ; – La pression : les situations de contraintes fortes conduisent à s’arrêter sur des détails, à privilégier des éléments de formes ou de présentation ; – Le raccourci : l’individu pense aller à l’essentiel souvent par manque de temps, de motivation ou de ressource suffisante (connaissances et compétences). l’éducation des enfants et la maison achetée à crédit, jusqu’à ce que ne demeure que la plus lourde d’entre elles : l’inaptitude à vivre autre chose. A ne pas reconnaître cette raison, ils évitent ainsi de reconnaître que les précédentes n’étaient en définitive que les éléments d’un piège abscons ou d’une dramatique escalade d’engagement ». 103 Spécialiste en Intelligence Economique et Innovation et Directeur du Centre Européen d’Entreprise et d’Innovation d’Ille et Vilaine (Créat’IV). 46
  • 57. Le leader peut également emprunter par mégarde des « fausses routes » qui peuvent s’avérer très dommageables pour le groupe si elles ne sont pas évitées. Celles-ci peuvent être la conduite au rétroviseur104 , le risque d’endogamie105 , le mirage de la tendance106 et le mythe du champion107 . Le leader peut donc, de manière tout à fait naturelle car humaine, adopter des décisions non rationnelles influencées par sa propre perception forcément subjective car générée par ses propres mécanismes psychologiques et cognitifs. Il est donc important pour limiter ce risque que celui-ci ne soit pas aveuglé par ses propres convictions et soit à l’écoute des autres membres du groupe. Cet aveuglement pourra le conduire à adopter des raisonnements par schéma et routine, avec une application de solutions « ordinaires » ou prendre des décisions en réaction à une situation plutôt qu’à partir d’une analyse complète de l’environnement et du contexte. Les membres du groupe doivent donc être attentifs et « pro-actifs » dans la stratégie du groupe, en proposant de nouvelles idées et solutions pouvant améliorer le processus décisionnel géré par le leader (par exemple en apportant de nouvelles informations comblant des « zones d’ignorance108108 » mises en évidence ou soulever de nouvelles questions générant de nouveaux besoins informationnels et cognitifs pour le groupe). 104 Construire l’avenir à partir d’une projection du passé, en se référant à des situations déjà vécues pour lesquelles des parades ont été bénéfiques. 105 Focaliser son attention sur les concurrents, innover par imitation, suivre l’effet de mode, rechercher les consensus. 106 L’individu analyse une information déjà obsolète. 107 Le charisme d’une personnalité devient la norme, un standard, un modèle de réussite. 108 « Informations inconnues et ignorées ». (Hayek) 47
  • 58. Analysons maintenant comment les membres du groupe peuvent amener le leader à modifier sa perception vis-vis de son environnement et influencer ses décisions dans le but d’amener le groupe à évoluer positivement. Tout d’abord, il peut être utile de sensibiliser le leader à ses propres failles et biais cognitifs. Le but sera donc d’amener naturellement celui-ci à une véritable prise de conscience par rapport à ses propres faiblesses psychologiques et cognitives (qui constituent le premier pas vers la lutte contre celles-ci), puis à l’importance des différents risques qui peuvent être encourus par le groupe. Utiliser des exemples d’organisation ayant subi des préjudices importants pour cause de mauvaise perception de son environnement ayant généré des mauvaises décisions peut aider à faire passer le message. Ensuite, il peut être utile de sensibiliser le leader au fait que l’ignorance au sein d’un groupe a un coût réel (temps, ressources humaines/financières,...) en répertoriant des cas concrets de besoins informationnels non comblés pouvant engendrer de fortes dépenses pour pallier ces manques. La crise étant naturelle et arrivant tôt ou tard, il n’est en règle générale pas difficile de le sensibiliser à ses conséquences potentiellement dramatiques pour le groupe ou l’organisation. Ainsi, générer un sentiment de peur ou d’impuissance face à une crise mal gérée au sein du groupe et générant des préjudices très importants, peut être un très bon moyen de sensibiliser la hiérarchie à l’importance de la prise en compte de certaines idées ou problématiques qui auraient été oubliées ou négligées. Pour optimiser ce processus de sensibilisation et amener à un changement réel et profond, il faut impliquer clairement le leader dans le travail de lutte contre des crises fictives mais réalistes dans le cadre par exemple de simulations de crise. Le 48