Cet article explore les origines des mouvements pour l'autonomie gouvernementale à travers l'Europe en s'appuyant sur des données électorales et diverses études, y compris l'analyse Eurobaromètre. Les quatre analyses montrent que ces quatre conflits sont causés par des facteurs similaires : le poids de l'histoire ; la relation avec l'État national et son incarnation politique ; et la relation avec le reste du pays, avec une référence particulière aux disparités économiques. La façon dont ces facteurs se combinent, cependant, est unique dans chaque cas.
https://fr.kantar.com/opinion-publique/politique/2018/les-vieilles-fractures-de-l-europe/
1. C’est à Bruxelles que Carles Puigdemont a choisi de se
réfugier, pour échapper aux poursuites auxquelles l’exposaient
l’organisation du référendum du 1er
octobre 2017 et la
proclamation d’indépendance de la Catalogne.
Il se peut que le choix de la capitale Belge belge ait été guidé par
le bon accueil que lui réservaient les indépendantistes flamands
du VVB1
et du NV-A2
. Reste que la présence à Bruxelles de celui
qui est au cœur de la plus grave crise institutionnelle vécue
par un pays de l’Union européenne est aussi un défi pour l’UE,
plusieurs fois sommée de se prononcer sur la question Catalane.
Menacée sur ses frontières par l’instabilité voire l’hostilité de
ses voisins, secouée de l’intérieur par la progression et parfois
l’accession aux responsabilités gouvernementales de formations
politiques ouvertement eurosceptiques, l’Union se trouvait
confrontée, à 18 mois des élections de 2019, à un nouveau défi :
le réveil des vieilles fractures infranationales.
Au moment même où la crise catalane battait son plein, de
manière beaucoup plus apaisée et parfaitement légale, mais
avec une impressionnante détermination, les habitants de
Vénétie et de Lombardie se prononçaient par référendum en
faveur d’une plus grande autonomie. Au sein du Centre Kantar
sur le Futur de l’Europe, nous avons voulu comprendre les ressorts
de ces tentations autonomistes, dans ces deux pays, Espagne et
Italie, ainsi qu’en Belgique, divisée par la fracture linguistique, et
en étudiant le cas de l’Ecosse, dont la tentation indépendantiste
fut réveillée au moment du Brexit. Nous l’avons fait en nous
appuyant sur les données électorales et diverses études,
notamment l’analyse des enquêtes Eurobaromètre. Les quatre
analyses qui suivent montrent que ces quatre lignes de fractures
reposent sur des éléments communs : le poids de l’Histoire,
à chaque fois spécifique, le rapport à l’Etat national et à son
incarnation politique, et le rapport au reste du pays, notamment
par référence aux disparités des situations économiques. Mais la
combinaison de ces facteurs est, chaque fois, singulière.
La question de l’Europe est toujours secondaire, les lignes
de fracture remontant bien avant le traité de Rome. Mais on
aurait pu imaginer qu’apparaissent deux cas de figures : d’une
part, celui de l’Italie du Nord et de la Flandre, où les formations
politiques autonomistes ont intégré à leur corpus idéologique
un discours critique à l’égard de l’Europe ; d’autre part,
celui de la Catalogne et de l’Ecosse, où l’Union européenne
pouvait apparaître comme un recours et un nouvel espace de
substitution à l’Etat national. Le tableau en page 12 montre
qu’il n’en est rien. L’analyse du niveau d’attachement aux
différentes entités réserve au contraire quelques surprises.
La seule région où la question de l’attachement au pays coupe
la population en deux blocs, pour les raisons qu’analyse Vicente
Castellanos, est la Catalogne. L’attachement à la Belgique est
élevé en Flandre, celui pour l’Italie est très élevé en Italie du nord et
identique au reste du pays. Comme l’expliquent Pierangelo Isernia
et Davide Angelucci, ce qui nourrit les velléités autonomistes en
Lombardie et en Vénétie est plus un rapport au reste du pays, et
pour le dire plus clairement au sud du pays, plutôt qu’une hostilité
à l’Etat national qui reste un espace d’identification.
Un phénomène comparable de rapport au reste du pays
caractérise la Flandre, où Jan Drijvers montre cependant que
les partis autonomistes ont renouvelé leur agenda en puisant
davantage dans un discours hostile à l’Europe, sans que cela
n’impacte l’attachement à l’Europe de la population flamande.
Le cas écossais est avec celui de la Catalogne le plus singulier :
l’analyse de Christopher Hanley montre en effet que si l’Ecosse
s’est nettement opposée au Brexit dans les urnes, c’est moins
en raison d’un attachement supérieur à l’Europe que par
la crainte des conséquences d’une sortie de l’UE. Dans ce
territoire, seul des quatre étudiés qui soit moins prospère
que le reste du pays, le sentiment que l’avenir serait meilleur
en dehors de l’Union reste minoritaire, contrairement à
l’ensemble du Royaume-Uni. Mais cela ne se traduit pas par
un attachement supérieur à l’Europe, ni par rapport aux autres
Britanniques, ni par comparaison avec les autres régions
étudiées dans cette analyse.
Si l’Union n’est pas au centre de ces tensions infranationales,
ces dernières n’en sont pas moins un défi pour l’Europe.
L’ancrage historique de ces fractures, le sentiment d’être spolié
au profit d’autres régions, qui les exacerbent, et la recherche
de protection et de solutions dans une identité de proximité
sont des mécanismes qui vont à rebours d’un projet européen
visant à dépasser les plaies de l’histoire pour construire
un espace de solidarité et une identité supra nationale. En
revanche, si la revendication autonomiste est l’occasion
d’inventer une ingénierie de la subsidiarité et de l’affectation
des responsabilités au niveau adéquat, et que cette inventivité
permet d’améliorer la confiance des citoyens dans les
institutions et la clarté de leur fonctionnement, alors cela
devient compatible avec l’ambition et les valeurs de l’Union
européenne. Si l’Europe a un rôle à jouer sur ces enjeux, il doit
consister à favoriser la seconde option.
LES VIEILLES FRACTURES
DE L’EUROPE
LES TENSIONS INFRANATIONALES
AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES :
UN NOUVEAU DÉFI POUR L'EUROPE
CATALOGNE, ÉCOSSE, ITALIE DU NORD
(LOMBARDIE ET VÉNÉTIE) ET FLANDRE
UN DOCUMENT DE RÉFLEXION DU CENTRE KANTAR
SUR LE FUTUR DE L’EUROPE - AVRIL 2018
1
Vlaamse Volksbeweging
2
Nieuw-Vlaamse Alliantie
Pour en savoir plus, contacter
Emmanuel Rivière
CEO Kantar Public France & Président
du Centre Kantar sur le Futur de l’Europe
emmanuel.riviere@kantarpublic.com